La Nation Bénin...
Mohamed
Touré, docteur en droit public à l’Université des sciences juridiques et
politiques de Bamako, évoque quelques difficultés auxquelles seront confrontées
les populations du Mali, du Niger et du Burkina Faso qui ont annoncé leur
retrait de la Cedeao, puis aborde des ouvertures possibles, sur fond de
négociations entre les parties.
LA NATION : Retrait annoncé du Mali, du Niger et du Burkina Faso de la
Cedeao. Comment en est-on arrivé là ?
Dr
Mohamed Touré : Il y a des raisons avancées par les trois États, relatives à
des difficultés surtout d’ordre sécuritaire et face auxquelles la Cedeao, en
tant qu’organisation internationale dont ils sont membres, n’a pas pu mener des
actions pour les aider à y faire face. Aussi, suite aux coups d’État qui ont eu
lieu, parce qu’ils auraient décidé de la prise en charge de la destinée de
leurs populations, la Cedeao a pris des sanctions pour rendre plus difficile la
vie des populations. C’est la raison pour laquelle ces trois Etats se sont
concertés, et de manière souveraine, ont annoncé leur retrait.
Voulez-vous dire que la Cedeao a été un peu trop rigoriste ?
De toutes les façons, les Etats ont la
souveraineté d’interpréter la situation comme ils le pensent. Ce qui est clair
et incontestable, les règles de la Cedeao à savoir le Protocole sur la
démocratie et la bonne gouvernance adopté à Dakar, interdit toute prise du
pouvoir en dehors des règles électorales. Mais les auteurs des coups d'État
dans les trois pays, pensent qu’ils ont des raisons suffisantes, à partir du
moment où les régimes démocratiquement élus, n’arrivent pas à prendre en charge
la question de l'insécurité dans laquelle les populations se trouvent, et que
face aux règles, il y a la réalité politique. Donc, c’est leur parole contre
celle de la Cedeao.
Quelles peuvent être les implications de leur décision de retrait de la
Cedeao ?
15
Etats au sein d’une organisation régionale comme la Cedeao pèsent plus que 3
Etats qui vont mettre en place une organisation. Le commerce international,
l’économie internationale et les finances sont tellement imbriqués aujourd’hui
qu’un Etat pris individuellement ne vaut pas grand chose sur la scène
internationale. Une organisation internationale avec trois Etats notamment
l’Alliance des États du Sahel, ne peut pas rivaliser avec la Cedeao constituée
de 15 Etats membres, et considérée comme une organisation sous régionale très
avancée dans les schémas d’intégration de l’Union africaine, de même qu’au
niveau de la zone de libre-échange. Se retirer d’une organisation
internationale aussi intégrée, plus avancée dans les domaines économiques, et
qui est en train de mettre en place une politique monétaire commune ; cela va
être très difficile pour les populations. Sauf si l’organisation et l’Etat
membre qui se retire, parviennent à des compromis. Dans ce cas, il peut en
tirer des avantages. Tout cela dépendra des négociations qui vont suivre. La
Grande Bretagne s’est retirée de l’Union européenne (Ue), mais il y a eu des
négociations entre la Grande-Bretagne et l’Ue, pour que le pays puisse
continuer de bénéficier de certaines facilités. Mais à partir du moment où le
retrait ne sera définitif qu’après un an, je pense que les négociations vont
continuer, peut-être pour que les règles de la Cedeao puissent évoluer. Pour le
moment, nous sommes dans le cadre de la dénonciation d’un traité, c’est
l’expression d’une volonté de retrait et peut-être que le retrait ne sera pas
définitif. C’est possible !
Qu’en est-il de l’avenir de la Cedeao ?
On
peut craindre la pathologie des années 1960. Lorsque l’Afrique a accédé à
l’indépendance, nous avons observé qu’il y a eu beaucoup de regroupements sous
régionaux et régionaux, mais qui n’ont pas survécu. On peut craindre cela avec
le retrait de ces trois Etats, sauf que le contexte des années 1960 n’est pas
celui de 2024. La Cedeao est aujourd’hui une organisation mature, beaucoup plus
intégrée. Donc malgré le retrait des trois Etats, si les autres nourrissent la
volonté de continuer au sein de l’organisation, cela ne va pas jouer sur
l’institution. Ce qui peut peser, c’est le financement des organes. Dans une
organisation internationale dont l’un des principes fondamentaux, est celui de
la solidarité ; avec le retrait de trois membres, cela peut agir sur le
financement des organes.
Dans
les Etats membres, ce sera difficile pour les populations, parce qu’une
organisation internationale postule à une triple fonction : la libre
circulation des personnes, des biens et des capitaux. Au niveau commercial, il
y a un tarif extérieur commun qui facilite le transit des marchandises d’un
Etat membre à un autre. Si vous n’êtes plus dans ce schéma, ça va être
difficile. Sans doute que d’ici un an, des négociations seront engagées pour
faire face à ces difficultés. Quand on regarde la puissance économique réelle
de ces trois Etats et les difficultés économiques dans lesquelles ils se
trouvent, c’est compliqué ! Les autorités qui ont l’effectivité du pouvoir en
ont décidé ainsi ; elles l’ont fait en connaissance de cause et assumeront les
conséquences.
Dr Mohamed Touré