La Nation Bénin...
La touche que Dimitri Fagbohoun apporte à l’art africain constitue une ode à son identité plurielle. En reconnexion avec cet art, il essaie de se réapproprier son héritage tout en s’inscrivant dans la créativité.
A la rencontre de l’art de Dimitri Fagbohoun dans le
cadre d’un festival international organisé à Cotonou, le public découvre avec
émerveillement ses ‘’Ibeji’’. Des êtres, doubles et uniques à la fois, qui
prennent une place peu ordinaire dans le travail de cet artiste, issu d’un père
béninois, d’une mère ukrainienne et qui a grandi au Cameroun avant de
s’installer en France. Il a présenté à l’occasion, aux côtés de Tchif,
l’exposition ‘’Transmission et Mutation’’. Laquelle vogue entre identité et
mémoire. On peut y voir aussi un dialogue artistique entre tradition et
modernité, avec en toile de fond, des transformations culturelles et même les
héritages ancestraux. La transmission culturelle face à la mutation identitaire
prend une place de choix dans son travail et il le reconnait. « Les Ibeji,
c'est une forme qui m'intéresse particulièrement parce que je suis Yoruba. Mon
père était de Sakété. Cette symbolique m'a toujours parlé, même si je ne suis
pas moi-même jumeau ». Un clin d'œil à ses propres origines et racines, mais
aussi une approche. L’idée, selon lui, c’est « de montrer l'influence de ces
œuvres, par leur beauté, par leur esthétique », mais aussi, à son sens, « par
leur énergie, sur les gens qui les ont possédées», souligne-t-il.
Son parcours personnel, marqué par une enfance au
Cameroun et une vie partagée entre Paris, Bruxelles et Cotonou, imprègne
profondément son art, qui explore les notions d’identité, de mémoire et
d’hybridité culturelle. Fagbohoun adopte une approche artistique protéiforme,
utilisant divers médiums tels que la vidéo, la photographie, la sculpture et
l’installation pour interroger les récits historiques et les constructions
identitaires. Son travail remet en question les modèles établis, offrant des
perspectives nouvelles sur des thématiques complexes. À travers ses œuvres,
Fagbohoun explore les tensions entre mémoire individuelle et collective,
questionnant les récits historiques et les identités plurielles. Son art invite
à une introspection sur les héritages culturels et les constructions sociales,
offrant une perspective critique sur les dynamiques de pouvoir et de
représentation.
Sur ses réalisations, son rapport particulier à l’art
transparaît. L’esthétique, la puissance, le pouvoir, le pouvoir de la parole,
l'hybridation, la transmission, la parole agissante… Chacune de ses œuvres
porte un message, une orientation spécifique.
« C’est quelque chose qui est assez facilement
compréhensible», répond l’artiste. « Je veux montrer aussi la pluralité de
formes et de médiums que j'utilise… On va avoir des œuvres en bronze, en
cheveux, en tissage, en céramique, en terre cuite, en papier, en bois et même
des photos retravaillées», enchaîne-t-il.
Nouvelle identité
Très souvent à la poudre d'or, il tente d'illustrer sur
ces clichés, un esprit commun. « Je ne suis pas certain de m'intéresser à
l'esprit de la photo originale. Parce que j'ai le sentiment que certaines sont
très belles, mais quand on se remet dans le contexte de l'époque où ces photos
étaient prises, elles montraient soit un regard folklorique sur l'Afrique, soit
une façon qui illustrait la possessivité. En les regardant sous l’œil
artistique, j’ai décelé une douceur que le colon ou celui par qui il faisait
prendre ces images n’a pas décelée. En plus de ces supports, il y ajoute
désormais la teinture. Ici, il veut surtout exprimer son ressenti, les effets
et émotions que lui renvoient son présent et son quotidien. Sur cette toile de
six mètres de long et trois mètres de haut, il reproduit des sentiments que lui
a laissés son précédent séjour à Cotonou. Et pour cela, Dimitri mise sur de
grandes et très grandes toiles. Autre élément distinctif de son art, la forme
de photographie qu’il pratique. On ne peut pas vraiment dire qu’il retravaille
les anciens clichés.
Enfin, on peut aussi évoquer le bleu. Ou si l’on veut encore, le « bleu de Dimitri », en pensant peut-être aussi au bleu de Picasso. Ce que l’on sait, c’est que celui du plasticien béninois tire vers le bleu Klein. Dimitri en fait un usage constant dans ses œuvres. Qu’il s’agisse des Ibeji ou encore de teintures. « Ce bleu-là, il y a longtemps qu'on l'utilise en Afrique », soutient-il. «Je vais donc chercher un pigment, donc son pigment, pour le mettre sur un masque africain. C'est ma façon à moi, quand on connait les codes, de faire un clin d'œil », précise-t-il. Sa philosophie de l’art est la principale raison pour laquelle il travaille à donner une nouvelle identité et vie aux œuvres africaines qui sont passées par des « mains » européennes. « Quand on disperse, par exemple, la collection des vêtements de Michael Jackson, ils valent ce qu’ils valent parce qu'ils ont été portés par Michael Jackson », illustre-t-il. C’est l’une des raisons pour lesquelles il a développé le projet « Re-Collection» qui consiste à reproduire et à recontextualiser des œuvres d’art africain classique ayant influencé l’art et la pensée occidentale. En collaborant avec des artisans, il crée des pièces hybrides qui interrogent la perception et la valeur de ces objets dans le monde contemporain. Ce projet a été récompensé par le Smithsonian Fellowship Award. Les œuvres de Fagbohoun sont présentes dans plusieurs collections privées et fondations à travers le monde, notamment en Suisse, Belgique, Royaume-Uni, États-Unis et au Bénin. Il est représenté par des galeries telles que la Cécile Fakhoury et Félix Frachon.