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Nicole N’Vekounou, directrice générale de la Financière: « Il faut assainir le secteur du change manuel »

Economie
Nicole N’Vekounou Nicole N’Vekounou

Les entreprises agréées dans le secteur du change manuel font face à une rude concurrence en raison de la règlementation qui est en déphasage avec les réalités du marché. Nicole  N’Vekounou, directrice générale de la Financière, pose le diagnostic et lance un appel aux autorités de tutelle.

Par   Arnaud DOUMANHOUN, le 22 août 2025 à 08h28 Durée 3 min.
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La Nation : Quelle lecture faites-vous de l’activité du change manuel ?

Nicole N’Vekounou : Le secteur du change manuel est un secteur très concurrentiel mais fortement dominé par l’informel. Donc, les entreprises qui ont l’agrément essayent de se battre pour se faire une part du marché. Sinon, c’est un secteur fortement dominé par l’informel et les autorités en sont conscientes. Le règlement qui est le soubassement juridique de l’activité est actuellement sur la table des autorités de l’Uemoa afin que les conditions de fonctionnement soient revues pour permettre aux entreprises, qui ont reçu l’agrément, de fonctionner et d’en jouir.

Quelles sont les exigences pour installer une structure de change manuel ?

Il y a des conditions fixées par les autorités de tutelle, c’est-à-dire la Bceao, le ministère des Finances à travers la Direction des affaires monétaires et financières. Il suffit de répondre à ces exigences et a priori, vous obtenez l’agrément lorsque vous en faites la demande.

Quelles sont les relations que vous entretenez avec ces structures ? 

Ces autorités sont conscientes du fait qu’il faut assainir le secteur. Et elles disent mettre en place les bases pour l’atteinte de cet objectif. Des formations sont organisées de temps à autre, même si ce n’est pas régulier, par la Bceao et la direction des affaires monétaires et financières du ministère de l’Economie et des Finances. En ce moment, il faut dire que les entreprises qui ont leur agrément essayent de s’organiser pour mettre en place l’Association professionnelle des agréés de change manuel,  et les autorités de tutelle interviennent beaucoup dans ce processus, parce qu’elles tiennent à ce que nous soyons organisés pour leur faciliter la tâche dans le cadre de ce travail d’assainissement qu’elles veulent entreprendre. Donc, nous essayons de nous organiser pour pouvoir défendre nos intérêts et profiter de l’agrément dans la mesure du possible. 

Est-ce à dire qu’il n’y a pas de faîtière dans ce secteur d’activité ?

Il y en a eu dans le passé, mais qui aujourd’hui, dans les faits, ne sont pas visibles. Voilà pourquoi une nouvelle initiative est en cours pour la mise en place d’une association autour de laquelle nous pourrions nous organiser pour avancer.

Quels sont les risques auxquels votre domaine d’activité est confronté ?

Dans le domaine financier aujourd’hui, la lutte pour la conformité est très présente, notamment veiller contre le blanchiment d’argent, le financement du terrorisme, la fraude au consommateur. Nous sommes très sollicités dans cette lutte, et les autorités de tutelle ainsi que les banques veillent au grain. Nous faisons donc très attention parce que la loi sur le blanchiment d’argent, le blanchiment de capitaux est en vigueur dans notre pays depuis un moment, et il faut veiller à ne pas être épinglé sur ce terrain.

Est-il facile d’identifier un client qui fait du blanchiment d’argent ?

Il y a des signaux auxquels il faut faire attention. Vous y veillez parce que de toutes les manières, nous sommes obligés de mener la lutte, car il en va de l’image de l’entreprise et de la nôtre à titre personnel. Il y a des peines lorsqu’on est épinglé et il faut en répondre. Donc nous essayons de mener la lutte avec les autorités. 

Des garanties  sont-elles offertes à la clientèle dans ce secteur d’activité ?

Garanties ! Quand vous évoluez dans ce domaine, il faut mettre en place les mécanismes qui puissent vous permettre de faire correctement le travail. Lorsque nous recevons des devises, nous, les contrôlons. Et quand vous venez acheter des devises chez nous, nous, nous sommes sûrs de ce que nous vous remettons en retour parce que rien ne rentre sans être contrôlé par des machines. Nous avons investi pour cela, parce qu’on ne peut pas mener cette activité sans un minimum d’investissement. Donc, le client qui passe nos portes est sûr de prendre des billets corrects. Parfois, les gens prennent des faux billets sans le savoir. Mais dès que cela vient à notre niveau, nous les saisissons, et nous ne les retournons plus au client. 

Quelles sont les étapes de contrôle dans votre agence?

Quand vous allez à n’importe quelle caisse, vous avez un détecteur de billet à droite, et à gauche, une compteuse qui est en même temps détecteur de billet. Donc, c’est un double contrôle qui se fait à notre niveau.

Les banques vous livrent aussi une sorte de concurrence dans ce secteur d’activité. Comment entretenez vous la collaboration avec elles ?

Les banques sont agréées de par l’agrément de banque, et elles mènent l’activité de change manuel. Ce sont des concurrents mais en même temps des partenaires. Car les banques peuvent à la fois vendre et acheter des devises auprès de leur clientèle. Et les bureaux de change également peuvent s’approvisionner auprès des banques. C’est une collaboration. Ce sont des concurrents mais le marché est assez vaste pour tout le monde. Ce sont surtout des partenaires, en général, parce que nous sommes censés aller nous approvisionner auprès d’elles, sauf que dans la réalité, très peu de bureaux de change se rapprochent des structures bancaires parce que les taux ne leur permettent pas d’acheter et de faire des marges dessus. Parfois, il y a aussi l’indisponibilité des devises, parce que toutes les banques n’ont pas des devises à vendre aux bureaux de change. Elles ont peut-être le peu à vendre au client individuel ; donc chacun essaie de se débrouiller comme il peut.

Quelles sont les devises les plus demandées ?

Il y a l’euro, le dollar américain, le dollar canadien, le livre sterling. Mais les deux devises les plus demandées sont l’euro et le dollar. Les autres viennent au compte-gouttes. 

Quelle est la limite que vous ne pouvez pas excéder dans vos opérations ?

Lorsque vous voulez vendre des devises à un voyageur, parce que celui qui vient acheter des devises est censé être dans un projet de voyage, il ne peut pas acheter plus de la contre valeur de deux millions. C’est ce que dit la règlementation. Nous sommes astreints au respect de cette règlementation mais malheureusement les concurrents de l’informel peuvent vendre autant qu’ils veulent. C’est cela la grosse difficulté. Allez au quartier Jonquet ou au marché Dantokpa, et vous constaterez qu’il n’y a aucune limite.

Est-ce que cette activité est rentable ?

S’il faut prendre le change seul, elle n’est pas rentable compte tenu de l’environnement, notament la concurrence déloyale. Nous sommes sur le même marché et nous ne sommes pas soumis aux mêmes règles. C’est pourquoi ici, nous ne faisons pas que le change. Il y a les transferts et l’assurance. Si vous vous limitez au change seul, ce n’est pas possible de payer le personnel et de gagner de l’argent, parce qu’il y a une règlementation à suivre, et l’on ne peut vendre des devises comme on l’entend. Vous êtes obligés d'y rajouter d’autres activités pour payer le personnel et amortir les charges.

Votre mot de fin

A l’endroit des autorités, je sais qu’en raison du fait que nous sommes dans une Union, cela ne facilite pas forcément les choses, parce que l’on sent la volonté de changer la réglementation qui est quand même désuète. Imaginez que cette règlementation qui date de 2010 a été reconduite, alors que la limite de deux millions existait bien avant 2010. Des décennies après, nous sommes encore à la même limite pour l’achat des devises. Il y a un décalage qu’il faut changer. Mais nous sommes dans une Union et plusieurs pays doivent s’asseoir pour en débattre alors que les réalités ne sont pas les mêmes. La concurrence que nous vivons au Bénin à cause de notre proximité avec le Nigéria, ce n’est pas la même réalité dans des pays comme le Niger ou la Côte d’Ivoire, mais nous sommes soumis aux mêmes règles. Je demanderais aux autorités de tutelle de faire bouger les lignes afin que les conditions soient revues en harmonie avec l’environnement économique dans lequel nous vivons aujourd’hui.