La Nation Bénin...
Vice-doyen de la Faculté des Sciences
administratives et politiques (Fsap) de l’Université des Sciences juridiques,
politiques de Bamako, Dr Abdoul Sogodogo s’est prononcé sur le rôle de la
Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) dans la
gestion des crises politiques dans cet espace géographique, à l’occasion d’un
colloque scientifique sur la médiation sociale, institutionnelle et familiale
en Afrique, à Parakou.
La Nation : Vous avez effectué des travaux de recherche sur la médiation de la Cedeao dans la crise sociopolitique au Mali en 2020. Partant de vos constats, pourquoi la Cedeao peine-t-elle à obtenir des résultats positifs ?
Dr Abdoul Sogodogo : La Cedeao qui a une mission de démocratisation peine à pouvoir mettre en place des mécanismes préventifs de gestion des conflits. Par exemple, elle ne peut pas intervenir dans la gouvernance interne des pays, encore moins dans la gestion des élections. Elle n’est pas dans le processus d’organisation des élections et n’est pas non plus une juridiction d’appel en cas de contestation des résultats proclamés par une Cour constitutionnelle ou un Conseil constitutionnel. C’est devenu une sorte d’institution qu’on met devant le fait accompli et qui n’arrive pas à se réinventer. Dans la crise au Mali, nous avons remarqué que la Cedeao n’avait pas forcément la bonne approche parce qu'elle était dans une logique de tout faire pour maintenir le président IBK en poste, et d’essayer d’amener d’autres acteurs à fédérer avec lui pour la stabilité du pays. Aussi bonne que soit l’idée qui est le partage du pouvoir, les acteurs avaient déjà atteint un point de non-retour. Aussi, la Cedeao est vue comme étant un corps étranger vis-à-vis des populations, parce qu’elle n’a pas suffisamment travaillé à sa légitimité auprès des populations ouest-africaines. C’est pour cela que certains acteurs la traitent carrément de syndicat des chefs d’État, de club des chefs d’Etat. Cela montre une crise de légitimité qui rend l’institution difficilement audible pour les acteurs qui contestent le pouvoir politique. Cette crise de légitimité de la Cedeao combinée à son intervention tardive dans la crise au Mali, sa posture de manipulateur, ont justifié son impuissance face au conflit. Car, elle n’avait pas suffisamment de pouvoir pour contraindre les acteurs et les maintenir autour de la table.
La combinaison de ces différents éléments
montre que la Cedeao doit réinventer sa médiation. Il faut que quand elle
intervient dans les Etats, qu’elle puisse s’appuyer sur les mécanismes
endogènes de résolution des conflits, les réactiver, et les mettre en avant,
pour permettre aux acteurs de pouvoir se retrouver, et sans complexité,
analyser et apporter des éléments de réponse à la crise.
Le Mali n’est pas un cas isolé. Pourquoi cette réapparition des coups d’Etat en Afrique de l’Ouest ?
Evidemment ! Le Mali n’est pas un cas isolé
parce que de 2020 à 2023, nous avons eu pratiquement cinq cas de coups d’Etat.
C’est énorme ! Sur 16 pays, 5 ont connu des coups d’État, cela signifie qu’il y
a une crise de construction, qu’il y a une crise d’institutionnalisation de
l’Etat dans cet espace. Il nous faut scruter ces Etats qui ont fait leur vague
démocratique dans les années 90, pour mettre en place des pouvoirs
démocratiques. Ces pouvoirs n’ont pas permis d’améliorer de façon qualitative
la gouvernance. Les conditions de vie des populations ne se sont pas améliorées
à la hauteur des souhaits. L’électricité reste un luxe. L’accès à
l’alimentation, l’accès à l’eau potable, l’accès aux structures de santé,
l’organisation d’élections transparentes, la redevabilité des gouvernants, tout
cela reste encore très compliqué. Quelles institutions avons-nous mis en place
pour arriver à avoir une démocratie ? Nous n’avons pas pu franchir le cap. Ce
sont des difficultés énormes. Tous ces coups d’État dans la région se
construisent donc sur des crises internes à ces Etats. Quand vous prenez le cas
du Mali, on vous dira que ce sont des questions électorales, de gestion
sécuritaire. En Guinée Conakry aussi, les mêmes préoccupations, au Burkina, au
Niger. Donc, il y a un travail de fond à faire. Il faut que les Etats de la
Cedeao arrivent à réinterroger, à redéfinir la mission de l’organisation en
termes de démocratisation. Ne pas rester dans un cadre purement juridique,
c’est-à-dire juste concevoir des textes, mais pouvoir arriver à concevoir des
politiques publiques communes. Il faut penser à une sécurité collective. Par
exemple, la crise dont souffre le Mali, est une crise contre le terrorisme, car
le mouvement indépendantiste, le Mali n’en est pas à sa première.
C’est un pays qui a réussi à le traverser à
plusieurs reprises. Mais face à cette montée des groupes terroristes qui
viennent inonder le pays, ça a été difficile pour les forces armées et de
sécurité, et les politiques de le contenir parce qu’il s’agit de quelque chose
de spécifique. C’est une guerre asymétrique, et nous ne sommes pas préparés à
cela. Je pense même qu’aucun pays en Afrique de l’Ouest n’est préparé à une
guerre asymétrique qui demande énormément de moyens, énormément de travail en
dessous de la légitimation de l’État, et c’est ensemble que si ces pays
arrivent à concevoir une véritable sécurité collective, ils pourront contenir
la montée du terrorisme. Peut-être que l’intégration de l’Afrique de l’Ouest
doit passer par la question sécuritaire au lieu de la question économique. Nous
avons essayé de créer un espace d’intégration à partir d’une coopération
économique qui n’a pas suffisamment marché. Peut-être qu’il faut changer de
cap.
Volontairement ou involontairement, c’est ce
que le Mali, le Burkina et le Niger veulent faire avec l’alliance de ces trois
pays pour arrimer leurs outils de défense, travailler ensemble à sécuriser
leurs territoires.
C’est vrai que ces États ont de faibles moyens
et l’on ne sait pas ce que l’initiative va donner comme résultat, mais le fait
que ces États prennent conscience de travailler ensemble à la sécurité de leur
population, cela donne de l’espoir.
On a déjà vu les militaires aux affaires. Quel miracle va-t-il se produire aujourd’hui ?
L’arrivée des militaires au pouvoir n’est pas
quelque chose qui est souhaité par un démocrate. C’est toujours regrettable de
voir qu’on s’inscrit dans des ruptures constitutionnelles, qui sont aussi
porteuses de risques en soi, parce qu’on ne sait pas franchement ce qui va se
passer au bout du compte. Mais quand vous dépassez cette étape de la réflexion,
quand vous êtes dans ces genres de situation, la question est plutôt comment
fait-on pour s’en sortir, et que plus jamais, l’on ne revive ces mêmes scénarios
de rupture constitutionnelle.
C’est le vrai débat. Travaillons à créer des
conditions qui empêchent les coups d’État. Les critiquer, les évacuer de la
réflexion, c’est tout simplement les ignorer, et ainsi nous aurons toujours à
courir le risque de subir ces mêmes coups d’État. En réalité, celui qui fait un
coup d’Etat a besoin de se légitimer, et il lui faut des raisons sociales, des
crises qui dépassent le pouvoir institué, et qui puissent justifier aux yeux
des masses populaires, son arrivée au pouvoir. Quand vous regardez ce qui se passe
en Guinée, au Burkina, au Mali, au Niger, vous vous apercevez tout de suite
qu’il y a un soutien populaire à ces coups d’Etat. Même si le soutien n’est pas
au départ un appel au coup d’Etat, c’est parce que ces populations en avaient
marre du régime en place, c’est-à-dire de la gouvernance, des pratiques en
cours, et parfois l’arrivée de nouveaux acteurs, ça peut être utopique, mais
laisse croire qu’il va y avoir des changements profonds, que les choses vont
prendre une nouvelle direction, afin que le peuple puisse avoir un meilleur
vivre-ensemble.
Prenant exemple sur la crise malienne, objet d'un de vos travaux de recherche, peut-on dire qu’il y a eu des progrès avec l’arrivée des militaires au pouvoir ?
De 2020 à aujourd’hui, il y a des vecteurs de
progrès, parce qu’on peut dire par exemple qu’en termes d’équipement, l’armée
malienne est bien mieux équipée. Des réformes ont été entreprises dans ce
sens-là. Mais il faut reconnaître aussi que du point de vue du développement
économique, il y a beaucoup de choses qui restent à faire, et quand un pays
s’inscrit dans une rupture constitutionnelle, naturellement il perd l’appui de
plusieurs partenaires importants dans le processus de développement, et il y a
un amenuisement des ressources financières, qui peut alimenter les crises
économiques et sociales.
Pour autant, avec les réformes engagées, le
Mali est allé vers une 4ème République, une nouvelle constitution, et de
nouvelles institutions sont en train d’être mises en place. On peut espérer que
si ces institutions sont correctement animées, parce que la volonté des acteurs
politiques est très importante, dans les années à venir, le pays pourrait se
retrouver sur une meilleure trajectoire.
Derrière ces coups d’Etat, l’on y voit souvent
des mains invisibles notamment celles de l’occident. Quel est votre regard par
rapport à cette perception ?
Je suis dans le champ des relations
internationales et je puis vous dire que ces interactions entre Etats, et le
rapport de domination d’ailleurs exprimé par la théorie réaliste des relations
internationales, ne sont pas quelque chose de nouveau. Quand deux Etats entrent
en interaction, chacun est tenté de se battre pour son profit. Cela ne va pas
changer, y compris nos propres États. S’ils sont en posture de s’imposer à
d’autres, ils n’hésiteront pas à le faire.
On ne peut véritablement pas focaliser notre
réflexion sur l’influence des autres, sur ce qui se passe en Afrique de
l’Ouest. Il faut travailler à sa propre puissance, et cela passe par une
cohésion avec son peuple, par l’amélioration de la gouvernance. Il faut être
conscient de ses atouts, pour pouvoir les développer et être ouvert sur le
monde. L’essentiel de notre effort doit se focaliser sur comment allons-nous
consolider ou réinventer nos institutions de démocratisation, et surtout de
développement. Par exemple, on peut entreprendre les réformes nécessaires de
nos systèmes éducatifs, afin de former une ressource humaine conforme aux
besoins ou à la demande de notre marché intérieur. Nous sommes majoritairement
des pays agropastoraux et pourtant, nous avons très peu d’écoles d’ingénierie
agricole, en élevage etc. Il y a tout un travail de gouvernance, un changement
de mentalité qui doit s’introduire. Regardez le taux de corruption dans des
pays pauvres comme les nôtres. Il est inadmissible que les Etats perdent autant
de ressources. Comment vont-ils financer le développement ? Donc, il faut
recentrer la pensée sur les dynamiques endogènes, influer sur ces dynamiques,
pour pouvoir agir et lancer pour de vrai, nos pays sur la voie du
développement.
Un message aux Chefs d’Etat de la Cedeao ?
Il faut avoir le courage de repenser la Cedeao.
Elle ne peut pas se contenter d’être une institution politique. Il faut qu’elle
soit une réalité militaire, il faut travailler à un véritable système de
sécurité collective. Par exemple, lorsque l’armée malienne était en difficulté,
la première force qui devait intervenir auprès des Maliens devrait être celle
de la Cedeao. Il faut qu’elle devienne une véritable réalité économique et
politique pour les populations.
Dr Abdoul Sogodogo, vice-doyen de la (Fsap) de l’Université des Sciences juridiques, politiques de Bamako