Invasion russe en Ukraine : Guerre mondiale, répercussions locales
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Collaboration extérieure, le 27 avr. 2022
à
10h16
La guerre entre la Russie et l’Ukraine n’est pas qu’une guerre entre deux mondes, ou deux visions du monde. Elle est une guerre mondiale, ne serait-ce qu’à travers ses acteurs, ses ramifications, et ses conséquences. A preuve, elle frappe durement l’Afrique, qui peinait déjà à sortir de la pandémie de Covid-19. Comme quoi, un malheur ne vient jamais seul...
« L’Afrique doit se préparer, à l’inéluctabilité d’une crise alimentaire mondiale », martelait vendredi dernier à Washington, le président du Groupe de la Banque africaine de développement, le Nigérian Akinwumi Adechina. C’était à l’occasion d’une conférence sur les priorités africaines du moment, organisée par l’Africa Center de l’Atlantic Council. Et l’homme s’est montré assez pessimiste sur le sort du continent, dans ce contexte de guerre mondiale, qui ne dit pas son nom.
En effet, dans un contexte dit de mondialisation et de globalisation, cette guerre est avant tout « mondiale ». Et relevons d’entrée, qu’elle pose de sérieux défis économiques, d’abord à la Russie qui l’a déclenchée. Selon le Fmi, si la hausse des prix du gaz et du pétrole, épine dorsale de l’économie de la Russie, lui est favorable, ses exportations vont souffrir à l’avenir. Selon cette institution, « Moscou doit se préparer à voir son Pib se contracter de 8,5 %, et l’inflation pourrait dépasser les 20 %, cette année ». Que dire alors de l’Ukraine, qui voit ses villes et ses principales infrastructures économiques réduites en cendres ? Cette guerre, qui risque de redessiner des frontières, et rebattre des cartes, pose ensuite d’énormes difficultés aux puissances européennes, qui dépendent pour la plupart du gaz, des exportations de céréales et d’engrais d’Ukraine. Un pays comme l’Allemagne par exemple, qui a décidé dans la foulée de cette guerre, de dépenser dorénavant 100 milliards d’euros pour sa défense, ne sera plus jamais le même Etat fédéral qu’on a connu depuis les lendemains de la seconde guerre mondiale. En effet, comme le soulignait un expert, « l’irruption de la guerre et de ses horreurs, à la frontière de l’Union européenne, la transformation d’un régime autoritaire, exprimant son hostilité à l’Europe, en régime dictatorial, disposant du plus grand nombre d’ogives nucléaires de la planète, et menaçant de pires représailles, ceux qui s’aventureraient à lui tenir tête, changent profondément la donne pour les politiques économiques ».
Voici pourquoi, Nicole Gnesotto, vice-présidente de l’Institut Delors, spécialiste des questions européennes, conclut que « la guerre en Ukraine constitue à la fois un choc quasi mortel, et un réveil pour l’Union européenne...Une Europe qui découvre la vanité, l’obsolescence de tout ce à quoi elle croyait jusque-là ». Et la donne politico-économique se résume en ces quelques chiffres : la Russie est le premier producteur mondial de blé (l’Ukraine est cinquième), un des plus importants exportateurs de pétrole, fournit environ 40 % du gaz européen et produit d’importantes quantités de métaux. Le pays est le premier producteur de palladium, utilisé pour la construction des pots catalytiques des voitures, notamment ; le deuxième producteur d’aluminium et de nickel ; le septième producteur mondial de cuivre. L’Ukraine, quant à elle, est le premier producteur mondial de maïs !
L’Afrique en victime
« Quand les éléphants se battent, ce sont les herbes qui en font les frais », énonce le proverbe. Comme l’a souligné le président de la Bad, « les pays les plus vulnérables d’Afrique, sont déjà les plus durement touchés par des conflits, le changement climatique et la pandémie de Covid-19, qui ont anéanti bien de progrès économiques et sociaux sur le continent ».
A ce sombre tableau, il faudra désormais ajouter les répercussions de la guerre en Ukraine. Les deux principaux belligérants que sont la Russie et l’Ukraine fournissent 30 % des exportations mondiales de blé dont le prix a pratiquement augmenté de 50 % au niveau mondial, atteignant presque le même niveau, que lors de la crise alimentaire mondiale de 2008. En effet, nombre d’experts le disent, chiffres à l’appui : « le triplement du coût des engrais, l’envolée des prix de l’énergie, et l’explosion du prix du panier de la ménagère, pourraient s’aggraver en Afrique, dans les mois à venir ».
Le président de la Bad de préciser à ce propos, « que 90 % des 4 milliards de dollars d’exportations de la Russie vers l’Afrique en 2020, étaient constitués de blé ; 48 % des quelque 3 milliards de dollars d’exportations de l’Ukraine vers le continent, étaient constitués de blé et 31 % de maïs. » Pour Matthieu Le Grix, expert agricole à l’Agence française de développement, « la part de l’alimentation dans le budget des ménages en Afrique, est particulièrement élevée. En Afrique de l’Ouest, on parle de 40 à 50 % du budget des ménages, qui est consacré à l’alimentation. Donc, toute hausse des prix de l’alimentation, a un impact très important sur le pouvoir d’achat. Et s’agissant de l’impact sur le prix du blé, ce sont les populations urbaines qui vont être touchées en direct ». L’autre élément très important que souligne l’expert, c’est l’augmentation du prix des engrais. Cela va poser, estime-t-il « la question de la sécurité alimentaire, non pas maintenant, mais dans toute l’année qui vient, et en particulier dans un an, parce que les engrais étant plus chers, la production en 2022, notamment au Sahel, risque d’être moins importante...Et c’est donc la soudure 2023, qui risque encore une fois, d’être très critique ». Mais au-delà de l’impact de cette guerre, sur les prix des produits alimentaires et énergétiques, le professeur Serigne Bamba Gaye, expert des relations internationales, relève les retombées « de la guerre, sur le financement européen des opérations de paix en Afrique, le risque d’une paralysie du Conseil de sécurité, au sujet de dossiers africains, et aussi le risque de divisions au sein du continent, à cause des pressions fortes exercées sur les pays africains, pour prendre position dans ce conflit ».
Mécanismes de subventions
Plusieurs pays dont le Bénin ont pris une batterie de mesures pour parer au plus pressé. Ce n’est pas moins de 80 milliards de F Cfa que l’Etat béninois a déboursés pour la stabilisation des prix. Les produits concernés sont le riz, le blé, l’huile végétale, le gazole, le ciment et plus généralement les produits d’importation. Au titre de la campagne agricole 2022-2023, les besoins en engrais du Bénin ont été estimés à 271 000 tonnes. Constatant après l’attribution des offres au niveau de l’Association interprofessionnelle du Coton (Aic) que le sac de Npk revenait à 22 500 F Cfa, et que celui de l’urée culminait à 28 200 F Cfa, ce qui est hors de portée des producteurs, le gouvernement a décidé d’homologuer le prix de cession à 14 000 F Cfa le sac. Ce qui crée un trou de 54 milliards à combler ! Au total, l’Etat béninois a dû renoncer à de nombreuses taxes et redevances pour stabiliser les prix. A l’instar d’un pays comme la Côte d’Ivoire qui a mis une vingtaine de biens de consommation sur la liste des prix règlementés, tout en interdisant l’exportation de certains produits vivriers. Au Nigeria voisin, les prix des produits fertilisants avaient déjà explosé durant la pandémie mondiale de Covid-19. Ils sont repartis à la hausse, pour cause de la guerre en Ukraine. Fort heureusement, le Nigeria a inauguré récemment une toute nouvelle usine d’engrais d’Aliko Dangoté. N’empêche, la flambée des prix demeure une énorme préoccupation pour le gouvernement Buhari. Ailleurs en Rdc, 85 millions de dollars avaient été budgétisés, dans le cadre de la subvention pour les produits pétroliers, cette année. « Or au rythme actuel de la hausse des prix à l’international, si on veut maintenir la stabilité des prix en Rdc, on sera autour de 400 millions de dollars à dépenser. Ce que nous n’avons pas », explique une source, au ministère congolais des Finances. C’est dire les avantages, mais aussi certaines limites de la politique de subventions.
En effet, la question qui se pose de nos jours est bien celle de la pérennité des mécanismes de subventions mis en place par les Etats africains. Certains penchent pour un mécanisme de stockage, à la fois à l’échelle nationale, et à l’échelle sous régionale. Et on souligne à cet effet que la Cedeao dispose d’une politique et d’un mécanisme de stockage régional qui fait jouer la solidarité régionale, en cas de crise alimentaire. Mais connaissant les lourdeurs administratives de l’institution ouest-africaine, on peut émettre légitimement quelques réserves. Toujours est-il que la crise actuelle devrait être plus une opportunité qu’une menace. Ce sera la seule manière de retenir des leçons, tout en prévenant de futurs conflits. D’autant que nul ne sait quand et comment finira la crise actuelle. Un chercheur associé de l’Institut Delors, Cyrille Bret, estime « que la cessation des hostilités à court terme est peu probable ». Il a identifié à ce propos, trois scénarios possibles : celui d’une partition assortie d’une négociation, et de l’établissement d’un traité de paix avec une Ukraine, aux frontières redessinées ; celui d’une renonciation de la Russie à son entreprise, sous le coup des sanctions, et de la résistance des forces armées, et de la société civile ukrainienne ;
et enfin le scénario de tension et du pourrissement qui ferait de l’Ukraine, un champ de bataille pendant des années. Dans ce dernier cas, une véritable révolution s’imposera sur divers plans, dans le monde entier. Encore plus, sur le continent africain, réputé vulnérable. C’est dire qu’ici et maintenant, les pays africains doivent commencer par revoir leur mode de consommation, tout en renforçant leurs capacités de production. Notre pays, le Bénin, globalement autosuffisant au plan alimentaire, doit donc plus que jamais, poursuivre sa politique de diversification et de mécanisation de son agriculture, énoncée par le Pag 1 et 2.