La Nation Bénin...
Romaric
Lucien Badoussi, docteur en Sciences politiques et enseignant à l’Université de
Parakou, n’est vraiment pas surpris de l’annonce, dimanche 28 janvier dernier,
du retrait du Mali, du Niger et du Burkina Faso de la Cedeao. Ce divorce, selon
lui, fragilise l’organisation sous-régionale, mais pas qu’elle, dans la mesure
où les trois Etats s’en sortent également perdantes.
Est-ce la première fois qu’un ou plusieurs pays annoncent leur retrait
de la Cedeao ?
Ce n’est pas la première fois qu’un Etat se retire de l’organisation. En l’an 2000, la Mauritanie qui en était membre, a choisi de se retirer, mais non pas pour aller créer une autre organisation avec d’autres Etats. Elle l’a fait pour intégrer l’Union du Maghreb arabe qui regroupe les pays du Maghreb et l’Egypte.
En tant qu’observateur de la vie sociopolitique de la sous-région, comment analysez-vous l’annonce des trois pays ?
Cette décision est intervenue dans un contexte où la Cedeao elle-même a perdu beaucoup de légitimité auprès des citoyens de la sous-région et son impopularité est à la mesure de la popularité des militaires au pouvoir auprès d’une certaine frange de l’opinion publique de leurs pays et de la sous-région. Donc, ils ont surfé sur les vagues de mécontentements vis-à-vis de la Cedeao et sur le contexte géopolitique mondial caractérisé par l’émergence de nouveaux acteurs qui défient les puissances occidentales. La Cedeao est considérée comme un suppôt de la France et des puissances occidentales alors que les régimes militaires au pouvoir dans les trois pays, cherchent à incarner une rupture avec les relations privilégiées entre la France et ses anciennes colonies. C’est ce contexte sociopolitique qui a beaucoup inspiré cette décision.
Selon vous, qu’est-ce qui n’a pas marché dans les négociations ou quelle est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase ?
Je fais une lecture croisée de cette décision avec la politique intérieure des trois Etats. De mon point de vue, ce sont des régimes qui n’ont véritablement pas envie de quitter le pouvoir de sitôt. Ils ont des agendas particuliers qu’ils veulent mettre en œuvre et supportent de moins en moins l’injonction de la Cedeao qui les presse à vite envisager des élections pour retourner dans leurs casernes. Cette décision leur permet de se mettre à l’abri de l’ingérence de la Cedeao dans leurs affaires intérieures parce que à partir du moment où ils ne sont plus membres de l’organisation, la Cedeao ne serait plus fondée à s’intéresser à leurs politiques intérieures. Je crois que c’est une décision qui est beaucoup inspirée par les visées politiques intérieures.
Tous les problèmes que nous avons envisagés en ce qui concerne la mobilité des biens et des personnes dans la sous-région, pourraient trouver de solutions dans le cadre d’accords bilatéraux entre les Etats. Si par exemple le Burkina Faso arrive à signer des accords bilatéraux avec le Togo, cela voudrait dire que le régime juridique qui sera appliqué aux citoyens des deux pays sera déterminé par les nouveaux accords et là peut-être, les citoyens de ces deux pays pourront retrouver les avantages que la Cedeao offrait.
D’un autre point de vue, tous les ressortissants nigériens, maliens et burkinabè qui travaillent dans les institutions de la Cedeao à Abuja ou ailleurs se retrouveront au chômage parce que leurs pays ne sont plus membres de l’organisation.
De toutes les façons, de part et d’autre, je crois que chaque partie sort plus ou moins perdante dans cette situation. Les Etats de la Cedeao perdront certains avantages dans leurs relations avec ces trois pays. Ces derniers aussi auront à subir les répercussions de leur décision.
Ce retrait aura forcément des conséquences sur l’organisation sous-régionale et plus particulièrement, il impactera les citoyens de la sous-région. Jusque-là la Cedeao a pris des mesures pour faciliter la mobilité des citoyens dans l’espace si bien que le visa est supprimé depuis 1979. Aujourd’hui avec le retrait, les ressortissants de ces trois pays, pour circuler dans les autres pays de la Cedeao, devront solliciter un visa, une carte de séjour, une carte de résidence ou encore une carte d’établissement et vice versa. Cela veut dire que les choses vont davantage se compliquer pour les citoyens ouest-africains.
Par ailleurs, la Cedeao a mis en place une zone de libre échange appuyée par une union douanière de sorte qu’un bien fabriqué au Niger ou dans les autres pays membres, circule sans entrave dans tout l’espace. Mais avec la décision des trois pays, cela ne sera plus le cas. Les produits de ces Etats, pour circuler dans l’espace, seront assujettis à des mesures tarifaires qui jusque-là n’existaient pas. De la même manière, les produits des Etats de la Cedeao en direction de ces trois pays seront aussi soumis aux mêmes formalités tarifaires. En gros, de plus en plus, des barrières tarifaires qui n’existaient pas, vont naitre et complexifier les échanges commerciaux entre les agents économiques de la sous-région.
La Cedeao est affaiblie. Comme on peut le constater, malgré les sanctions, elle n’arrive véritablement pas à faire plier les régimes militaires qui sont ses interlocuteurs. En réaction au ton martial adopté dans le communiqué d’avant-hier, la Cedeao essaie de tempérer les ardeurs, d’adopter un ton conciliant comme après l’échec de la mission qui devrait être dépêchée à Niamey le 25 janvier dernier. Donc, je crois que la Cedeao veut continuer par jouer la carte du dialogue mais au regard de la situation, si elle tient à faire revenir ces Etats, elle sera obligée de lever les sanctions qui pèsent encore sur eux. Or, dans ces conditions, son image sera davantage dégradée parce que à partir de là, n'importe quel pays qui se retrouverait dans une certaine situation pourrait aussi se cabrer, refuser de se conformer aux textes communautaires et exiger plutôt que ce soit la Cedeao qui se plie à ses exigences. Donc, la Cedeao est dans une situation très délicate. Il faudra qu’elle se réinvente, qu’elle trouve des ressources diplomatiques exceptionnelles afin de faire revenir ces Etats.
L’article 91 du traité révisé de la Cedeao dispose que tout Etat désireux de se retirer de l’organisation a l’obligation de prévenir celle-ci un an avant le retrait effectif. La décision a été prise avant-hier avec la mention ‘‘sans délai’’. Cela veut dire que ces régimes militaires sont en porte-à-faux avec les dispositions communautaires. Donc, en principe, on pourrait dire que leur décision est nulle et non avenue. Mais dans la pratique, que peut véritablement la Cedeao pour les retenir dans l’organisation ? Je ne vois pas vraiment ce qu’elle peut faire puisque ce sont des Etats souverains qui ont pris leur décision. Je crois qu’elle va multiplier les initiatives pour maintenir le contact avec eux et si possible, les amener à revenir sur leur décision.
Romaric Lucien Badoussi