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Sandra Kassab, directrice de l’Afd: Focus sur les grands chantiers de l’Agence en Afrique

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Sandra Kassab Sandra Kassab

La nouvelle directrice Afrique de l’Agence française de Développement (Afd), Sandra Kassab s’exprime sur les réalisations de l’institution en Afrique, les projets en cours et les nouvelles orientations au regard de l’abattement de 37 %, soit 2,1 milliards d'euros de son budget.

Par   Lhys DEGLA, le 12 mars 2025 à 07h11 Durée 3 min.
#Agence française de Développement (Afd)

La Nation : L’Agence française de Développement (Afd) couvre plusieurs secteurs en Afrique, entre autres le social, le numérique, la citoyenneté et l’économie. Où en êtes-vous aujourd’hui avec ces différents chantiers sur le continent ?

Sandra Kassab : J’ai pris les rênes du département Afrique de l’Afd en janvier 2025. Cela m’a permis de constater que 2024 a été une année de croissance pour notre activité sur le continent africain. Nous avons engagé 5,5 milliards d’euros en 2024, dont 4 milliards à travers l’Afd pour les financements publics et non souverains ; 1 milliard via notre filiale Proparco pour le secteur privé, et 500 millions via Expertise France pour la coopération technique. Cela témoigne d’une dynamique soutenue de financement et de partenariat avec l’Afrique. En droite ligne de notre vision, nous avons réaffirmé notre engagement pour l’électrification du continent, avec plusieurs programmes lancés en 2024. Nous continuons aussi à investir dans des infrastructures liées à la mobilité urbaine et à la durabilité des villes. À Porto-Novo, au Bénin, par exemple, nous travaillons sur l’adaptation des villes au changement climatique. Porto-Novo, située près d’une lagune, est un cas emblématique des défis et opportunités que présentent certains écosystèmes, notamment en termes de patrimoine naturel et touristique.

L’éducation, la formation professionnelle et le soutien à l’entrepreneuriat sont des enjeux majeurs. Quelles actions menez-vous dans ces domaines ?

Nous investissons, d’une part, dans le continuum éducatif, qui couvre l’éducation primaire, secondaire, la formation professionnelle et les enseignements techniques. Nous avons des programmes visant à améliorer l’accès à l’éducation et à renforcer la capacité des jeunes à accéder à des emplois, en particulier dans le secteur de l’agriculture. Nous accompagnons ainsi l’importante réforme en matière de formation professionnelle agricole et rurale engagée par l’Etat. La culture est aussi un secteur important pour la coopération avec des pays comme le Bénin, où nous avons vu de beaux exemples de collaboration avec l’appui au projet de construction du Musée d’Abomey et du Musée d’art contemporain de Cotonou.

D’autre part, l’entrepreneuriat est essentiel pour renforcer une croissance économique inclusive. Nous soutenons particulièrement les jeunes et les femmes entrepreneurs, en leur offrant un meilleur accès aux financements et aux opportunités. Au Bénin, nous collaborons avec l’Agence de développement des petites et moyennes entreprises (Adpme) et la Caisse des dépôts et consignations du Bénin (Cdc-B) qui accompagnent les jeunes entrepreneurs. Cela fait partie de notre stratégie pour renforcer l’entrepreneuriat, notamment dans le secteur informel, qui est très important en Afrique. Nous sommes heureux de participer à ces initiatives et de soutenir des projets concrets qui génèrent des emplois et de la valeur pour les communautés locales.

À la croisée de problématiques globales, à la fois démographiques, économiques et environnementales, qu’en est-il de vos interventions dans le domaine de la santé et la protection sociale ?

L’Afd soutient depuis longtemps des programmes dans le secteur de la santé, notamment en matière de soins primaires et secondaires, ainsi que pour la couverture en santé universelle. Nous avons travaillé sur des projets en Égypte, par exemple, où nous agissons depuis plus de six ans dans le domaine de l’assurance santé et de la protection sociale. Nous soutenons aussi des projets dans la protection sociale, en finançant des systèmes publics de filets sociaux et en travaillant avec des acteurs privés pour la micro-assurance santé. Ce travail de long terme permet aux pays de renforcer leur système de santé tout en tenant compte des défis environnementaux et démographiques. Au Bénin, nous sommes présents aux côtés du ministère de la Santé pour améliorer la qualité des soins materno-infantiles, la formation des soignants et la lutte contre les violences faites aux femmes.

S’agissant de l’environnement, quelles sont les urgences aujourd’hui en lien avec le changement climatique ; et les opportunités dans le domaine de la transition énergétique et écologique en Afrique ?

C’est une question vaste, mais pour résumer, chaque territoire doit être vu au cas par cas. Il est essentiel de comprendre les vulnérabilités spécifiques au changement climatique. Par exemple, en Afrique du Nord, la désertification est un enjeu majeur, alors que dans les zones littorales comme le Bénin, on a des problèmes liés aux inondations, à l’accès à l’eau et à la gestion des zones humides. Pour faire face à ces enjeux, nous soutenons des programmes comme la Muraille verte pour lutter contre la désertification, et des projets de gestion durable des littoraux pour renforcer l’infrastructure de drainage et protéger les zones lagunaires. L’Afrique est un continent avec un grand dynamisme et un potentiel énorme d’innovation, notamment dans les domaines de l’agro-industrie et de la transition énergétique. L’enjeu est d’accompagner ce dynamisme, notamment via le soutien à l’entrepreneuriat et à l’inclusion des jeunes. Par exemple, nous investissons dans l’agriculture, avec au Bénin un focus particulier sur la transition agroécologique et la transformation agricole, mais aussi dans des projets liés à la production d’énergies renouvelables. L’Afrique doit aussi tirer parti des nouvelles technologies, comme l’intelligence artificielle, qui peuvent répondre aux défis agricoles, de la santé, et de la formation.

Est-il possible d’assurer sur le continent une activité compatible à 100 % avec l’Accord de Paris suivant le leitmotiv de l’Afd, au regard de la diversité des choix de développement ?

Depuis la Cop21, l’Afd s’engage à avoir des activités totalement alignées sur l’Accord de Paris. Nous faisons en sorte que nos projets d’infrastructures, d’énergie, de transport, respectent les normes environnementales et soutiennent la résilience au changement climatique. Ce n’est pas seulement dans l’intérêt des pays partenaires, mais aussi dans celui des investisseurs. De plus, il y a une prise de conscience généralisée que les investissements dans des infrastructures résilientes sont essentiels pour garantir une croissance durable.

Au cœur des transformations dans tous les domaines de l’activité humaine, l’Afd porte également le numérique. Quelles sont les perspectives en la matière sur le continent et quid de l’intelligence artificielle ?

Le numérique est un domaine en pleine croissance, notamment en Afrique de l’Est. Nous soutenons les investissements dans les infrastructures numériques, notamment au Kenya, pour favoriser une meilleure insertion logistique et offrir de nouvelles opportunités d’emplois. Parallèlement, nous travaillons avec les universités pour développer des filières numériques qui forment des professionnels qualifiés. L’intelligence artificielle est également un sujet d’innovation en Afrique, et l’Afd soutient des projets adaptés au contexte africain, notamment pour l’agriculture, la santé et l’éducation.

Avec une récente réduction, inédite, de l'aide publique française au développement de 37 %, soit 2,1 milliards d'euros, l’Afd a-t-elle toujours les moyens de ses ambitions ?

Effectivement, la réduction de l’aide publique affecte les budgets de l’action publique, mais l’Afd bénéficie d’un modèle unique en étant une banque publique de développement qui mobilise également des ressources sur les marchés financiers. Cela nous permet de lever des fonds supplémentaires et de garantir la continuité de nos investissements. Nos partenariats avec les pays permettent de co-construire des projets, en priorisant les investissements. Ainsi, même avec des budgets réduits, nous pouvons maintenir nos engagements et continuer à financer des projets importants, en particulier dans le domaine de l’infrastructure durable.

Aujourd’hui, 43 % de l’activité de l’Afd concerne directement l’Afrique. Le continent serait par conséquent le plus durement touché par cette coupe substantielle! Quels sont les réajustements prévus dans le déploiement de l’action de l’Afd ? 

L’important est de maintenir une vision à long terme. Même si certaines priorités doivent être réévaluées, nous continuons à travailler avec nos partenaires pour définir ensemble les projets les plus importants. L’Afd est un partenaire à long terme, et l’un de nos atouts est de pouvoir accompagner les pays sur des périodes longues, en s’adaptant aux réalités du terrain et en priorisant les secteurs clés pour un développement durable et inclusif.