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Economie bleue: L’expert Ernest Tindo expose les atouts du Bénin

Economie
Ernest Tindo incite la jeunesse à explorer le chantier de développement de l'économie bleue Ernest Tindo incite la jeunesse à explorer le chantier de développement de l'économie bleue

Le Bénin dispose d'atouts considérables en matière d’économie bleue, mais méconnus alors qu’une bonne partie de la population devrait les exploiter pour stimuler la croissance et la richesse au vu de leur accessibilité. Ernest Tindo, expert en économie bleue et président de l’Organisation panafricaine de la jeunesse pour l’économie bleue (Opjeb), fait découvrir ce vaste domaine économique mal exploité à travers cet entretien et parle des atouts du Bénin en la matière. 

Par   Babylas ATINKPAHOUN, le 22 août 2024 à 08h47 Durée 3 min.
#économie bleue

La Nation : Nous entendons parler de l’économie bleue pour désigner le développement de certaines activités économiques. De quoi s'agit-il concrètement ?

L’économie bleue désigne d’une part l’exploitation durable des ressources des eaux marines, continentales et souterraines et d’autre part l’utilisation des milieux aquatiques en faveur de la croissance économique, l’amélioration des revenus et des emplois, ainsi que la santé des écosystèmes océanique et côtier.

Selon la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique (Cea), « l'économie bleue décrit l'utilisation durable et la conservation des ressources aquatiques dans les environnements marin et d’eau douce. Ceci comprend les océans et les mers, les côtes et les rives, les lacs, les rivières et les eaux souterraines. Il s'agit des activités qui exploitent les ressources aquatiques (pêche, exploitation minière, pétrole, biotechnologies, etc.) ou utilisent les milieux aquatiques (transport maritime, tourisme côtier, etc.), dès lors qu'elles sont réalisées de manière intégrée, équitable et circulaire. Ces activités contribuent à améliorer la santé des écosystèmes aquatiques en établissant des mesures de protection et de restauration ».

En se basant sur l’énorme potentiel de ce secteur pour le continent africain, l’Union africaine a qualifié à juste titre l’économie bleue de la « nouvelle frontière de la renaissance africaine ».

Quels sont les atouts dont dispose le Bénin dans ce sens ?

Sur l’Atlantique, le Bénin dispose d’un littoral de 125 km de long qui lui confère une zone économique exclusive (Zee) de 27 750 km2, soit environ 40 % de sa superficie terrestre, et d’une étendue considérable d’eaux continentales (lacs, lagunes, fleuves et cours d’eau). L’économie liée à tout cet écosystème est composée d’activités traditionnelles (transport maritime, port et services connexes, pêche, transport fluvio-lagunaire, production de sel lagunaire, extraction de sable marin et lagunaire, etc.), d’activités émergentes (aquaculture, tourisme balnéaire et aquatique, hydro-électricité, etc.) et d’activités transversales (câbles sous-marins et  télécommunications, sécurité et sûreté maritimes et portuaires, préservation de l’environnement marin et côtier, formation, etc.). Pour avoir un aperçu de ce que le Bénin gagne ou peut davantage en tirer, nous allons examiner quelques sous-secteurs stratégiques relevant de l’économie bleue.

En effet, le port de Cotonou contribue pour 90 % aux échanges avec l’extérieur, engendre jusqu’à 60 % du Produit intérieur brut (Pib), 80 à 85 % des recettes douanières et 45 à 50 % des recettes fiscales. Il a accéléré sa modernisation et sa compétitivité avec l’extension de ses infrastructures et de ses capacités d’accueil de navires de dernière génération dans le cadre d’un plan directeur dont la mise en œuvre en cours est estimée à environ 255 milliards F Cfa. Cette dynamique devrait favoriser l’éclosion de chantiers navals pour l’entretien des navires. Or, les chantiers navals sont particulièrement pourvoyeurs d’emplois qualifiés pour une masse critique de jeunes. Il est donc nécessaire d’inciter le secteur privé à investir dans les chantiers navals notamment les chantiers de construction de pirogues de pêche et promouvoir des filières de formations spécialisées orientées vers les métiers de la mer et du littoral. La définition d’une politique de pavillon international soutenue par le développement d’une filière de placement des gens de mer dans les navires commerciaux et les navires de pêche industrielle constituent non seulement une piste crédible du renforcement de la croissance économique autour de l’économie maritime mais aussi une réelle opportunité de création d’emplois pour la jeunesse béninoise.

La pêche, quant à elle, joue un rôle clé mais modeste sur le plan socio-économique. Elle occupe 15 % de la population active et contribue pour 8 % au Pib agricole et 3,5 % au Pib national. La production halieutique nationale ne couvre toutefois qu’environ 40 % des besoins du pays. Pour combler ce manque, le Bénin importe depuis 2014 plus de 100 000 tonnes de poissons chaque année. Le développement de l’aquaculture par la production de poisson à des coûts compétitifs est un défi à la fois économique, politique (au sens de la sécurité alimentaire) et bien sûr, social avec un enjeu de création d’emplois pour les jeunes. 

Le tourisme aquatique et balnéaire représente également un sous-secteur stratégique de l’économie bleue du Bénin. En effet, d’après le Conseil économique et social (Ces), en 2021, le tourisme est la deuxième source nationale de rentrée de devises et le troisième créateur d’emplois après l’agriculture et le commerce. Le Bénin dispose d’énormes potentialités en matière de tourisme maritime et balnéaire, avec son littoral, ses nombreuses mangroves, ses lagunes et ses cités lacustres comme Ganvié qualifiée de la « Venise de l’Afrique ».

Avec son écosystème côtier composé de nombreuses mangroves, le pays peut en outre renforcer son positionnement sur le marché de carbone bleu ainsi que son adaptation aux changements climatiques. Les câbles sous-marins, quant à eux,  constituent le nœud central pour les télécommunications et le numérique.

La position géographique du Bénin lui confère donc des atouts indéniables pour développer l’économie bleue. Pour ce faire, deux conditions sine qua non sont à remplir. Adopter une stratégie nationale alignée sur la stratégie de l’économie bleue africaine et les autres documents de politiques et stratégies régionales et sous-régionales ; créer un cadre institutionnel orienté vers l’intersectorialité et la gouvernance bleue, favorable à la définition d’une vision holistique et une approche globale de la gouvernance de l’ensemble des milieux aquatiques.

Vous êtes à la tête de l’Organisation panafricaine de la jeunesse pour l’économie bleue (Opjeb) qui a organisé récemment un forum sur le sujet. Quels en sont les objectifs ?

Nous avons effectivement organisé, du 25 au 27 juillet 2024, à Lomé, au Togo, la première édition du « Forum des jeunes africains sur l’économie bleue». L’objectif de l’Opjeb à travers cette initiative que j’ai eu l’honneur de coordonner en qualité de commissaire général est de sensibiliser la jeunesse africaine au potentiel du continent en économie bleue, aux différents métiers de la mer et du littoral afin de faire émerger une forte motivation des jeunes vers l’économie bleue durable aux fins de réduire le désespoir, la fuite des cerveaux, l’immigration clandestine, en favorisant la création de valeur ajoutée et d'emplois décents pour l’épanouissement de la jeunesse africaine et le développement de l’Afrique.

Alors que l’Union africaine qualifie l’économie bleue de « nouvelle frontière pour la renaissance africaine », nous avons des centaines de jeunes africains qui meurent chaque année dans la Méditerranée en se livrant à l’immigration clandestine. C’est un paradoxe auquel il faut trouver des solutions fiables. C’est pour cela que nous voulons, dans l’intérêt de l’Afrique, connecter la créativité et la vigueur de la jeunesse africaine à ce vaste « territoire bleu » qui est un immense chantier pour le développement de l’Afrique.

De façon spécifique, ces principaux objectifs se résument en quatre points : sensibiliser les jeunes africains aux potentialités de l'Afrique dans le vaste secteur de l'économie bleue ; développer des compétences liées aux métiers de la mer et du littoral au profit de la jeunesse africaine ; connecter la créativité et la force de la jeunesse africaine au chantier du développement de l'économie bleue africaine pour la renaissance de l'Afrique ; et enfin promouvoir le partenariat public-privé au profit du développement de l'économie bleue dans les pays africains.

En tant qu’expert, quelle appréciation faites-vous du regard de la jeunesse sur le sujet ?

La jeunesse africaine dans une large majorité n’a pas une bonne connaissance de la richesse des mers et océans, des eaux continentales et souterraines d’Afrique. Il est important de lui faire découvrir cela en captant son attention par la sensibilisation, de la former aux métiers de la mer et du littoral, d’investir pour créer un écosystème favorable à la valorisation de sa créativité sur ce vaste chantier.

L’organisation du premier Forum des jeunes africains sur l’économie bleue a donc permis d’adopter une feuille de route ayant pour objectif général d’« accélérer la croissance bleue durable et inclusive pour l’Afrique par l’éducation, la formation et les innovations sur les milieux aquatiques ». Elle s’articule autour de quatre principaux axes. Premièrement, nous voulons renforcer la sensibilisation des populations africaines notamment les jeunes, les populations côtières, des îles et celles lacustres aux potentialités de l’Afrique en matière d’économie bleue et la nécessité de la préservation des écosystèmes aquatiques.

Deuxièmement, nous voulons promouvoir la formation pratique des jeunes aux métiers de la mer et du littoral ainsi que dans les technologies appliquées au profit des différents sous-secteurs de l’économie bleue en vue du développement des compétences spécifiques à court et moyen termes.

Troisièmement, nous cherchons à promouvoir les partenariats public-privé, l'innovation et la recherche dans les sous-secteurs de l'économie bleue en Afrique. Et enfin, nous envisageons de renforcer le positionnement de l’Afrique par sa visibilité dans l’économie bleue mondiale ainsi que la promotion de l’économie bleue africaine. En cela, il faut remercier tous ceux qui ont compris l’importance du combat et ne cessent d’accompagner les initiatives dans ce sens■