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Regards croisés sur la régulation des marchés publics au Bénin: « Le système se porte bien », affirme Ludovic Guèdjè

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Ludovic Guèdjè Ludovic Guèdjè

Au cœur des réformes structurant la commande publique au Bénin, la régulation des marchés publics présente désormais un enjeu clé avec un mécanisme de sanction des acteurs souvent décrié. Dans cet entretien, le professeur Ludovic Guèdjè, secrétaire permanent de l’Autorité de régulation des marchés publics (Armp), évoque l’évolution du cadre réglementaire, les réformes opérées et la responsabilité accrue des acteurs face aux nouvelles dispositions légales.

 

Par   Babylas ATINKPAHOUN, le 07 nov. 2024 à 03h06 Durée 3 min.
#marchés publics au Bénin

La Nation : Monsieur le secrétaire permanent, comment se portent les marchés publics au Bénin ?

Ludovic Guèdjè : Les marchés publics au Bénin aujourd’hui se portent bien. La clarification voulue dans le système est opérationnelle. Les acteurs sont à la tâche, chacun dans son domaine, bien que par moments, l’Autorité de régulation des marchés publics (Armp) soit obligée de lever les obstacles à sa performance et d’assurer la continuité de la commande publique.

Quel bilan faites-vous aujourd’hui de la réforme des marchés publics ?

Le système a connu trois grandes périodes en termes d'évolution. La première, de 1960 à 1996, correspond à une période de quasi non-droit. Pendant ces 36 années, il n'existait pas de système structuré et organisé pour la passation des marchés publics. La mise en place d'un cadre réglementaire a véritablement commencé avec l'adoption du premier Code des marchés publics en 1996. Toutefois, ce code n'a pas immédiatement instauré une culture de mise en concurrence pour l’attribution des marchés, les habitudes ayant résisté aux changements. La deuxième phase débute en 2004 avec une réforme structurelle visant à séparer les fonctions de passation, de contrôle et de régulation des marchés publics. Cette réforme a conduit à la création de plusieurs institutions clés, dont la Direction nationale des Marchés publics (Dnmp) et la Commission nationale de régulation des Marchés publics (Cnrmp).

L’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa) a également joué un rôle en introduisant en 2005 des directives sur les procédures de passation des marchés dans les pays membres. Le Bénin a transposé ces directives dans une loi adoptée en 2009, qui a marqué un tournant décisif en matière de gestion des marchés publics. Toutefois, la mise en application de ce nouveau cadre institutionnel a été progressive, et ce n’est qu’en 2012 que l’ensemble des textes nécessaires ont été adoptés, permettant ainsi une application intégrale du code. La troisième phase de réforme est intervenue en 2017. Une nouvelle loi a été adoptée, cette fois en séparant les marchés publics des partenariats public-privé (Ppp). Ce nouveau code met l'accent sur les principes de transparence, d'efficacité et d'égalité de traitement, tout en introduisant une nouvelle approche pour privilégier l'offre économiquement la plus avantageuse, plutôt que simplement la moins disante, afin de mieux répondre aux objectifs de qualité et de développement durable.

En 2020, une révision du code a introduit des mesures incitatives pour les micro, petites et moyennes entreprises, tout en renforçant l’idée d’acquisitions durables. Ainsi, les réformes entreprises au Bénin visent à transformer le système de passation des marchés publics en un véritable levier de développement, en s'appuyant sur des critères d'efficacité et de modernisation adaptés aux défis actuels.

Comment les sanctions prévues par le nouveau code pénal et le Code des marchés publics impactent-elles les acteurs ?

Les sanctions prévues par la loi portant Code des marchés publics en l’occurrence la loi n°2020-26 du 29 septembre 2020 portant Code des marchés publics et ses décrets d’application et certains aspects dans le Code pénal au Bénin ont considérablement changé la dynamique des acteurs des marchés publics. Avant 2014, les erreurs commises dans la gestion des marchés publics étaient rarement sanctionnées, et il arrivait même que des agents fautifs soient promus au nez et à la barbe de tous.

Cette impunité a pris fin avec l’adoption de la loi de 2017, qui a intégré des dispositions de la loi de 2011 sur la lutte contre la corruption. Désormais, les agents publics peuvent être punis pour leurs fautes, irrégularités ou infractions dans le cadre des marchés publics. Les sanctions actuelles se déclinent en trois catégories: disciplinaires, pénales et des mesures de sûreté prononcées par l’Autorité de régulation des marchés publics (Armp). Les sanctions pénales sont prononcées par un juge et incluent des peines d'emprisonnement, des amendes et des confiscations. Les sanctions disciplinaires sont administratives, gérées par une commission, et concernent la gestion interne des fautes professionnelles. Quant aux mesures de sûreté, elles sont décidées par l’Armp qui peut exclure temporairement ou définitivement un agent fautif de la commande publique. Les sanctions d'exclusion ne sont pas des sanctions pénales, mais des mesures pour protéger la chaîne des marchés publics des agents indélicats, commettant de façon récurrente, des actes attentatoires aux règles établies par le Code des marchés publics. Toutefois, si l'Armp constate une infraction, elle saisit le juge compétent pour appliquer les sanctions pénales. Cela permet une complémentarité entre l'Armp et le système judiciaire, avec un processus transparent et bien défini. Le code stipule que les exclusions de la commande publique ne peuvent être inférieures à cinq ans, conformément à l'article 125. Cette disposition est claire: l’Armp est tenue de respecter ce plancher de cinq ans lorsqu'elle applique la loi, sans possibilité de réduire la durée. Ces nouvelles sanctions visent à garantir une meilleure régulation et à renforcer la transparence et la responsabilité des acteurs dans le cadre des marchés publics. Ça veut dire qu'on n'est pas dans un schéma de conflit de personnes ni dans l'abus.

Ne pensez-vous pas que l'application des sanctions prévues dans le Code des marchés publics de 2020 est trop rigoureuse ?

Le Code des marchés publics de 2020 au Bénin introduit des sanctions strictes pour réprimer les violations dans la gestion des marchés publics. Disons-le net, l’Armp applique la loi. L'article 126 prévoit des peines sévères, notamment des emprisonnements de 5 à 10 ans et des amendes allant de 50 à 500 millions pour ceux qui ne respectent pas les sanctions d'exclusion prévues et celles prononcées. L'article 127 ajoute que toute violation des règles de contrôle a priori est passible de peines similaires, puisque le contrevenant encourt 5 à 10 ans d’emprisonnement et 25 à 500 millions d’amende. L’article 128, quant à lui, impose des suspensions des structures auxquelles ils appartiennent pour les agents fautifs, pouvant aller jusqu'à leur radiation, avec l’obligation pour l’Armp de saisir les juridictions compétentes, notamment la Criet, pour l'application des sanctions pénales.

En plus des sanctions disciplinaires, les contrevenants peuvent être tenus de réparer les dommages causés à l'État ou aux particuliers, et les contrats issus de fraudes sont annulés. La loi vise à éliminer tout favoritisme, remplaçant les simples avertissements ou rappels à l'ordre par des sanctions plus structurées et rigoureuses. Le rôle de l'Armp est de constater les infractions et de recommander des sanctions, sans possibilité de clémence ou de blâme. Certains estiment que ces sanctions sont trop sévères, comme l’exclusion de 5 ans pour une faute ou irrégularité. Cependant, la sévérité dépend de la nature de la faute, et les comportements exposant à ces sanctions sont clairement définis dans les articles 122 à 129. La politique de tolérance zéro s'applique désormais, car il s'agit de la gestion des finances publiques. Avant, le manque de sanctions entraînait des désordres, mais aujourd'hui, le système vise une stricte régulation. L’idée est que des exclusions d'un an seraient trop légères face aux enjeux de malversations publiques. Par ailleurs, l'exclusion de la chaîne des marchés publics ne signifie pas un renvoi de l'administration. L'agent exclu peut être affecté à d'autres fonctions, sauf s’il est un contractuel et si l'administration qui l’a recruté n'en a plus besoin, elle peut le remercier. En définitive, cette rigueur répond à un besoin de redresser la gestion des marchés publics, et tant que la loi reste en vigueur, elle continuera d’être appliquée à la lettre.

Une évaluation n’est-elle pas nécessaire pour réajuster la politique actuelle ?

Les statuts des responsables des marchés publics ont évolué. Au départ, avec la loi de 2009, c'étaient les Secrétaires généraux des ministères. La réforme de 2017 a introduit des exigences de profil et de diplômes, rendant l’accès à cette fonction réservé à des professionnels qualifiés. Il est essentiel que ceux qui ne sont pas capables s’abstiennent de s'immiscer dans ce domaine. Malheureusement, certains sont attirés par le gain facile, pensant que les marchés publics sont synonymes d’argent. C'est une erreur, car c'est un domaine strictement encadré par des lois votées par l'Assemblée et promulguées par le chef de l'État après un contrôle de constitutionnalité. Pour devenir Prmp au Bénin, il faut être titulaire d’un diplôme de Bac+5 et idéalement 4 ans d'expérience dans les marchés publics. Les personnes sans le bon profil qui souhaitent entrer dans ce secteur le font à leurs risques et périls. La rigueur de la loi doit être maintenue pour préserver le système. Si les comportements s'améliorent, une réduction des sanctions pourrait être envisagée, mais il est crucial d'assurer une discipline dans le système.

Aujourd'hui, on constate moins de scandales dans les marchés publics. Ce n'est pas un miracle, mais un constat que l’homme, par nature, calcule ses actions en pesant le bon et le mauvais, le pour et le contre, avant d’agir. Le rôle de la sanction n'est pas seulement de punir, mais aussi d'éduquer et de prévenir. Cependant, certains continuent à résister, estimant qu'ils peuvent échapper à la punition, et lorsqu'ils sont punis, ils réagissent souvent en criant. Si des ajustements sont nécessaires, cela dépendra du législateur.

Croyez-vous aux mécanismes actuels de contrôle des marchés publics pour limiter les abus et garantir la transparence ?

Jusqu’à preuve du contraire, le système actuel met chacun devant ses responsabilités. Les organes de passation et de contrôle agissent dans leurs domaines respectifs, avec une compatibilité entre leurs fonctions. Lorsqu’un dossier arrive chez le régulateur, et qu’il y a des erreurs, l’organe de contrôle qui devrait  les corriger, doit répondre devant l’Armp, sinon la progression est compromise. Si l'organe de passation persiste dans l'erreur, les membres tomberont sous le coup des articles 125, 127 et 128 et s'exposent à des peines sévères, allant de 5 à 10 ans d’emprisonnement et des amendes de 25 millions à 500 millions de francs Cfa, en plus de possibles exclusions ou suspensions. Chaque maillon de la chaîne cherche à bien jouer son rôle pour éviter d'être impliqué dans des malversations. Cette méfiance réciproque pousse à la professionnalisation, renforcée par des formations annuelles. De plus, tous les outils nécessaires sont à disposition, comme des documents-types, des guides et manuels pour la passation et le contrôle. Cela facilite le travail et permet de régler les problèmes d'interprétation. Le système se porte bien, et cela positionne le Bénin de manière favorable dans la lutte contre la mauvaise gouvernance. Récemment, le Bénin a obtenu la première place parmi les États francophones d'Afrique et la deuxième place parmi tous les États africains en transparence budgétaire, juste derrière l'Afrique du Sud. Cela démontre que le Bénin fait du bon travail en matière de gestion. La gouvernance actuelle rassure, et il est crucial de maintenir le cap sans relâche.

Certaines erreurs ne sont-elles pas liées à la pression hiérarchique ?

On ne va pas se leurrer. Les erreurs dans les marchés publics peuvent découler à la fois de l'ignorance des textes et de la pression hiérarchique. Cependant, la loi est claire : avant d'occuper un poste, il est exigé un diplôme et de l'expérience, définis par la loi et le décret. Selon le décret 2020-601, un professionnel des marchés publics doit refuser toute instruction qui violerait les textes, même si elle vient d'un supérieur hiérarchique. Ils ont le droit de dire non, et personne ne peut les contraindre à agir contre la loi. En tant que professionnels, ils doivent éclairer leurs supérieurs et ne pas obéir à des ordres illégaux. Le non-respect de ces règles expose ces professionnels à des sanctions. Si quelqu’un se comporte en ignorant, il en subira les conséquences. Les professionnels sont formés et sont renforcés chaque année, avec un renforcement des capacités en fonction des difficultés rencontrées. Si malgré cela, un professionnel enfreint les règles, il en assume les risques. La punition sert à prévenir de futures erreurs et non pas à satisfaire un désir de punir. La bonne gouvernance est essentielle, particulièrement dans un pays comme le Bénin, qui n'a pas de grandes ressources naturelles. Les ressources limitées doivent être bien gérées dans l'intérêt de tous. La construction d'écoles, de maternités, ou d'amphithéâtres, profite à la population entière. Ceux qui gèrent ces fonds publics doivent comprendre leurs responsabilités en tant que mandataires de l'État. Les lois et dispositions sont en place depuis 2017, et leur application stricte depuis 2021 a contribué à stabiliser le système des marchés publics, qui se porte mieux aujourd'hui après quatre ans d'application de la loi n°2020-26 du 29 septembre 2020 portant Code des marchés publics en République du Bénin■