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Conférence nationale: Les confidences de Robert Dossou, Théodore Holo et Cie

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Deux grands témoins de l’histoire de la Conférence nationale Deux grands témoins de l’histoire de la Conférence nationale

Robert Dossou et Théodore Holo, deux anciens présidents de la Cour constitutionnelle ainsi que plusieurs autres témoins de la Conférence nationale de février 1990 ont partagé leur vécu avec les participants au colloque scientifique organisé par l’Église catholique, ce 28 février à Cotonou.

Par   Arnaud DOUMANHOUN, le 03 mars 2025 à 05h29 Durée 3 min.
#Conférence nationale de 1990

“C’est nous qui avons préparé tous les textes que Kérékou devrait signer, aussitôt après la Conférence nationale”. Robert Dossou, ancien ministre du président Kérékou, est formel. La Conférence nationale ne fut pas chose facile. Plusieurs éléments ont favorisé sa réussite. De son apport personnel du fait de son rang de ministre, aux côtés du chef de l’Etat d’alors, au leadership du prélat, Mgr Isidore de Souza et des autres acteurs, chacun y a mis du sien pour la réussite de ce moment historique. “Le président Kérékou, c’était un homme. Il savait écouter. Il savait se remettre en cause et dans le fond, il craignait Dieu. La preuve, il a attiré le père Gilbert Dagnon vers lui. Et le mot clé que j’ai donné à Kérékou le 28 juillet 1989 est : Camarade président, votre régime a échoué. Ou bien, vous allez dans le sens du changement, et vous serez même applaudi, ou vous irez contre le changement, qui nécessairement se fera, avec ou contre vous, et tous ceux qui vont porter le nom Kérékou sur cette terre du Bénin, seront obligés soit de fuir, soit de changer de nom”, a indiqué Robert Dossou. A l’en croire, cette exhortation à l’endroit du chef de l’Etat a porté des fruits. Ce point fut capital. Car, dès le lendemain, certains professeurs et autres qui avaient écrit une lettre ouverte pour narguer Kérékou, ont été libérés.

En effet, raconte Robert Dossou, les ministres ne rencontraient pas Kérékou. “Quand je suis rentré au gouvernement de Kérékou, j’avais une urgence. J’appelle la présidence, et je tombe sur le protocole. Il me demande d’écrire, de faire une fiche. Je m’y suis opposé, et j’ai menacé de démissionner. Je ne connaissais pas le système. Vous faites une fiche, et l’on trafique la fiche, pour signifier après que c’est rejeté. J’ai cassé cette mesure là, et je lui parlais directement. C’est cela qui a sauvé la Conférence nationale”, a déclaré Robert Dossou qui n’a pas manqué de rappeler le complot contre sa personne et celle du président qui fut déjoué grâce à certains citoyens. “Mathieu Kérékou et Robert Dossou devraient disparaître. C’est vous dire que ça n’a pas été une période facile. Notons que nous étions en 1989-1990 au bord de la guerre civile. Il fallait peu, l’armée du Bénin allait se diviser en deux, le pays allait être divisé en deux. Et je ne sais pas ce que nous aurions obtenu, parce que quand ces choses commencent, on ne sait jamais quand ça finit”, a indiqué Me Robert Dossou.

La vision d’un Bénin uni

Passer de ce monolithisme, cette infaillibilité que le Prpb (Parti de la révolution populaire du Bénin, fondé en 1975 par Mathieu Kérékou) s’était attribué à l’ouverture démocratique tout en évitant la violence, n’était pas un pari gagné d’avance. “Nous étions les représentants de ce peuple à la Conférence nationale. Les décisions ont été prises. Le chef de l’Etat s’est engagé à les respecter. Peut-être que le leadership de Mgr de Souza et les prières du peuple béninois ont contribué à inspirer cette sagesse. Que nos gouvernants puissent être sensibles à cette sagesse afin que notre pays continue de rayonner dans la paix, dans la concorde et dans l’harmonie pour le bien-être des uns et de tous”, a déclaré le professeur Théodore Holo.

A l’en croire, la Conférence nationale est généralement perçue comme un moment de dialogue. Mais, il faut insister sur le fait qu’il ne s’agit pas d’un dialogue entre amis. C’est un dialogue fondé sur la diversité d’opinions. Cet ancien président de la Cour constitutionnelle raconte qu’il faisait partie du groupe de Kouhounou, appelé à l’époque Jeune sensibilité politique, alors qu’ils se considéraient eux-mêmes comme des partis politiques. Ce groupe qui se réunissait à Kouhounou pour préparer la Conférence nationale va entrer en concertation avec celui d’Avrankou, appelé plus tard le groupe de Djrègbé, constitué des anciens partis ayant animé la vie politique. “Notre condition pour aller à la Conférence nationale est qu’elle soit souveraine. J’ai le regret que les communistes qui ont apporté un tribut assez lourd à la tenue de la Conférence, n’aient pas accepté notre démarche qui est celle d’aller à la Conférence nationale, mais de nous retirer si elle n’était pas souveraine”, a expliqué Théodore Holo. L’ancien président de la Cour constitutionnelle poursuit : “La souveraineté a été acceptée parce que lorsque la décision a été prise à la majorité, nous avons entonné l’hymne national. Nous nous sommes tous reconnus dans notre hymne national, et nous nous sommes levés. Ce qui est déjà une manifestation expresse du consensus autour des valeurs qui peuvent nous réunir, à savoir la nation. Parce que la nation, c’est surtout un rêve d’avenir partagé. Nous avions la même vision d’un Bénin uni, pacifique, engagé désormais dans la démocratie”.

Une souveraineté respectée

Le président Mathieu Kérékou a accepté d’appliquer avec réalisme les décisions de la Conférence nationale, relève le professeur Holo, et ce fut un soulagement pour tous les participants. Pourtant, il était dépouillé de toutes ses attributions. La vie politique pendant la transition, devait être dirigée par le Premier ministre. Le président Kérékou a aussi signé l’ordonnance qui installait à l’issue de la Conférence nationale, le Haut Conseil de la République, comme le parlement de transition. “C’est pour montrer que, même quand on est chef de l’État, l’on ne peut pas dire qu’on est au dessus des normes et de la volonté du peuple souverain”, a déclaré le professeur Holo, ancien membre du Haut conseil de la République. Mais tout cela n’a pas été possible sans la contribution des médias.

“J’ai découvert dans la préparation, dans le déroulement, une liberté de presse exercée par des journalistes qui étaient courageux. Malgré les menaces, ils ont fait leur travail et l’information était continue. Aussi, toutes les conditions auraient pu être réunies si la population n’était pas déterminée à aller au bout en dépit des menaces qui ne pesaient pas seulement sur les participants dans la salle, mais aussi sur les populations à l’extérieur...”, a rappelé dame Lydie Akibode Pognon. Elle poursuit, expliquant que la prière n’est pas chose vaine: “Je me souviens qu’en fait tout a commencé avec la messe dite par Mgr de Souza en décembre 89, où il exhortait les laïcs à prendre part à toutes les activités qui devaient entraîner le changement. Un certain nombre de groupes ont commencé à se réunir. C’est de là qu’est né le Club Perspective 21, dont nous faisions partie. Ce n’était pas évident de mener des réflexions au vu et au su de tout le monde. Il y avait de la méfiance et de la peur”.

Dame Lydie Akibode Pognon raconte qu’il y a eu des journées de jeûne, de prières, de toutes les obédiences. Et des messes quotidiennes avec Mgr de Souza sont dites avant le départ pour le Plm (lieu où s’est tenue la Conférence nationale), tous les matins. “On méditait la parole et on prenait départ à partir de Saint-Michel. Puis, il y a les méditations silencieuses. Pendant que les autres discutaient et parlaient démocratie et tout le reste, il y en a dont la tâche assignée était de mener les prières silencieuses. Tout cela aussi a permis l’avènement du miracle”, a-t-elle conclu.