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Crise de la Cedeao: « Cela va être très difficile pour les populations », affirme Dr Mohamed Touré

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Dr Mohamed Touré Dr Mohamed Touré

Mohamed Touré, docteur en droit public à l’Université des sciences juridiques et politiques de Bamako, évoque quelques difficultés auxquelles seront confrontées les populations du Mali, du Niger et du Burkina Faso qui ont annoncé leur retrait de la Cedeao, puis aborde des ouvertures possibles, sur fond de négociations entre les parties. 

Par   Arnaud DOUMANHOUN, le 02 févr. 2024 à 02h16 Durée 3 min.
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LA NATION : Retrait annoncé du Mali, du Niger et du Burkina Faso de la Cedeao. Comment en est-on arrivé là ?

Dr Mohamed Touré : Il y a des raisons avancées par les trois États, relatives à des difficultés surtout d’ordre sécuritaire et face auxquelles la Cedeao, en tant qu’organisation internationale dont ils sont membres, n’a pas pu mener des actions pour les aider à y faire face. Aussi, suite aux coups d’État qui ont eu lieu, parce qu’ils auraient décidé de la prise en charge de la destinée de leurs populations, la Cedeao a pris des sanctions pour rendre plus difficile la vie des populations. C’est la raison pour laquelle ces trois Etats se sont concertés, et de manière souveraine, ont annoncé leur retrait.

Voulez-vous dire que la Cedeao a été un peu trop rigoriste ?

 De toutes les façons, les Etats ont la souveraineté d’interpréter la situation comme ils le pensent. Ce qui est clair et incontestable, les règles de la Cedeao à savoir le Protocole sur la démocratie et la bonne gouvernance adopté à Dakar, interdit toute prise du pouvoir en dehors des règles électorales. Mais les auteurs des coups d'État dans les trois pays, pensent qu’ils ont des raisons suffisantes, à partir du moment où les régimes démocratiquement élus, n’arrivent pas à prendre en charge la question de l'insécurité dans laquelle les populations se trouvent, et que face aux règles, il y a la réalité politique. Donc, c’est leur parole contre celle de la Cedeao.

Quelles peuvent être les implications de leur décision de retrait de la Cedeao ?

15 Etats au sein d’une organisation régionale comme la Cedeao pèsent plus que 3 Etats qui vont mettre en place une organisation. Le commerce international, l’économie internationale et les finances sont tellement imbriqués aujourd’hui qu’un Etat pris individuellement ne vaut pas grand chose sur la scène internationale. Une organisation internationale avec trois Etats notamment l’Alliance des États du Sahel, ne peut pas rivaliser avec la Cedeao constituée de 15 Etats membres, et considérée comme une organisation sous régionale très avancée dans les schémas d’intégration de l’Union africaine, de même qu’au niveau de la zone de libre-échange. Se retirer d’une organisation internationale aussi intégrée, plus avancée dans les domaines économiques, et qui est en train de mettre en place une politique monétaire commune ; cela va être très difficile pour les populations. Sauf si l’organisation et l’Etat membre qui se retire, parviennent à des compromis. Dans ce cas, il peut en tirer des avantages. Tout cela dépendra des négociations qui vont suivre. La Grande Bretagne s’est retirée de l’Union européenne (Ue), mais il y a eu des négociations entre la Grande-Bretagne et l’Ue, pour que le pays puisse continuer de bénéficier de certaines facilités. Mais à partir du moment où le retrait ne sera définitif qu’après un an, je pense que les négociations vont continuer, peut-être pour que les règles de la Cedeao puissent évoluer. Pour le moment, nous sommes dans le cadre de la dénonciation d’un traité, c’est l’expression d’une volonté de retrait et peut-être que le retrait ne sera pas définitif. C’est possible !

Qu’en est-il de l’avenir de la Cedeao ?

On peut craindre la pathologie des années 1960. Lorsque l’Afrique a accédé à l’indépendance, nous avons observé qu’il y a eu beaucoup de regroupements sous régionaux et régionaux, mais qui n’ont pas survécu. On peut craindre cela avec le retrait de ces trois Etats, sauf que le contexte des années 1960 n’est pas celui de 2024. La Cedeao est aujourd’hui une organisation mature, beaucoup plus intégrée. Donc malgré le retrait des trois Etats, si les autres nourrissent la volonté de continuer au sein de l’organisation, cela ne va pas jouer sur l’institution. Ce qui peut peser, c’est le financement des organes. Dans une organisation internationale dont l’un des principes fondamentaux, est celui de la solidarité ; avec le retrait de trois membres, cela peut agir sur le financement des organes. 

Dans les Etats membres, ce sera difficile pour les populations, parce qu’une organisation internationale postule à une triple fonction : la libre circulation des personnes, des biens et des capitaux. Au niveau commercial, il y a un tarif extérieur commun qui facilite le transit des marchandises d’un Etat membre à un autre. Si vous n’êtes plus dans ce schéma, ça va être difficile. Sans doute que d’ici un an, des négociations seront engagées pour faire face à ces difficultés. Quand on regarde la puissance économique réelle de ces trois Etats et les difficultés économiques dans lesquelles ils se trouvent, c’est compliqué ! Les autorités qui ont l’effectivité du pouvoir en ont décidé ainsi ; elles l’ont fait en connaissance de cause et assumeront les conséquences.