La Nation Bénin...
La
réorganisation de la chefferie traditionnelle était plus que nécessaire pour
assainir cet espace socioculturel. Le gouvernement s’y est engagé avec la mise
en place d’une commission technique dont le rapport a permis l’élaboration d’un
projet de loi. Président de la commission chargée de l’élaboration du cadre
juridique de la chefferie traditionnelle au Bénin, professeur Albert Bienvenu
Akoha revient sur la méthodologie adoptée dans le travail et les motivations
des différents choix qui ont été faits.
La Nation : Pourquoi est-il important de réorganiser la chefferie traditionnelle au Bénin ?
Prof
Albert Bienvenu Akoha : Il est nécessaire de réorganiser la chefferie
traditionnelle aujourd'hui, parce que beaucoup de nos compatriotes profitent du
vide juridique qui existe depuis notre accession à l’indépendance. Ils en
profitent pour s’attribuer des titres auxquels ils n'ont pas droit, créant
ainsi un grand désordre. A la limite, chacun peut s’improviser roi ou chef sans
véritable légitimité, simplement en descendant dans la rue. Il est donc très
important pour la République de régler ce problème. Car aux élections et dans
d'autres circonstances, ces faux chefs perturbent fortement l’ordre
démocratique. La démocratie ne peut pas s’accommoder d'une telle situation.
Il
faut reconnaître que la chefferie traditionnelle de notre pays a connu deux
périodes de crise. Premièrement, la période coloniale. Le 22 juin 1894, avec la
création de la colonie du Dahomey et dépendances, le colon français a mis fin à
l'existence des royaumes et chefferies traditionnels existants.
Sous
l'administration directe française, la chefferie traditionnelle n'était plus
reconnue comme structure de gestion de la société.
Deuxièmement,
il y a la période révolutionnaire. Après la révolution du 26 octobre 1972, dans
sa lutte contre la sorcellerie, la révolution s’en est également prise à la
chefferie traditionnelle.
Ce
n'est qu'après la Conférence nationale de février 1990 qu'on assiste à un
réveil des chefs et rois, mais dans un désordre général. Il fallait donc mettre
de l’ordre pour redonner à la chefferie ses lettres de noblesse.
Cette
situation a entraîné une "royaumisation" de notre société. Il existait des rois sans royaumes, ou
plusieurs rois dans un même village, sans qu’aucun ne puisse délimiter
l'étendue de son autorité royale.
Il
était donc urgent de remettre de l'ordre, d'autant plus que la Constitution
révisée en 2019, à son article 151.1, reconnaît la chefferie traditionnelle
comme garante des us et coutumes en République du Bénin.
Quelle a été la méthodologie adoptée par votre commission ?
On
a tenu compte de tous les horizons de savoir sur la question. Il faut noter que
la commission mise en place est interdisciplinaire. Elle est composée
d'historiens, de socio-anthropologues, de géographes, de linguistes, de
juristes et de personnes ressources.
Mieux,
les 17 membres ont été choisis pour représenter toutes les aires
socioculturelles du pays. Ce n'est pas seulement de la pluridisciplinarité,
mais bien de l’interdisciplinarité, ce qui est important d’un point de vue
épistémologique.
La
préoccupation de réguler la chefferie existait avant l’arrivée du président
Talon, sans trouver de réelles solutions. En 2012, le département d'histoire et
d'archéologie avait été mandaté pour produire une étude intitulée :
«Historicité et espaces de pouvoir traditionnel au Bénin ». Ce travail est une
base essentielle pour le travail de la commission actuelle. Le terrain avait
déjà été déblayé par les historiens.
Sur
cette base documentaire, la commission a enrichi ses sources. Utilisation
d'ouvrages d'experts comme le professeur Maurice Ahanhanzo-Glèlè : « Du pouvoir
Adja à la Nation Fon », consultation des archives nationales sur les décrets
coloniaux concernant la chefferie (ex : les chefs de canton).
Après la documentation, la commission a organisé une grande prospection de terrain. Divisée en quatre sous-commissions, nous avons parcouru tout le Bénin pour rencontrer directement les acteurs concernés.
Ce
travail de terrain a révélé l’existence de plus de 300 rois sur le territoire
national. On a rencontré même un qui se disait 17e roi de sa région mais n’a
pas pu nous dire le nom du 16e roi à qui il succédait. La fraude était de trop.
Après
cela, nous avons organisé deux ateliers méthodologiques pour déterminer
l'orientation que doivent prendre nos investigations. Après tout cela, nous
disposons d'éléments socio-historiques pour l'élaboration du cadre juridique de
la gestion des avis traditionnels. Le rapport général est disponible. Les
autres documents serviront de base pour la rédaction du rapport final. C'est un
travail minutieux. Nous avons mené le travail de terrain avec rigueur. Nous
n’inventons rien.
Mais
les vérités historiques ont ceci de particulier qu’elles sont souvent mal
comprises.
C’est
d’ailleurs pour cette raison qu’il existe un délai avant la déclassification
des archives d'une nation. La tâche qui nous incombe est donc difficile. Et
nous avions l’obligation d’adopter un langage suffisamment fluide pour ne pas
offenser les descendants de ceux qui sont mis en cause. Mais ce n’est pas une
faiblesse quand on nous amène à dire les choses telles quelles sont comme c’est
le cas maintenant, nous sommes bien obligés de dire les critères que nous avons
établis pour dire que tel individu peut être considéré comme roi ou que tel
autre ne répond pas à ces critères. Les critères sont bien définis dans notre
rapport.
Ainsi
au cours des ateliers méthodologiques, les trois critères définis pour essayer
la catégorisation de nos entités politiques traditionnelles, (critères que vous
retrouverez d’ailleurs dans l’ouvrage « Historicité et espace du pouvoir
traditionnel »), se résument à ceci : Premièrement, quel est l’espace
géographique couvert par l’entité en question. Deuxième critère, quel est le
type de pouvoir et son niveau de concentration ? Troisième critère, quel est le
type de société et son niveau de différenciation ?
Lorsque
ces trois critères sont pris en compte et qu’on s’en sert pour étudier chacune
de nos entités politiques traditionnelles, on obtient la catégorisation que
vous retrouverez dans la loi votée et promulguée.
Il
est important d’ajouter à cela, qu’il y a eu un marqueur chronologique très
fort qui prouve que la base du travail est essentiellement et exclusivement
scientifique. En 1894, quand démarrait concrètement la colonisation du Bénin
méridional, nos sociétés traditionnelles étaient relativement bien organisées,
chacune avec ses formes d’organisation sociale. On peut dire qu’en dépit des
petites tensions, des petits conflits du voisinage qui existaient, nos entités
politiques existaient et fonctionnaient tant bien que mal. Mais le colon, en
s’installant, avait besoin de désarticuler tout ce que nous avions
d’organisations sociales traditionnelles, pour installer son administration à lui.
Et ça, malheureusement il l’a essayé et l’a réussi.
Et
trois ans plus tard, il va monter vers le septentrion de notre pays où il va
réussir la même chose. Ce qui veut dire que suivant ces trois critères, on a
essayé d’analyser tout ce qui existait comme entités politiques
traditionnelles, à la veille de la colonisation de notre pays. Ce qui veut dire
que si une entité politique est créée après 1894/1897, elle ne peut absolument
pas être prise en compte pour les raisons évoquées tantôt. Et concrètement,
c’est cela qui a frappé un certain nombre de royaumes, dont on a entendu parler
et qu’on ne retrouve pas dans la liste, parce que ces royaumes ont disparu
avant l’arrivée de la colonisation, étant absorbés par d’autres royaumes, qui
les ont tout simplement phagocytés.
Je prends par exemple le royaume très puissant des Ouémènou, leur roi s’appelait Yahèssè Kpolou au XVIIIe siècle. Selon la tradition orale, ils étaient majoritaires sur le plateau d’Abomey. Quand Houégbadja a mis en place son système, ce sont les premiers avec lesquels les Danhomènou rentrent en conflit. Au cours de ce conflit, leur roi Yahèssè Kpolou a été tué par Akaba, dit-on. Mais c’est en réalité Tassi Hangbé qui a fait cet exploit. A partir de ce moment, la grande communauté des Ouémènou a été disloquée. Certains sont retournés dans la vallée et la grande majorité est restée sur le plateau d’Abomey. Jusqu’au dernier roi du Danxomè, c’est toujours les Ouémenou qui sont nommés premiers ministres du roi, parce que c’est une alliance traditionnelle très forte. C’est sur cette base que le Danxomè a été créé et fonctionné.
Vous prenez encore le cas de Xwéda, dont le royaume puissant était Sahè, ce qu’on a appelé maladroitement Savi. Sahé a été détruit par le roi Agadja au XVIIIe siècle. Le roi Xwéda, qui s’appelait Houffon et le reste de ses hommes se sont éparpillés pour aller se regrouper à Houéyoyogbé, où ils ont été envahis encore par d’autres populations, au point de disparaître en tant que royaume. Donc le royaume des Xwéda a existé. Ils ont eu un roi qui s’appelait Houffon. Mais à la veille de la colonisation, ils n’avaient plus d’entité politique en tant que telle, qui pourrait matérialiser leur existence.
Il
y a par ailleurs des royaumes dont certains nous ont révélé l’existence, qui
auraient existé en 1200, 1400, bien avant l’arrivée des Agassouvi. Mais la
commission n’a pas mission de réinstaurer des royaumes imaginaires du Moyen
Âge.
Je
voudrais ajouter que dans notre méthodologie, après la phase de la
documentation, il y a eu la phase conceptuelle. Nous avons organisé des
échanges très nourris au cours d’un atelier avec le département d’Histoire et
d’archéologie de l’Université d’Abomey-Calavi. Sur le plan scientifique au
Bénin, s’il y a une instance qui est capable de nous dire voilà ce qui existe
comme royaume et chefferie, je pense que c’est ce département d’Histoire et
d’Archéologie. Nous avons eu un atelier avec eux ; on avait évoqué l’ouvrage
qu’ils avaient déjà édité. Avec eux, au cours de l’atelier, nous avons fait le point
de tout ce qui existe comme royaumes et chefferies à la veille de la
colonisation dans l’espace qu’on appelle aujourd’hui la République du
Bénin. C’est avec eux que nous avons
arrêté, région par région, l’existant, ce qu’il s’est passé et comment cela
s’est passé. Voilà comment nous nous sommes organisés pour aller en mission sur
le terrain, pour couvrir toutes les régions de notre pays. Ces missions ont
permis de confirmer et de voir ce qui existe sur le terrain. C’est ainsi que
nous avons découvert les multiples rois dont nous avons parlé tout à l’heure.
Après les missions sur le terrain, il y a eu un atelier important à Bohicon où
chaque groupe envoyé en mission a fait le point. Ce qui nous a permis de monter
les premières grandes lignes de notre premier rapport qui a été affiné et
déposé au commanditaire qui nous a demandé alors d’approfondir davantage. Donc
notre travail a consisté en une clarification conceptuelle, avec le département d’Histoire et d’Archéologie
qui a fait un point, déterminé les bornes chronologiques, 1894, pour la partie
méridionale, 1897 pour la partie septentrionale, ensuite vérifié les entités
qui existaient vraiment.
Pour
nous, tous ceux qui dépassent cette borne, n’appartiennent pas à notre
tradition, donc ne font pas partie de ce qu’on peut appeler la chefferie
traditionnelle. Tout ce que le colon a mis en place pour aider son
administration, pour nous, ne constitue pas la chefferie traditionnelle. C'est
notre troisième rapport qui va déboucher sur l’avant-projet de loi, qui va
subir toutes les étapes possibles pour arriver finalement au vote de la loi par
la représentation nationale, ensuite l’envoyer à la Cour constitutionnelle pour
voir son degré de constitutionnalité, et finalement la promulgation par le
président de la République.
Nous avons déposé trois rapports et nous avons travaillé pratiquement pendant trois ans, avec des travaux sur le terrain, des séminaires de synthèse et production de rapports.
L’article 8 de la loi évoque les chefferies communautaires. Quel sera leur rôle dans cette architecture-là ?
Pour mieux comprendre le contenu de l’article 8, il faut d’abord comprendre la structuration de notre société. La cellule de nos sociétés est constituée par le lignage. Ce que les fon appellent Akò. C’est la plus petite structure de composition de nos sociétés. Le lignage est une structure organisée et dirigée par des responsables. Quelle que soit la région, un lignage a toujours des responsables. Nous avons le Chef de lignage et des collaborateurs. Chez les fon, on a le Hinnoudaho, le Vigan et la Tassinnon qui constituent le groupe dirigeant. Quand nous quittons cette cellule, il arrive que plusieurs lignages décident de partager un espace plus grand ensemble. Ils évoluent vers ce qu’on a appelé quartier. Et au niveau du quartier, ils mettent aussi en place une structure dirigeante, constituée par les chefs de lignage qui habitent le quartier.
Ces
derniers désignent celui qui est le responsable du quartier avec un pouvoir
rotatif.
C'est
le chef de lignage A qui dirige pour une année ; les autres sont membres du
conseil du quartier, ensuite c'est le chef de lignage B, ainsi de suite. Quand
plusieurs quartiers décident de se mettre ensemble, ils vont former un village.
Le
village aussi aura une structure dirigeante. Chez les Fon, on donne au
responsable du village le titre de “Togan”. Quand le Fon dit tohosu, ce n'est
plus le chef de village désigné par les responsables des lignages ; le “Tohosu”
est le chef de village désigné par le roi du Danhomè auprès du “Togan” pour gérer le village.
Quand
les villages vont s'unir, cela va donner naissance au royaume avec ses
structures, le roi et ses collaborateurs. Avec la loi, ces structures de
direction de lignage, de direction de nos communautés continuent d'exister.
Quand le Danhomè est né, le Hinnoudaho est supplanté par le “Daa” ; il est
devenu le doyen d’âge du lignage.
Ceux-là
appartiennent à la chefferie traditionnelle, mais ils ne sont pas dans la
chefferie traditionnelle reconnue par la loi. Ils continuent de fonctionner
normalement, les lignages continuent d'être gérés, les petites communautés
continuent d'être gérées. Dans la loi, on dit qu'ils appartiennent à la
chefferie communautaire. Mais cette chefferie communautaire ne bénéficie pas de
la même reconnaissance que les trois catégories qui constituent la chefferie
traditionnelle reconnue par la loi qui a été promulguée le 3 avril 2025. Voilà en fait la différence.
Cela
veut dire que mon Daa qui dirige mon lignage est chef traditionnel, mais il dirige
une communauté restreinte dont la reconnaissance n'est pas allée jusqu'au
niveau des trois catégories de la loi. Ainsi, l'article 8 désigne tous ceux-là
qui sont laissés en rade et qui appartiennent à la chefferie communautaire.
On
peut observer dans nos sociétés, qu’au-delà des trois catégories de chefs
reconnues par la loi, il existe des chefs communautaires. Par exemple, moi qui
vous parle, je peux être chef communautaire dans ma famille Akoha. Mais cela me
donne des obligations vis-à-vis de la loi, c'est-à-dire de respecter le roi qui
dirige mon espace.
Cela
veut dire que la loi n'est pas venue pour abolir les pratiques traditionnelles
culturelles qu'observent les populations dans leurs maisons, dans leurs
quartiers et autres. Mais elle est venue réglementer et hiérarchiser les
fonctions au niveau politique. C'est ce que moi je comprends dans la chose et
c'est ce que nous devons comprendre.
Vous
prenez la situation à Abomey par exemple, il n'y a qu'un roi, les chefs
traditionnels qui sont dans l'espace de ce roi se concertent et se doivent
respect mutuellement. Ils savent comment se respecter, n'est-ce pas ? Mais en
bas de la pyramide, tout le monde est Daa, dans son enclos parental, et vous
n'avez pas le droit de singer le roi en organisant des cérémonies que la
tradition réserve à la seule personne du roi. Et c'est là où ça coince, parce
que ceux qui avaient profité du vide juridique pour se donner une certaine
importance par rapport à leurs avoirs seront un peu frustrés forcément.
Mais
ils ne sont, à partir de la loi que des chefs communautaires, c'est-à-dire
qu'ils sont là pour gérer leur communauté à la base de la société.
Le
roi est à la tête d'une entité politique traditionnelle fortement centralisée.
Vous vous souvenez que tout à l'heure on parlait des critères et que le
deuxième critère, c'était le type de pouvoir et son degré de concentration.
Donc, le roi est la tête d'une entité politique traditionnelle fortement
centralisée. Le chef supérieur est à la tête d'une entité politique traditionnelle
moyennement centralisée ou parfois à la tête d'une entité autonome qui dépend
ou non d'un royaume.
Tandis
que la chefferie coutumière est réservée à un espace bien connu qu'on va
identifier beaucoup plus dans l’Atacora Ouest et la Donga où l'autorité, le
chef, cumule deux pouvoirs. D'abord le pouvoir cultuel, auquel s'ajoute le
pouvoir temporel, celui de gérer la cité, mais c'est un cas tout à fait
atypique.
Cette
catégorie de notre communauté est constituée par des chefferies non
centralisées et sont gérées par des clans. Mais ne voulant pas utiliser le mot
clanique, nous avons préféré le mot coutumier ou chefferie coutumière où le
chef est à la fois chef temporel et chef religieux. C'est là où nous avons les
dix qui couvrent l’Atacora Ouest et la
Donga. Quand nous finissons ça, la deuxième catégorie, ce sont des communautés
qui soit ont un partenariat avec des royaumes ayant existé et avec le temps
n'entretiennent plus des relations très proches de celles qui jouent le rôle de
roi aujourd'hui et ont retrouvé une certaine autonomie ou bien ont toujours
existé comme territoires autonomes mais n'ayant pas eu l'envergure du royaume.
Certains
territoires ont perdu de leur importance. C'est pourquoi ces anciens
territoires, ayant été des provinces ou ayant appartenu à certains royaumes se
sont retrouvés aujourd'hui dans la chefferie supérieure parce que les liens
entre le centre et la périphérie se sont distendus et nous les avons mis dans
la catégorie de la chefferie supérieure.
La loi portant cadre juridique de la chefferie traditionnelle interdit au roi, chef supérieur ou chef coutumier de devenir politicien. Pourquoi était-il important de prendre cette décision ?
Ne
nous voilons pas la face. Je vais parodier un peu ce qui se passe. Quand les
élections arrivent, chaque politicien essaie d'avoir son roi.
C'est
à ça que la loi fait allusion en disant clairement que les rois doivent être
apolitiques, en dehors de la politique. La parodie a résumé le détail que je
vais donner pour nous rappeler quelque chose.
À
l'aide du renouveau démocratique, quand, dans la foulée du festival Ouidah 92,
nous avons retrouvé toutes nos libertés d'association, et qu'il y a eu ce que
le professeur a appelé le regain de vitalité de la civilisation internationale,
malheureusement, il s'en est suivi une course folle à la royaumisation indiquée
tout à l'heure. La conséquence, c'est que les hommes politiques se sont
maintenant intéressés au secteur.
Chaque
politicien a pratiquement son roi. Parfois, pour maîtriser un électorat, il
faut susciter un roi contraire à celui qui est en place. On a même pu noter des
royaumes, des entités, où quelqu'un dont la lignée n'a pas le droit au trône
vient bousculer la lignée légale.
Donc,
pour éviter tout ça, c'est-à-dire pour ne pas revivre encore ce fantôme qui a
détruit notre société, le législateur, à travers trois articles différents,
dont le 46 dont vous parlez, a dit « Aucun chef traditionnel ne peut être
membre d'un parti politique ». Il est une personnalité morale, neutre. Il est
le père de tout le monde.
Il
peut recevoir l'homme de la gauche, l'homme de la droite, l'homme du centre,
même si vous êtes de l'extrême gauche ou du centre. Donc, le chef traditionnel,
il est là pour tout le monde.
Après,
le législateur précise clairement que même ceux qui sont aujourd'hui chefs
traditionnels mais ont un mandat électif au moment où la loi est promulguée, la
loi leur permet, c'est une mesure conservatoire, de terminer le mandat électif
en cours, puis ils viennent se consacrer entièrement à leur charge de chef
traditionnel.
Pourquoi
cela est fait ? C'est pour protéger justement le chef traditionnel afin qu'il
puisse vraiment jouer le rôle que lui reconnaît la Constitution du Bénin tel
que révisée en 2019. Autrement, on risque de retomber dans les mêmes travers.
Au Bénin, nous avons 12 départements. Est-ce que le travail est fait en sorte qu’il y ait de chef traditionnel dans tous les 12 départements?
Les 12 départements sont une création de la République. Les royaumes, nos us et coutumes sont antérieurs, à la République et à ses structures administratives connues aujourd’hui. Vous voyez quand on dit le royaume de Danhomè, il y a beaucoup dedans. Il y a le département des Collines, le département du Zou, même le département de l’Atlantique et du Littoral. C’est ça qu’on appelle aire socioculturelle. Nous sommes dans l’aire socioculturelle qui ne coïncide pas avec les divisions administratives et politiques.
Quid du régime des sanctions ?
Sur
le régime des sanctions, j’espère comme vous que nos chefs traditionnels seront
suffisamment sages pour ne pas tomber dans des travers qu’ils amèneraient.
C’est quand même important pour le législateur de préciser que nous sommes en
République et que quand on est en République, ce sont les lois de la République
qui priment sur tout.
La loi sur la chefferie traditionnelle est promulguée, quelles sont les prochaines étapes et quelles sont les attentes du gouvernement vis-à-vis de la commission ?
Pour
la suite vis-à-vis de la commission, le gouvernement n’a plus aucune attente.
La commission a fait son travail, a produit des rapports sur les éléments
sociohistoriques nécessaires à la prise de cette loi. La loi est prise, votée
et promulguée. La commission a terminé son travail. La suite va être
l’opérationnalisation. Cela passe déjà par la prise très bientôt du décret
portant création de la Commission nationale permanente de suivi de la chefferie
traditionnelle. Une commission qui justement est chargée d’accompagner, de
veiller au bon fonctionnement d’une autre structure dont le décret va être très
vite également élaboré. Il s’agit du décret portant attributions,
fonctionnement et composition de la Chambre nationale de la chefferie
traditionnelle, c’est-à-dire tous les chefs que nous avons cités tantôt les
rois, les chefs supérieurs et les chefs coutumiers. Ces trois catégories se
retrouvent au sein de cette chambre-là, pour justement s’organiser et
contribuer à l’édification de notre société. En dehors de cela, il sera
question de prendre les différents arrêtés instituant les conseils de
désignation, qui, dois-je le rappeler, ne sont composés d’aucun agent
administratif ni universitaire. Les membres proviennent tous des communautés,
des entités selon les règles coutumières. Cela est prévu juste pour éviter les
intrusions qui après entrainent souvent des troubles. Vis-à-vis de la
population, le gouvernement demande à chaque citoyen de s’approprier ce texte,
de le lire avec sérénité. De ne pas venir au texte avec des préjugés. Il faut
qu’on s’en tienne à la limite chronologique fixée, qu’on liste clairement les
critères définis pour faire le travail et qu’on s’appuie sur les limites
socioculturelles et non les limites administratives et non plus sur les limites
politiques.
Que dire des revendications ?
Pendant l’examen du projet de loi à l’Assemblée, il y a eu une cinquantaine de pétitions de réclamations justifiées ou non justifiées. Chacune d’elles a été déférée devant la commission qui a étudié et a rendu une réponse sur la base des données scientifiques disponibles à l’heure où nous parlons, voilà ce qui est fait. Si demain, sur la base de nouvelles preuves scientifiques incontestables, je pense que logiquement des relectures sont possibles. Le contexte est très clair. Le royaume de Ouémè est créé autour du 12e siècle. Un royaume très ancien. A partir de la migration et de la scission à partir de Kétou, les gens sont allés dans la vallée, ont créé le royaume de Ouémè dont l’épicentre est Adjohoun. C’est de ce royaume de Ouémé que des éléments sont allés peupler le plateau d’Abomey qui va donner naissance au 17e siècle au royaume du Danhomè. Ces ouémènous étaient les plus nombreux. A la naissance du Danhomè, il s’est posé un problème juridique, les ouémènous qui sont sur le plateau à la naissance du roi de Danhomè doivent-ils continuer d’obéir au roi de Ouémè? Pour les Danhomènous, ceux qui sont sur leur territoire doivent obéir à Dada. Mais pour certains Ouémènous, c’est le roi de Ouémè qui doit continuer à les diriger. C’est ça qui va entrainer la bataille entre le roi Akaba et le roi Yahèssè Kpolou au début du 18e siècle. Bataille que le roi Akaba n’a pas conduite jusqu’à la fin. C’est sa sœur Tassi Hangbé qui prend la relève, qui va conduire les Danhomènous à la victoire. Le roi de Ouémè a été tué, les Ouémènous ont été vaincus et le royaume de Ouémè a disparu en 1708. Les rescapés se sont repliés encore dans la vallée et se sont retrouvés autour de Dangbo où ils ont tenté de créer un nouveau royaume. Mais Dangbo n’a pas pu prospérer parce que entre-temps, Hogbonou est né. Les pressions dans la Vallée n’ont pas permis aux rescapés de créer un nouveau royaume et Dangbo est demeuré une chefferie supérieure. Dans la répartition, Dangbo se retrouve au niveau de la chefferie supérieure et non au niveau des royaumes. La Vallée est peut-être frustrée, mais sur le plan historique, la commission n’a fait que décrire et faire le point de ce qui existe en tant qu’ entité à la veille de la colonisation, à la veille de 1894 dans la partie méridionale. Donc beaucoup de chefferies dans la vallée se retrouvent dans la chefferie communautaire. La chefferie qui a vraiment de l’importance dans cette vallée, c’est Dangbo et Dangbo se retrouve dans la chefferie supérieure.
Faire une loi est très difficile et vous allez constater avec moi qu’il y a beaucoup de frustrations. C’est normal. Mais il faut une législation particulière pour chaque région et ses spécificités. Le gouvernement à travers cette loi a tracé le cadre général et a lancé la balle dans le camp des différentes communautés. Il leur revient de s’asseoir sur cette loi et de réorganiser la communauté en conformité avec les exigences de la loi pour intégrer tous les fils et toutes les compétences locales à l’édification d’une société nouvelle, républicaine, résolument tournée vers le respect de nos traditions et faire en sorte que nos traditions participent à la construction d’un Bénin nouveau où chacun se retrouve.
Un mot pour conclure cet entretien
Nous avons décidé de nous tourner vers le respect de nos traditions et de veiller à ce que celles-ci participent à la construction d'un nouvel environnement où chacun peut se retrouver. Nous pensons qu’il n’y a pas de place pour l’exclusion des autres, mais uniquement pour le rassemblement. Il ne s'agit pas d'une loi d'exclusion, mais plutôt d'une loi de rassemblement, une loi qui permet aux valeurs traditionnelles de se retrouver autour d'une autorité centrale à laquelle toutes les autres formes d'autorité doivent allégeance. Je crois que c’est ainsi qu’il faut comprendre la loi. Le gouvernement a mis en place une deuxième structure, la commission nationale permanente de suivi de la chefferie traditionnelle, pour accompagner les rois et être le conseiller des chefs dans ce processus de restructuration et de restauration des us et coutumes de nos différentes communautés.