Dr Ayéna Ogouma sur la fonction de député au Bénin: « Les missions ne sont pas si bien connues »
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Par
Fulbert Adjimehossou, le 02 janv. 2023
à
13h37
Après trois décennies de démocratie, la fonction du député au Bénin n’est pas suffisamment connue et exercée. Quelques contraintes ont été relevées par Dr Ayéna
Ogouma dans sa thèse de doctorat soutenue le 30 décembre 2022 à l’Université de Parakou. Le chercheur fait quelques propositions dans cette interview.La Nation : Nous sommes à moins d’une semaine des législatives de 2023 et vous soutenez une thèse sur la fonction du député. Pourquoi cette étude ?
Dr Ayéna Ogouma : Au prime abord, l’Assemblée nationale béninoise est au cœur des débats d’actualité ces dernières années avec pour centre d’intérêt l’exercice par le député de son mandat, le fonctionnement de l’institution parlementaire et de façon générale l’état de la démocratie béninoise. Cependant, les recherches scientifiques sur le Parlement et plus principalement celles portant sur le député lui-même font l’objet de peu d’intérêt. Une thèse sur “La fonction de député au Bénin” dans le contexte actuel des élections législatives du 8 janvier 2023 s’inscrit dans une approche de contribution pour enrichir ce domaine de la science qui a besoin d’être approfondi. Nous avons voulu mettre en relief de façon approfondie l’exercice par le député de ses missions constitutionnelles. Cette contribution permet de renforcer ce domaine de la recherche scientifique qui a été longtemps délaissé par les chercheurs au Bénin. À l’amorce de cette thèse, nous avons été très tôt rattrapé par l’actualité politique dont tous les centres d’intérêts se sont retrouvés principalement au parlement. La réforme du système partisan à travers la relecture de la Charte des partis politiques en 2018 et 2019 et celle du Code électoral avec de nouvelles dispositions dont le quitus fiscal et le seuil de 10 %. Plus tard, est intervenue la révision de la Constitution du 11 décembre 1990 en 2019 avec la loi n° 2019-40 du 07 novembre 2019 et de nouvelles dispositions relatives à la limitation à deux du renouvellement du mandat parlementaire, à la durée du mandat qui passe de quatre à cinq ans et la possibilité qui s’offre désormais au député titulaire de mettre fin à sa suppléance. Ces réformes constitutionnelles, législatives et politiques ont fortement impacté la fonction de député au Bénin. D’où tout l’intérêt une fois encore de notre étude.
Quelle analyse faites-vous de cette fonction ?
La première législature a été reconnue par nombre d’acteurs, comme ayant impacté positivement la démocratie béninoise du fait de la qualité des députés qui composaient ce parlement. Après cette législature et à maintes occasions, des critiques acerbes ne cessent d’être portées particulièrement contre l’institution parlementaire et plus précisément contre les députés. En effet, la démocratie moderne place le Parlement en son cœur et le député en constitue l’artisan principal. Voter la loi, contrôler l'action gouvernementale et représenter le peuple sont des missions dont l’accomplissement requiert de l’élu, un minimum de prérequis sans lequel l’honorabilité de la fonction serait remise en cause, avec une perte constante de légitimité. Le député doit développer des valeurs intrinsèques en n’occultant pas qu’un parlement moderne s’équilibre au maximum entre femmes et hommes. Notons que, emporté par sa réélection, le député est fortement engagé dans un assistanat social au détriment de sa fonction. Quant au contrôle parlementaire, annoncé comme la fonction prioritaire du parlement, il est devenu de plus en plus invisible. Toutefois, ces constats ne remettent pas en cause la place de l’institution parlementaire dans une démocratie comme celle du Bénin. Il faut beaucoup plus d’efforts pour mieux faire connaître la fonction du député. Les missions ne sont pas si bien connues des populations.
Avez-vous l'impression que les populations ignorent tout de la fonction du député ?
Les populations n’ignorent pas tout de la fonction du député. Le constat est que les connaissances des populations sont limitées et des efforts restent à faire pour une meilleure connaissance des missions dévolues aux députés par la Constitution. Nos travaux apportent une lumière sur la fonction de député au Bénin. Cette situation s’explique par le fait que les députés eux-mêmes sont des hommes politiques qui touchent presque à tout et donnent l’impression d’être en mesure d’apporter des changements réels dans le vécu quotidien des populations.
Y a-t-il aujourd'hui des limites, après trente ans de démocratie ?
Après plus de trente années d’une riche activité parlementaire, nous pouvons mettre en relief quelques limites de la fonction de député. Des limites sont liées aux rivalités quelque-fois conflictuelles entre les députés et le Parlement dans son ensemble avec le pouvoir exécutif, les juridictions constitutionnelles et judiciaires. D’autres limites sont liées par exemple au faible engagement des députés dans les propositions des lois, l’apport des amendements aux textes en cours de discussion pour adoption par les députés et le contrôle de l’action du gouvernement ; le silence érigé en mode d’expression par des députés. Il y a une nécessité d’appuyer le travail des députés à travers la création du corps des assistants parlementaires pour un accompagnement adéquat. On note l’emprise de l’assistanat social sur le travail parlementaire. Les députés sont, malgré eux, contraints d’être aux côtés de leurs populations pour jouer plusieurs rôles. Le député doit répondre à de nombreuses sollicitations de ses mandants. Il y a une présence très marginale des femmes au sein de l’Assemblée nationale et malgré les dernières réformes, il n’est toujours pas une certitude d’en arriver à un équilibre entre les hommes et les femmes. Les limites identifiées sont surmontables et les députés de la prochaine législature doivent œuvrer pour corriger progressivement ces points faibles qui entravent le travail parlementaire. La prochaine législature que nous souhaitons de diverses sensibilités politiques apportera sans doute sa contribution?