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Examens, Ame et taux de performance: A bâtons rompus avec le ministre Salimane Karimou « Notre système éducatif aujourd’hui se porte bien »

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Salimane Karimou, ministre des Enseignements maternel et primaire Salimane Karimou, ministre des Enseignements maternel et primaire

Le ministre des Enseignements maternel et primaire, Salimane Karimou, en marge du message qu’il a délivré à la veille de l’examen du Certificat d’études primaires session de juin 2025, a accepté de se prêter à certaines préoccupations des journalistes en rapport avec son sous-secteur. Les sujets abordés sont liés au débat sur l’âge requis pour être candidat au Cep, au reversement des Aspirants au métier d’enseignant et aux indicateurs de performance tels que le taux d’achèvement, le taux de rétention ou encore le taux de réussite dans le sous-secteur.

 

Par   Thibaud C. NAGNONHOU, A/R Ouémé-Plateau, le 04 juin 2025 à 07h41 Durée 3 min.
#système éducatif

La Nation :  Monsieur le ministre, l’accroissement des divers taux en matière de performance dans votre sous-secteur ne semble pas faire l’unanimité. Qu’en est-il réellement de l’authenticité des chiffres affichés par le système ?

Ministre Salimane Karimou : L’efficacité interne ou externe de l’éducation s’apprécie à l’aune des indicateurs qui sont définis en amont et qui permettent de dire si les objectifs à court terme sont atteints et si également ceux à long terme sont envisagés pour être effectivement atteints. Au nombre de ces indicateurs, il y a le taux de rétention, le taux de scolarisation, le taux de promotion, le taux de redoublement et pourquoi pas le taux d’achèvement. C’est valable pour tous les ordres d’enseignement. Au niveau du sous-secteur des enseignements maternel et primaire, le contenu du taux d’achèvement n’est pas exactement le même qu’au niveau des deux autres. Il faut dire que depuis 2016, le gouvernement a initié beaucoup de réformes qui n’ont pas épargné le secteur de l’éducation. Lesquelles ont induit des mesures et des résultats au niveau du sous-secteur des enseignements maternel et primaire notamment par rapport à l’examen qui sanctionne la fin du cycle primaire conformément à la loi d’orientation de l’éducation nationale en République du Bénin. Je voudrais un peu m’attarder sur ce point-là parce que j’entends beaucoup de choses également. Depuis 2016, d’année en année, le taux d’inscription augmente. Même en période de Covid-19, nous n’avons pas connu de régression en matière de taux d’inscription au Certificat d’études primaires (Cep) et c’est ce qui justifie l’augmentation de près de 6 % pour le compte de cette année 2025. Je peux vous dire que de façon générale, le système éducatif béninois se porte bien, même s’il y a toujours des choses qu’il faut pouvoir corriger, puisque le secteur de l’éducation est un secteur dynamique.

Quid du taux de rétention au regard de la batterie de mesures d’accompagnement dans le sous-secteur des enseignements maternel et primaire ?

C’est vrai, lorsque je reviens à la politique consistant à maintenir les apprenants dans le système éducatif, notamment au niveau du sous-secteur, on l’évalue par rapport à ce qu’on appelle le taux de rétention, c’est-à-dire les enfants qui sont entrés à l’école au Cours d’initiation (Ci), à la fin de l’année, combien parmi eux on retrouve au cours suivant, le Cours préparatoire (Cp), deuxième année ? Est-ce que chemin faisant il y a des enfants qui ont abandonné ? Lorsqu’on prend du Cp et ainsi de suite et pour tout le cursus, combien on retrouve finalement au Cours moyen 2e année (Cm2) qui est la classe terminale du primaire? Par conséquent, on parle de taux de rétention qui s’apprécie à travers les différentes politiques mises en place. Chaque pays peut se fixer des objectifs à cet effet. Certains pays peuvent vouloir que le taux de rétention soit 100 %. Ce serait vraiment l’idéal. Mais on dirait que ce n’est pas réaliste parce qu’il y a plusieurs facteurs qui peuvent amener des enfants à quitter l’école. L’État n’a pas la maîtrise de toutes les données ou de tous les contours.

En 2016, le taux de rétention était de 72 % c’est-à-dire que sur 100 qui entrent à l’école, il n'y avait que 72 qu’on retrouvait dans le système. En termes de taux de rétention pour le compte de l’année 2023-2024, nous sommes à 96 %. Ça veut dire que sur 100, il y a 96 qui continuent d’être à l’école et 4 qui ont dû prendre d’autres chemins.

Quel est alors le mécanisme d’évaluation du taux d’achèvement ?

De façon technique, le taux d’achèvement s’obtient en établissant le rapport entre l’effectif total, quel que soit l’âge des enfants qui arrivent en classe terminale du primaire c’est-à-dire au Cm2 pour la première fois (donc ça ne prend pas en compte les redoublants de la classe de Cm2), et l’effectif des enfants en âge de terminer le cycle primaire c’est-à-dire en âge d’aller au Cm2 ou à défaut en âge d’arriver au Cm1 pour le compte de l’année qui a précédé mais en fin d’année de Cm1. Alors quand on retrouve un enfant de 8 ans pour le Ci, l’on peut imaginer déjà à quel âge il pourra arriver au Cm2 qui est la phase terminale du cours primaire. Quand on met tout cela ensemble, l’on retient que le taux d’achèvement ne permet pas de savoir combien d’élèves ont décroché chemin faisant mais il permet de savoir combien d’élèves ont eu des difficultés dans le cursus et n'ont pas pu faire les six ans prévus et qui sont allés au-delà. Donc le taux d’achèvement ne traite pas de la question de déperdition.

Pour être honnête, ce que nous avons constaté en 2015, si mes souvenirs sont bons, le taux d’achèvement évalué était estimé entre 77 et 79 %.  Ce taux d’achèvement aujourd’hui est un peu moins de 70 %. Et cela s’explique. En 2016, le taux de réussite à l’examen du Cep était autour de 40 %. Nous avons pris la lourde responsabilité de décharger tous les directeurs qui avait 0 % au Cep ; et on avait relevé près de 700 directeurs. L’année qui a suivi, on a fait la même chose. Alors cela a réveillé l’attention des enseignants sur le terrain et des directeurs d’école qui par le passé, du fait de cette politique de passage systématique des enfants et ce qui permettait d’avoir un taux élevé au Cep, 90 % et plus jusqu’en 2015, alors les directeurs d’école et les enseignants pour protéger leurs fonctions et protéger leur carrière, ont commencé par sélectionner les enfants déjà à partir même du Cours d’initiation (Ci).  Ils ont commencé par faire des sélections sur le terrain, contrairement aux dispositions réglementaires. Et nous-mêmes, malgré le suivi qu’on a mis en place, malgré le contrôle qu’on avait, je dois avouer qu’on n’a pas pu très tôt saisir qu’ils ont pris des dispositions pour contourner les sanctions qui pourraient arriver. Ça a agi sur un certain nombre d’années. On a fait le constat à partir de 2019, comme quoi le taux d’achèvement a chuté parce qu’il y a beaucoup de redoublants. Ce n’est pas à confondre avec le décrochage, ni avec la déperdition scolaire car les enfants sont à l’école, mais sur place, ils passent à l’école plus de temps qu’ils ne le devraient. Voilà ce que nous avons constaté, qui a fait que nous avions paré au plus pressé pour ramener les enseignants sur la voie initiale et la voie conforme aux textes qui existent en la matière. Ce qui fait que depuis 2021, le taux a commencé par s’améliorer et est de 69 % actuellement.

Qu’en est-il du taux de réussite dans votre sous-secteur ? 

De façon générale, en dehors de ce que nous avons dit par rapport au taux d’achèvement et au taux de rétention, nous avons également connu de réussite concrète effective au niveau de la performance de nos apprenants à l’école aujourd’hui. Du moment où les enseignants sont présents et sont à la tâche, du moment où les apprenants sont pris en charge, je crois qu’il n’y a rien à faire, les résultats seront toujours au rendez-vous. Il est une évidence que nos enfants aujourd’hui, que ce soit dans le public ou dans le privé, on constate qu’il y a un changement majeur par rapport au passé en ce qui concerne leur niveau de compétences. Je peux vous dire de façon ramassée que notre système éducatif aujourd’hui, du moins pour ce qui concerne le sous-secteur des enseignements maternel et primaire, se porte bien. Il y a certainement des choses à améliorer, car c’est un secteur très dynamique.

Les différents taux augmentent avec satisfaction. Mais quels en sont les facteurs favorables si on prend le taux de rétention par exemple ?

Si on doit parler du taux de rétention et c’est là où je voudrais vraiment que nous focalisions notre attention, c’est le taux de rétention qui détermine beaucoup plus la santé du système éducatif. Il y a plusieurs facteurs qui ont permis aujourd’hui de passer de 72 % en 2016 à 92 % en 2023. L’on se souvient que le Programme national d’alimentation scolaire intégré (Pnasi) est intervenu de façon concrète en 2017. Plus de 30 milliards FCfa sont injectés dans le secteur pour nourrir les enfants à l’école, pour permettre aux enfants d’avoir droit à un repas chaud chaque jour de classe. Aujourd’hui, c’est 32,5 milliards du budget national avec la contribution des partenaires. Alors un enfant qui a l’assurance de pouvoir trouver à manger à l’école, à défaut de l’avoir à la maison, court désormais vers l’école. Cela grâce au Pnasi. Ensuite, il y a la présence effective des enseignants à l’école. Puisque à travers les différentes mesures que nous avons prises, à travers également le développement du dialogue social fécond, un dialogue qui s’anime au jour le jour, les enseignants sont beaucoup plus à la tâche et cela rassure les parents et également les apprenants qui viennent à l’école. Cela a également contribué à l’amélioration des différents taux. Par rapport au maintien, j’ai parlé tantôt des kits scolaires que l’État, avec ses partenaires, met à la disposition des enfants. Un enfant qui n’a pas de tenue scolaire prévue peut être gêné personnellement d’aller à l’école et de se retrouver différent des autres et préférerait rester à la maison. Un enfant qui arrive à l’école sans disposer du minimum de fournitures scolaires pourrait également se décourager et dire, bon, moi je ne suis rien par rapport aux autres. Toutes ces mesures ont fait que les enfants sont beaucoup plus restés à l’école.

9 ans, 10 ans, la question de l’âge réglementaire des enfants pour aller au Cep est aussi souvent soulevée. Quelles clarifications pouvez-vous apporter?

L’examen du Cep est régi par des textes et tous ces aspects-là ont été pris en compte. C’est de plus en plus courant aujourd’hui, ce qui n’était pas le cas dans le passé, de retrouver au Cm2 des enfants de 9 ans. Alors que pour être autorisé à s’inscrire au Cep, il faut avoir 10 ans. Mais les textes ont prévu ces cas-là et on fait établir à ces enfants de 9 ans ce qu’on appelle une dispense d’âge en plus. C’est le candidat qui fait la demande. Car pour être candidat au Cep, il faut avoir au moins 10 ans. Par contre quand un garçon arrive au Cm2, comme ce qu’on disait par rapport au taux d’achèvement, à l’âge de 15 ans ou 16 ans, donc plus âgé, là également il est permis qu’il fasse une dispense d’âge en moins. C’est pareil pour les filles. Même si personnellement je ne conseille pas la scolarisation précoce qui voudrait qu’un enfant se retrouve à 9 ans au CM2 pour aller à un examen, le souhait est que nous ayons de plus en plus de jeunes en fin de scolarité. Et si nous avons de plus en plus de jeunes en fin de scolarité, alors cela va permettre de résoudre le problème du taux d’achèvement au primaire.

Un mot sur les Aspirants au métier d’enseignant (Ame). Quelle est l’utilité de l’introduction de cette catégorie d’enseignants dans le système éducatif ?

En fait, l’introduction de cette catégorie d’enseignants dans le système éducatif a permis de résoudre au niveau de l’État, beaucoup de problèmes au nombre desquels la garantie pour l’enfant qui vient à l’école d’avoir un enseignant dans sa classe, au-delà de l’assurance de trouver à manger. Alors le gouvernement s’est fixé l’objectif d’avoir dans chaque classe depuis 2016 un enseignant. Dans ce cadre, toutes les dispositions ont été prises. En 2016, le déficit en enseignants à la maternelle et au primaire était de 12 126. Cela veut dire qu’il y avait plus de 12 000 salles de classe sans enseignants en 2016. Alors il fallait parer au plus pressé, sinon les élèves n’apprendront rien. Le premier gouvernement du président de la République mis en place en avril 2016 a hérité d’un budget en cours d’exécution depuis janvier 2016. Voilà qu’on se retrouve en face d’une situation du genre où on a plus de 12000 salles de classe sans enseignants. Première mesure prise, le gouvernement a hérité déjà d’une disposition qui voudrait qu’il y ait de concours de recrutement dans l’enseignement. Cela ne visait qu’environ 3 171 enseignants qu’on appelait les contractuels. Le gouvernement a fait organiser ce concours là en 2016 et on a pu recruter les 3000 et quelques enseignants contractuels. 3000, voire 4000 enseignants recrutés dans 12000, cela ne règle encore pas le problème. L’état des lieux nous a permis en ce moment-là de constater qu’il y avait beaucoup d’enseignants aux postes sédentaires, en termes de bureaux où les gens sont, alors qu’ils sont des enseignants formés. On a sorti des critères pour vérifier si ces enseignants souffrent de certaines carences au plan sanitaire. Les critères visaient à savoir ce qui justifie leur position aux postes sédentaires, alors qu’ils devraient être dans les salles de classe. Après les recoupements, on a fait les analyses et on a pu redéployer, renvoyer sur le terrain de la classe 3088 enseignants. En octobre 2016, on a déjà coupé le déficit là de moitié, donc il restait maintenant la seconde moitié qu’il fallait trouver. C’est là où le gouvernement a pensé à cette catégorie d’enseignants qui ne sont rien d’autres que ceux que les populations utilisaient directement avant et qu’on appelait les enseignants communautaires.

Au lieu de laisser la charge aux communautés pour les gérer et les payer, le gouvernement a décidé de s’en occuper pour combler totalement le déficit. Le ministère a exprimé ses besoins en la matière. D’où l’avènement des Ame. On a déterminé les critères et au niveau du primaire, il fallait être détenteur tout au moins du baccalauréat ou bien d’un diplôme professionnel de Certificat élémentaire d’aptitude pédagogique (Ceap) ou le Certificat d’aptitude pédagogique (Cap). Le gouvernement a fait organiser un test de recrutement des Ame. Et on a créé ce qu’on a appelé la base de données et la base de compétences. On déployait ces enseignants là sur le terrain sur la base des moyennes qu’ils ont obtenues. On n’a pas mis dans la base de données ceux qui ont une moyenne inférieure à 10/20. Non seulement ils ne sont pas laissés à la portée des communautés ou peut-être même des directeurs d’école mais les Ame ont bénéficié d’un traitement meilleur à celui que les communautés, selon leurs moyens, auraient pu leur offrir et ils étaient payés directement sur le budget national.

Où en est aujourd’hui le gouvernement par rapport à la promesse de reversement des Ame en Agents contractuels de droit public de l’État (Acdpe) ?

Le gouvernement s’est organisé et a décidé de reverser effectivement les Ame en Acdpe. Je leur rappelle que c’est un acquis. Tous les enseignants Ame qui sont aujourd’hui utilisés, ils sont un peu plus de 16 000 au niveau du sous-secteur, ont droit au reversement. Qu’ils soient rassurés. Tout ce qui reste est question de modalités. En tant qu’Ame, ils sont toujours dans le système. L’État n’a pas encore demandé la rupture de leurs contrats et ils bénéficient de leur traitement, même si la nature humaine est toujours encline à l’amélioration des conditions de vie, ce qu’ils ont aujourd’hui comme traitement pour ma part est mieux que ce qu’ils avaient quand ils étaient communautaires. C’est vrai, le volet gestion n’incombe pas tout simplement au sous-secteur des enseignements maternel et primaire. Il y a les secteurs des Finances et de la Fonction publique qui doivent intervenir également. C’est un ensemble de ministères qu’on appelle un comité interministériel et c’est sur les modalités que les équipes continuent de travailler. Alors on a dit dans la mesure que tous ceux qui ont déjà trois ans d’ancienneté en tant qu’Ame, ont droit au reversement. S’ils ont tous aujourd’hui au-delà de trois ans d’ancienneté, alors en fonction des ressources de l’État disponibles, vague par vague, ils vont être reversés. L’exigence que moi je fais pour qu’ils soient reversés effectivement, c’est la qualité de leur prestation. N’est pas enseignant qui veut mais qui peut et qui comprend ce qu’il doit faire et qui le fait déjà par rapport même à son niveau de connaissance, à son niveau de compétences. Si les insuffisances relèvent de l’État, on ne peut pas leur faire porter cela. Mais tout au moins qu’ils soient ponctuels, assidus et qu’ils fassent leur travail et il n’y a rien à faire, ils vont devenir Acdpe et pourquoi pas devenir fonctionnaires de l’État un jour.