La Nation Bénin...
Le
Bénin n’a réalisé l’autonomie de sa politique économique qu’à partir de 2016
avec l’avènement du président Patrice Talon. Bien avant, le pays était gouverné
sur la base des Programmes d’ajustement structurel (Pas), et après des
Documents de stratégies de réduction de la pauvreté (Dsrp) devenus par la suite
Documents de stratégies de croissance et de réduction de la pauvreté (Dscrp).
Tel est l’état des lieux en matière de gouvernance économique et sociale du
Bénin, de 90 à nos jours, que décrit ici Albert N. Honlonkou, Professeur agrégé
d’économie et directeur de l’Ecole nationale d’économie appliquée et de
management (Eneam).
La
Nation : Quel était l’état de la gouvernance économique et sociale à la fin des
années 80, ayant concouru à l’organisation de la Conférence nationale des
forces vives de la nation de février 90 ?
Prof. Albert N. Honlonkou : Quand le gouvernement militaire révolutionnaire (Gmr) a pris le pouvoir par coup d’Etat en 1972, cela coïncidait avec le boom pétrolier nigérian, permettant à l’Etat de nationaliser des entreprises privées et d’en créer beaucoup d’autres. Cela offrait la possibilité de recruter systématiquement tout diplômé sorti de l’école. Cela a duré jusqu’en 1986. Mais bien avant, vers la fin des années 80, beaucoup d’entreprises n’ont pu survivre à cause d’une gouvernance d’entreprise politisée et mauvaise. La crise économique et sociale survenue vers la fin des années 80 a été catastrophique, aboutissant à la dépression de 1989 avec un taux de croissance négatif de près de -3 %. Le gouvernement d’alors pensait que ceux qui ont créé la crise économique sont les valets locaux de l’impérialisme international. Ceci mua la crise économique en une crise politique avec à la clé une répression des opposants politiques parmi lesquels les hauts cadres de l’administration publique. Certains ont réussi à s’exiler, mais beaucoup sont emprisonnés et torturés.
On
peut affirmer que la gouvernance économique avant l’année 1990 était
caractérisée par la faillite de l’Etat, une dépression économique, des arriérés
salariaux et de bourses de plusieurs mois, la contrebande organisée par de
grands fonctionnaires, la faillite sociale. C’est ce contexte de crise qui a
conduit à la conférence nationale.
Face aux déficits jumeaux (déficit budgétaire et déficit du compte courant), le Programme d’ajustement structurel (Pas) était la seule politique économique proposée par le Fonds monétaire international (Fmi) et la Banque mondiale (Bm). Le gouvernement socialiste d’alors y a résisté pendant un moment qualifiant cette option de libérale. En effet, les pays qui acceptent ce programme était obligés d’adopter des politiques budgétaires d’austérité: compression des dépenses publiques, réduction du train de vie de l’Etat, privatisation, licenciement massif dans les entreprises publiques. Le gouvernement de la transition, après la conférence nationale, dirigé par le premier ministre Nicéphore D. Soglo a dû s’y résoudre. Ceci a été bénéfique, aboutissant à un taux de croissance économique de 9 % en 1990.
Donc
de 1990 à 2015, le Bénin n’a pas eu une politique économique autonome. Avec le
gouvernement Soglo, c’étaient les Pas qui ont été mis en œuvre. C’est pourquoi
le volet économique n’avait pas été un aspect essentiel de la conférence
nationale. Il était déjà prédéterminé. Sous le régime Kérékou 2, il n’y avait
pas eu aussi une politique économique autonome. A l’époque, ce sont les Pas
suivis des Documents de stratégies de réduction de la pauvreté (Dsrp) pilotés
par le Fmi et la Banque mondiale. Avec le président Boni Yayi, c’étaient les
Dsrp. Dans la dernière phase, le gouvernement a commencé par parler de
Documents de stratégies de croissance et de réduction de la pauvreté (Dscrp),
sans véritable autonomie de la politique économique.
A
partir de 2016, c’est toujours le libéralisme économique, mais nous avons
maintenant une politique économique autonome et assumée pilotée par un puissant
instrument de planification et de gouvernance, le Bureau d'Analyse et
d'Investigation (Bai) créé en 2016 et qui a élaboré et suivi rigoureusement les
Programmes d’action du gouvernement, Pag 1 et 2. Le Bai est un outil de
coordination interministérielle dont la mission est de contribuer à garantir la
qualité des réformes et des programmes initiés par le gouvernement. II assure
également le contrôle de la gouvernance des projets et programmes.
Cette rigueur dans la gouvernance a fait que, malgré un contexte difficile marqué par la fermeture des frontières avec le Nigéria, la Covid-19, la guerre russo-ukrainienne et la fermeture des frontières avec le Niger, d’importants résultats ont été réalisés, montrant une résilience de l’économie béninoise. L’arithmétique de la croissance économique cumulée sur la période 1990 montre que la richesse nationale créée, mesurée par le Pib, aura augmenté d’environ 80 % en 10 ans sous la gouvernance Talon. En comparaison, la richesse nationale aura augmenté de 55 % en 10 ans de gouvernance Kérékou 2 et de 51 % en 10 ans de gouvernance Yayi. C’est un résultat extrêmement important qui montre que quand la gouvernance est mieux structurée, ça fonctionne.
D’autres
aspects de la gouvernance Talon sont venus renforcer l’autonomie de la
politique économique…
L'efficacité et l'efficience de l'administration concernent la capacité de celle-ci à formuler et à exécuter de bonnes politiques. Cette dimension inclut la quantité et la qualité des services publics, la qualité de la bureaucratie (efficacité de l'administration), la compétence des fonctionnaires, l'indépendance de l'administration des pressions politiques et l'engagement crédible des gouvernants sur leurs politiques. La gouvernance par les agences et la digitalisation sous la présidence Talon ont permis de contourner les lourdeurs administratives, de réduire les coûts de transaction des services publics. La création de l’Agence de Promotion des investissements et des Exportations (Apiex) a permis d’assurer la création rapide d’entreprises ; l’urbanisation (Odd 11, villes et communautés durables), étroitement liée à l'Odd 3 (santé et bien-être pour les enfants en termes de lutte contre le paludisme et les maladies hydriques) ; la mobilisation des ressources intérieures et la politique d'endettement ont également montré des succès (mobilisation des fonds Odd, Eurobonds, emprunt innovant avec garantie Aid, etc.).
Il
faut mentionner aussi la qualité de la réglementation. Cette dimension se
focalise plus sur les politiques elles-mêmes. Elle inclut les politiques qui
introduisent des distorsions sur les marchés tels que le contrôle des prix, la
supervision inadéquate des institutions financières, les perceptions sur les
charges imposées par une régulation excessive dans les domaines tels que la
production, le commerce et le développement des affaires. Avec la surveillance
actuelle des institutions financières, on peut affirmer qu’il est impossible
d'avoir un scandale financier comme Icc services. Il convient néanmoins d’être
prudent dans le contrôle des prix agricoles pour encourager l'industrialisation
en s’assurant que les producteurs ne sont pas les grands perdants. Ainsi, il
convient d’assurer le juste prix aux producteurs de coton, de soja, d'anacarde,
etc.
La
primauté du droit ou l'application des règles et des lois prend en compte la
mesure dans laquelle les agents publics ont confiance et se conforment aux
règles de la société. Cela inclut leurs perceptions de l'incidence de la
criminalité, l'efficacité et la prédictibilité du système judiciaire, le
respect des contrats, surtout en matière de droits de propriété. Dans ce
domaine, la création du Tribunal de commerce à côté du Camec de la Cci Bénin,
le code foncier et domanial accompagné de la création de l'Agence nationale du
domaine et du foncier (Andf) et de la Cour spéciale des Affaires foncières
(Csaf) sont des succès francs.
Le
dernier aspect de mon intervention sur les succès de la gouvernance Talon est
le contrôle de la corruption. La corruption est conventionnellement définie
comme l'exercice du pouvoir public pour des gains privés. Elle existe sous
plusieurs formes : administrative, marchés publics, appropriation des fonctions
de l'Etat, népotisme/clientélisme, engagement crédible. Elle représente donc
une défaillance en matière de gouvernance.
Sur le plan de la lutte contre la corruption, les instruments tels que le Bai, la Criet et la digitalisation donnent des résultats lents, mais positifs et progressifs. Sur l'échelle de l'Indice de perception de la corruption (Ipc) de Transparency International, de 36 points/100 en 2016, le Bénin est monté à 45/100 en 2024, soit en moyenne un gain de 1 point par an. Le Bénin est au même niveau que le Sénégal, la Côte d'ivoire, Sao Tomé-et-Principe, mais en dessous de l'Ile Maurice (51 et 56e), du Rwanda et du Botswana (57 et 43e), Cap Vert (62 et 35e), mais au-dessus de la Chine (43 et 76e), du Ghana (42 et 80e, 43 en 2023), du Burkina (41 et 82e), de l'Afrique du Sud (41 et 82e), du Maroc (37 et 99e), du Niger (34 et 107e), du Kenya, du Togo (32 et 121e), Mali (27 et 15e) et bien sûr du dernier, le Soudan du Sud (8 et 180e).
Toujours avec le régime Talon, les Béninois sont de plus en plus habitués à un terme : la transparence budgétaire. Cela a même valu des lauriers au pays à l’étranger. C’est sans doute une avancée aussi.
La
transparence des finances publiques ou la transparence budgétaire, le fait de
rendre publiques des informations complètes, claires, fiables et actuelles sur
l'état des finances d'un pays, est indispensable pour une gestion responsable
des fonds publics.
En matière de transparence budgétaire (information au public), le Bénin part d'une note de 45/100 en 2015, 39/100 en 2017, pour monter à 79/100 en 2023 pour une moyenne mondiale de 45/100 de 125 pays, selon la notation de l’International budget partnership (Ibp) qui mène une enquête sur le budget ouvert. Avec cette note, le Bénin se hisse au sommet des pays francophones ou même africains en dehors de l'Afrique du Sud (83/100), dépassant même la France (74/100). Mais la faiblesse du Bénin est au niveau de la participation du public et de la Cour des comptes en matière d'audit et d’enquête sur le terrain pour vérifier les réalisations. A titre d’exemple, lorsque le gouvernement finance une adduction d'eau dans un village, il suppose que les populations d'un périmètre donné ont accès à l'eau potable, même si l'ouvrage n'est pas fonctionnel. Il revient à la Cour des comptes de détecter de telles anomalies.
Malgré les succès, quels sont les défis à relever pour un développement inclusif durable?
Il faut voir ces défis sous la forme de leçons apprises. Si le gouvernement Talon a eu des résultats rapides, c’est parce que, entre autres, il a recours à la main-d’œuvre étrangère. En conséquence, la main-d’œuvre béninoise moins qualifiée n’est pas suffisamment mise au travail et « l’argent ne circule pas. » De plus, faire recours à la main d’œuvre étrangère signifie qu’il faut s’endetter pour payer en devises, aggravant ainsi le déficit du compte courant. C’est pourquoi, il faut développer la formation, la recherche et l'innovation scientifique pour avoir moins recours à l'expertise étrangère. En plus, il faut explorer les possibilités de promouvoir le partenariat public-privé. L’aspect final qu’il convient de soulever, c’est le suivi social des réformes afin de lutter efficacement contre les inégalités et la pauvreté.