La Nation Bénin...
Avoir honte de donner à nos enfants des prénoms de chez
nous et les affubler d'une kyrielle de prénoms « bien », c'est donner raison à
ce que Aimé Césaire appelle le pédantisme chrétien. Jean Roger Ahoyo, ancien
ministre, porte ainsi son regard sur la propension des Africains à se donner
des noms d’ailleurs au détriment des leurs pourtant significatifs.
La Conférence épiscopale du Bénin, réunie sa 75e session ordinaire, du 21 au 23 mai, au Grand Séminaire Mgr Parisot à Tchanvedji, a publié un Communiqué final à l’issue de ses travaux. Ce communiqué, paru dans le n °7094 du Journal Le Matinal du Lundi 26 Mai 2025, informe à son point n°2 que ‘’lors de sa Session Plénière du 13 janvier 2025 à Frascoti, Italie, la Conférence Episcopale Régionale du Lazio dans la province de Rome, a donné son avis favorable au projet d’ouverture de la cause de béatification du Cardinal Bernardin Gantin. Les évêques du Bénin exhortent tout le peuple de Dieu à prier pour un heureux aboutissement de ce projet. A cet effet, une prière spéciale a été éditée pour obtenir des grâces par l’intercession du Cardinal. Les évêques du Bénin nous invitent à faire un usage abondant de ladite prière et surtout à communiquer les grâces obtenues aux adresses indiquées :
Cardinalgantin.postulazione@gmail.com ou
Archeveche.cotonou@gmail.com
C’est une étape importante dans le processus de
béatification. ‘’
Nos évêques, réunis au grand Séminaire de Tchanvedji, ont
donc discuté de la ‘’ cause de béatification du Cardinal Gantin’’.
Vous pouvez vous demander quel rapport peut exister entre
la béatification de notre Cardinal et le titre affiché de cet article ! C’est
ce que je vais essayer de vous montrer dans le développement qui suit :
I. Nos prénoms indigènes
C’est dans le cadre du ‘’Cercle Culture et Progrès’’ que
nous avons publié dans le n°4 du Gong, en Avril 1969, et sous le pseudonyme
Tonagnon Agossou, un article intitulé : ‘’ Halte au pédantisme chrétien’’.
Rentré de France en Octobre 1966 après nos études
Supérieures, nous avons créé le Cercle Culture et Progrès début 1969 avec
d’autres militants de la cause anti-impérialiste pour mener la lutte sur le
front culturel.
Dans l’article sus-cité, nous avions écrit :
‘’ La colonisation n'a pas seulement été une entreprise
d'exploitation économique et d'oppression politique. Elle a été aussi une
agression culturelle prolongée, un siège en règle de nos valeurs propres, bref,
une tentative méthodique et systématique d'assassinat de nos civilisations
africaines. Le but de l'opération était de nous inculquer la honte de
nous-mêmes et le résultat atteint, et qui survit à la décolonisation, c'est
l'aliénation culturelle dont nous souffrons tous à des degrés divers. Ce
phénomène a des manifestations que le Gong, qui a opté pour un nationalisme
intransigeant, se doit de dépister impitoyablement pour les déraciner
définitivement de nos consciences d'anciens colonisés. Ainsi :
Dire que nous n'avons jamais fabriqué une aiguille, c'est, au-delà d'une
simple constatation relevant d'une manière statique de voir les choses, donner
raison à Jules Romains qui a écrit:
« .. la race noire n'a encore donné, ne donnera jamais un
Stravinsky, un Gersh-win ».
Rejeter nos langues nationales (fon- goun- yoruba - bariba-dendi- mina
etc.) dans l'oubli du passé et ne pas pratiquer une politique tendant à leur
nécessaire promotion, c'est donner raison à l'idéologie coloniale qui les a
ravalées au rang de patois barbares, c'est-à-dire d'assemblages à peine
articulés de sons quasi inintelligibles.
Avoir honte de donner à nos enfants des prénoms de chez nous et les
affubler d'une kyrielle de prénoms « bien », c'est donner raison à ce que Aimé
Césaire appelle le pédantisme chrétien, pédantisme qu'il accuse et que nous
accusons à sa suite d'avoir posé, à un moment donné, les équations malhonnêtes
: Christianisme = civilisation ; Paganisme = sauvagerie.’’
A partir de cette prise de position claire, nous avons choisi
de mettre l’accent sur le problème de nos prénoms indigènes parce que ‘’ Nos
religions traditionnelles étant considérées comme des pratiques grotesques,
l’eau baptismale a été chargée de laver de nos fronts la « souillure » que
constituaient nos prénoms indigènes’’.
Nous avons donc engagé la lutte pour la sauvegarde de nos
prénoms indigènes pour deux raisons au moins :
D’abord parce que nos noms et prénoms constituent sur nous les empreintes
précieuses de notre civilisation propre
Ensuite, parce que, si nous ne gardons pas nos prénoms fon, goun,
yoruba…etc., après le baptême, nous n’aurons aucune chance d’avoir un jour des
Saints Cofi et Olabiyi, ou les Saintes Baï et Adjèlè ! En effet, qu’est-ce les
prénoms chrétiens d’aujourd’hui, sinon les prénoms païens de l’ancienne Rome ou
l’ancienne Gaule ?
Et nous avions conclu en écrivant :
‘’ dans la nécessaire renaissance culturelle qui doit
accompagner notre indépendance politique pour la compléter et la consolider,
nous devons réhabiliter nos prénoms traditionnels en les donnant
systématiquement et sans fausse honte à nos enfants, en nous débaptisant
nous-mêmes à la limite si nous sommes déjà grands.’’
Arrivé à ce stade, le lien commence à apparaître entre la
béatification de notre Cardinal et nos prénoms indigènes. Mais achevons d’abord
d’exposer notre thèse sur la sauvegarde de ces prénoms au cours du baptême
catholique.
II. La sauvegarde des prénoms indigènes au cours du baptême catholique
Beaucoup de sectes chrétiennes pratiquent déjà cette
sauvegarde en baptisant leurs fidèles.
Or chacun sait qu’elles livrent déjà à l’église
Catholique une concurrence féroce sur le terrain.
Dans le cadre de son aggiornamento, on commence à sentir un infléchissement de l’Eglise Catholique dans cette direction.
1. L’exemple de mon ainé et ami Rigobert Ladikpo.
Nous avons qualifié l’exemple de Rigobert de ‘’ procédure
en catimini’’.
En effet, il a réussi à faire baptiser ses enfants avec
leurs prénoms yoruba ‘’ par son ami, l’Abbé Alphonse Quenum dans une paroisse
d’emprunt ‘’. La Paroisse Saint François Xavier de Porto-Novo qui a abrité le
baptême et qui n’est pas la paroisse de feu l’Abbé Quenum, a dû être négociée
pour la circonstance.
Rigobert Ladikpo a réussi son opération grâce à sa double
négociation :
D’abord avec feu l’Abbé Alphonse Quenum, acquis d’avance à sa cause.
Ensuite avec la Paroisse Saint François Xavier de Porto-Novo qui a accepté
de prêter son cadre ; mais a dû refuser d’administrer officiellement le
baptême.
Cet exemple de Ladikpo peut être considéré comme une
preuve d’un début d’infléchissement de l’Eglise Catholique,
mais ce n’est pas ce que nous voulons.
2. Un baptême catholique, avec des prénoms indigènes,
officiellement célébré dans l’Eglise Catholique du Bénin
Voilà ce que nous voulons.
Nous voulons qu’un Concile Œcuménique autorise le baptême avec les prénoms traditionnels africains. A partir de ce moment, ces prénoms pourront valablement et sans contestation possible être utilisés pour baptiser les fidèles partout dans l’Eglise Universelle. Il ne faut surtout pas confier cette décision à un Synode africain, car cela relèverait de la sous-traitance et ne s’imposerait pas à l’Eglise Universelle
3. Le lien avec Gantin
La béatification est, dans l’Eglise Catholique, la
procédure qui conduit à la sainteté. Donc si la procédure aboutit
favorablement, notre Cardinal deviendra un saint. Mais quel saint ? Un nouveau
saint Bernardin ? Car c’est Bernardin son nom de baptême. Le Cardinal a, sans
aucun doute, un prénom fon ; tout comme Mgr Sastre qui portait son prénom Codjo
officiellement.
Mais Gantin non seulement ne portait pas ce prénom fon officiellement de son vivant, mais il n’a pas été sanctifié par le baptême Catholique. A supposer que ce prénom soit Coffi, le saint qu’il deviendra ne pourra hélas pas porter Coffi !
Conclusion
Le cas de notre Cardinal est la preuve de la nécessité et
de l’urgence du baptême catholique avec nos prénoms indigènes.
Si sa béatification aboutit, il nous aura fait perdre un
évènement historique, à savoir l’avènement du premier saint Coffi de l’Eglise
Catholique.
C’est pourquoi nous souhaitons vivement que de nombreux catholiques, qui ont une pratique conséquente pouvant les conduire à la sainteté, choisissent de se faire baptiser avec leurs prénoms indigènes.
Ancien
ministre