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Pénurie d’enseignants à Allada, Tori et Toffo: Des solutions de fortune pour sauver l’essentiel

Education
Par   Site par défaut, le 15 juin 2015 à 23h32

Si dans les collèges le manque d’enseignants est géré avec le recours aux professeurs vacataires, cela n’est pas aisé au niveau des établissements primaires publics. Dans les circonscriptions scolaires d’Allada, de Tori et de Toffo touchées par le phénomène dans le département de l’Atlantique, les responsables du système éducatif ont adopté la solution de jumelage, de réunion de classes et la formule des classes multigrades pour permettre aux apprenants de ne pas rater le minimum.

Par Alain ALLABI

Le système éducatif béninois souffre du manque d’enseignants. Au niveau des écoles primaires publiques, le phénomène est si criard dans les communes de Tori, Allada et Toffo que les chefs des circonscriptions scolaires et les directeurs optent pour des solutions de combinaison des classes.
Barnabé Dégon, chef de la Circonscription scolaire d’Allada (C/CS), expose la gravité du phénomène dans sa circonscription qui compte 116 écoles primaires publiques contre 27 écoles maternelles. Quant au nombre d’enseignants disponibles, ils sont 497 avec un manque de 153, explique le C/CS. La situation n’est pas autre à Tori-Bossito. A ce niveau, 247 enseignants animent les classes des 64 écoles primaires publiques que compte la commune, selon André Totin, chef de la circonscription scolaire. Cet effectif est en deçà des 374 enseignants dont les établissements ont réellement besoin.
Félix Mègnigbèto, chef du service secrétariat administratif et du personnel de la circonscription, indique qu’il manque un effectif de 127 enseignants au niveau des écoles primaires publiques. Dans les écoles maternelles au nombre de 21 avec 36 classes, on ne compte que 21 enseignants. Selon lui, une seule des écoles maternelles est dirigée par un directeur ayant le CAP, le reste n’en est pas titulaire. Dans la circonscription scolaire de Toffo dirigée par Désiré Guèdèmè, il n’y a que 298 enseignants pour couvrir les 536 classes au cours primaire. Ce qui indique un manque de 238 enseignants. Alors qu’à la maternelle, 20 enseignants seulement animent les 39 sections ouvertes, soit une pénurie de 19 enseignants.

Les solutions par circonscription

Cette pénurie sévère d’enseignants n’a pas empêché les chefs de ces circonscriptions de s’organiser chacun à son niveau pour que les apprenants aient accès au savoir. Selon Barnabé Dégon, C/CS d’Allada, pour régler ce problème, on ne saurait le faire seul. D’abord, il y a des bonnes volontés au niveau local qui ont engagé des enseignants. C’est le cas de certains hommes politiques et de certains chefs d’arrondissement qui ont soutenu les écoles de la commune d’Allada en procédant au recrutement d’enseignants. Ils ne se contentent pas de les recruter mais se chargent également, précise-t-il, de leur assurer un salaire. Il évalue l’effectif de cette catégorie à environ une trentaine. «Ce nombre est insuffisant face au besoin exprimé sur le terrain », relève le C/CS d’Allada. Dès lors, il confie avoir retenu avec ses collaborateurs un système de gestion des classes dans le contexte de la pénurie. Il s’agit des classes jumelées et des classes multigrades. Selon lui, une classe jumelée est une classe constituée de deux classes de même niveau. Ainsi, à cause de la pénurie d’enseignants, on peut jumeler le CI et le CP, le CE1 et le CE2 et enfin le CM1 et le CM2.
Quant aux classes dites multigrades, elles concernent la réunion de deux classes de différents niveaux. Ainsi, on pourrait avoir ensemble dans une même salle, les écoliers du CI et du CEI par exemple. Dans la circonscription scolaire d’Allada, malgré les efforts des hommes politiques et ce qu’a fait l’Etat lui-même, la pénurie sévit toujours. Ce qui oblige Barnabé Dégon et ses collaborateurs à recourir à la formule des classes jumelées et des classes multigrades.
Au niveau de la commune de Tori, confie Félix Mégnigbèto, « toutes les écoles manquent pratiquement d’enseignants ». Cette pénurie qui date de plus de 10 ans s’est aggravée avec le temps à cause des départs à la retraite et du non remplacement par de nouveaux recrutements. En moyenne, précise-t-il d’un air d’impuissance, il manque trois enseignants par école de six classes. Mais poursuit-il, dans les écoles en extension qui ont huit classes, le manque atteint six. Et pour faire face à cette situation, des donateurs ont réagi pour doter, selon leurs moyens, certaines écoles d’enseignants. Mais cela ne parvient à couvrir les besoins en personnel enseignant dans le milieu. Alors, la formule appliquée dans la circonscription voisine est adoptée. Ainsi, à l’école primaire publique de Dohinonko B, le CE1 et le CE2 sont jumelés de même que le CM1 et le CM2.

Situation plus grave

La situation était plus grave au début de l’année scolaire à l’école de Houndomè B où il n’y avait que le seul directeur pour six classes. Mais une solution a été trouvée avec l’envoi de deux enseignants dont un contractuel et un recruté par l’Agence nationale pour la promotion de l’emploi (ANPE). Ainsi, à trois ils se débrouillent avec le jumelage des classes pour permettre aux enfants de suivre les cours. Toutes ces informations sont confirmées par le chef de la circonscription scolaire, André Ahissou Totin. Pour lui, le jumelage se fait aussi entre les mêmes classes au niveau des complexes, c’est-à-dire des écoles de deux à trois groupes. Ainsi, les écoliers de la même classe de différents groupes se retrouvent dans une même salle sous la direction d’un même enseignant. Au-delà des classes jumelées, ajoute-t-il, on procède aussi aux classes multigrades dans certaines écoles.
A Toffo, la gestion de la pénurie n’est pas faite exactement selon les mêmes démarches. Désiré Guédémè, le chef de cette circonscription, confie qu’en dehors du jumelage, lui et ses collaborateurs ont seulement recours à la réunion de classes. Il s’agit de la mise ensemble des classes de même niveau de différents groupes. « Nous ne faisons pas de classes multigrades ici », indique-t-il. En plus de ces dispositions internes, la coordination des associations de parents d’élèves a pris l’initiative de recruter des enseignants communautaires locaux dont certains sont titulaires du BEPC, d’autres du CEAP et d’autres encore du CAP. Mais entretemps, la plupart étaient partis parce que rappelés pour le programme de l’Agence nationale pour la promotion de l’emploi (ANPE). Ce qui crée encore des difficultés au niveau des écoles primaires publiques de la circonscription.

Des problèmes pour la qualité

Que la solution soit les classes jumelées ou multigrades, elle ne manque pas de conséquences aussi bien sur les apprenants que sur les enseignants. En d’autres termes, quand ça ne va pas chez l’enseignant, ça ne va pas chez les apprenants non plus.
Barnabé Dégon tient à faire la nuance. Pour lui, les classes jumelées posent moins de problèmes que les classes multigrades. Prenant le cas du jumelage CI-CP, il indique que l’enseignant s’occupe plus du CI en faisant le global et pour approfondir les notions, il se porte vers le cours supérieur (le CP). « Ainsi, les deux classes profitent », signale-t-il.
Quant à la formule multigrade, l’enseignant donne la priorité au cours le plus faible, car il estime que les apprenants du cours le plus élevé ont déjà ces connaissances et ce n’est qu’après qu’il s’occupe de la classe supérieure.
André Totin, de la circonscription scolaire de Tori, mettra l’accent sur les difficultés pour l’enseignant se trouvant en situation de classe jumelée ou multigrade. « Quand les effectifs sont élevés allant jusqu’à 80 écoliers par classe, cela appelle à plus d’effort de la part de l’enseignant et demande plus de contrainte dans les dispositions matérielles à prendre au niveau de la classe et notamment dans la mise en œuvre de certaines activités comme les évaluations, leur correction», révèle-t-il. Pour lui, «ce n’est pas facile à faire». La situation est pire au niveau de Toffo où le chef de la circonscription scolaire indique qu’on compte 100 écoliers dans une classe de Colli Bossouvi.
Alors, au sujet des solutions mises en œuvre, son collègue André Ahissou Totin de Tori s’interroge: « L’enseignant a-t-il reçu une formation pour encadrer des apprenants de différentes classes ? Comment peut-il s’arranger pour exécuter les programmes de deux classes avec les mêmes horaires que son collègue qui tient une seule classe ?»
Dans la réalité, confesse Barnabé Dégon, on se rend compte que les enseignants ne veulent pas faire du jumelage ni du multigrade. « Quand on leur demande d’appliquer ces formules pour remédier au manque d’enseignant, ceux qui sont polis font semblant de vous écouter mais en réalité, ils ne le font pas », reconnaît-il ajoutant avec dépit que « classe jumelée ou classe multigrade, ce n’est pas toujours souhaité ». Parlant des inconvénients, Barnabé Dégon dira que ce sont les enseignants qui sont les plus pénalisés. Aucune des formules ne les arrange. Au contraire, les classes jumelées et les classes multigrades leur demandent plus d’effort. Ce qui fatigue plus l’enseignant. Ainsi, note André Ahissou Totin, l’enfant ne pourra pas atteindre le profil souhaité à la fin de l’année pour un écolier de la même classe et ayant suivi les cours dans les conditions normales. Dès lors, renchérit-il, « l’enfant ayant évolué dans un tel système aura des difficultés au collège ».

A. A.