Promotion des langues nationales: « Les communes ont un rôle à jouer», selon Coffi C. Codjia, directeur national de l’Alphabétisation
Education
Par
Arnaud DOUMANHOUN, le 10 sept. 2021
à
09h53
A l’occasion de la commémoration, ce 8 septembre, de la Journée internationale de l’Alphabétisation par l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco), Coffi Charles Codjia, directeur national de l’Alphabétisation et de la promotion des langues nationales, présente un bilan des efforts consentis par le Bénin dans ce secteur, et lève un coin de voile sur les actions à court, moyen et long termes.
La Nation : Pourquoi le Bénin éprouve des difficultés à inclure l’alphabétisation dans le système éducatif formel ?
La loi sur l’éducation est claire. On enseigne en français, en anglais ou en langues nationales. Le problème qui se pose, c’est à quoi serviraient nos langues, quel rôle joueront-elles, dans le système formel ? Est-ce qu’on fera un apprentissage de la langue pour connaitre la langue tout court ? A mon avis, c’est non. Est-ce qu’on fera l’apprentissage de la langue pour maîtriser la connaissance, c’est-à-dire la langue comme véhicule du savoir ? C’est oui. Mais c’est un processus qui est assez long. Et on l’a commencé avec le projet Elan. Ce projet a initié l’introduction de nos langues dans le primaire. Mais il a marqué un arrêt. A mon avis, c’est parce que à un moment donné, on s’est rendu compte que la langue n’était pas un véhicule du savoir, que c’était juste un apprentissage, tout comme on apprenait l’anglais. Même au niveau de l’anglais, il y a une réforme en cours qui va nous permettre de l’utiliser comme véhicule du savoir, et non plus comme savoir tout court.
Qu’est-ce qui se fait pour que nos langues soient utilisées comme véhicule du savoir ?
Au niveau de la Direction nationale de l’Alphabétisation, nous travaillons avec la stratégie Eftp, entendu Enseignement, formation technique et professionnelle (Eftp). Dans cette stratégie, il y a ce que nous appelons le plan d’urgence. On a eu la possibilité de mettre en place des modules de formation en langues, de traduire les modules qui existaient dans certaines matières comme la mathématique, l’éducation scientifique et technologique, l’éducation sociale, en langues nationales, si bien qu’aujourd’hui, certains modules peuvent être directement enseignés aux artisans en langues nationales. C’est ça ce qu’on recherche. On lui donne l’enseignement dans sa langue, et il a peut-être six mois pour être recyclé, formé et aller travailler dans son quartier ou dans son village. Mais, il a aussi besoin de maitriser un peu la langue française parce que c’est la langue la plus utilisée.
Comment se déroule le cursus au niveau de l’alphabétisation?
Au niveau de la Direction nationale de l’Alphabétisation, le cursus qui est retenu jusque-là est réparti sur 4 ans. Les deux premières années sont consacrées à la maitrise de la langue, la maitrise des connaissances générales et nous avons des ouvrages qui y sont dédiés. Et quand vous finissez ces deux premières années, vous êtes capable de vous exprimer dans votre langue maternelle et capable d’écrire la langue française. A partir du second cycle, vous pouvez écrire la langue française et avoir ce qu’on appelle être formé dans l’alphabétisation fonctionnelle, c’est-à-dire celle qui permet de bénéficier du vocabulaire indiqué pour le métier que vous apprenez.
Au niveau de l’enseignement général, combien d’enseignants alphabétisés avons-nous ?
Je peux vous dire que, s’il y en a d’alphabétisés, ce sont des autodidactes. Et j’aime bien dire qu’ils sont lettrés en langue française mais ce sont des analphabètes en langues nationales. Or, ce sont eux qui agissent sur tout cet effectif que nous voyons. Il faut alphabétiser ceux-là. C’est à eux qu’il faut montrer les éléments pour mettre en place ce que j’appelle un lexique spécialisé qui est propre à l’enseignement qu’ils donnent. C’est à partir de là qu’on pourra enseigner en langues nationales dans le système éducatif formel. Si l’on doit introduire nos langues comme véhicule du savoir, forcément ils ont besoin d’être alphabétisés.
Avec un tel processus, pourrait-on atteindre de sitôt l’objectif ?
C’est ce qui décourage. C’est pourquoi, je propose deux axes. On ne redresse pas le bois dur. Laissons ceux qui sont là actuellement et formons les gens qui progressivement vont les remplacer. A ce moment-là, on pourrait avoir l’enseignement en langues nationales.
Parlant des acquis de l’alphabétisation, que retenir en ce qui concerne le Bénin ?
Nous pouvons dire que le Bénin est sur une bonne voie. Je le dis face à cette reprise que nous avons constatée depuis 2016. Parce qu’il faut reconnaitre qu’en 2016, il y a eu une chute de l’effectif alphabétisé qui est tombé à près de 2 000, 3000. Aujourd’hui, nous sommes à 18 000, et si nous devons aller dans les statistiques détaillées, plus de 30 000 personnes sont impactées par les questions d’alphabétisation au Bénin.
En outre, le ministère des Enseignements secondaire, technique et de la formation professionnelle en charge de l’alphabétisation a mis en place une stratégie pour faciliter l’enseignement de nos langues maternelles.
Jusqu’à l’année dernière, nous étions à 44 communes impactées. Et cette année, nous allons impacter les 77 communes. C’est notre objectif. Cela suppose donc qu’il y ait plus d’engagement de la part de l’Etat. Nous voulons ouvrir un minimum de deux centres par commune. Reconnaissons qu’à côté de cela, nous avons initié avec la Coopération suisse un projet intitulé Projet de gestion décentralisé de l’alphabétisation. Pour le moment, il impacte les départements du Borgou et de l’Alibori. Grâce à ce projet, nous avons ouvert plus de 600 centres dans ces deux départements. Il y aura une extension du projet si les accords sont signés dans l’Atacora et la Donga, avec un engagement plus important.
30 000 personnes impactées sur le plan national, n’est-ce pas dérisoire ?
Apparemment, c’est dérisoire. Mais c’est proportionnel aux moyens dont nous disposons. Quand nous faisons nos évaluations, nous avons plus de candidats que les candidats aux différents examens du Certificat d’aptitude professionnelle (Cap). C’est dire que quelque part, nous sommes sur la bonne voie. Mais je reconnais qu’il faut qu’on aille plus loin. Et pour aller plus loin, il faut avoir plus de moyens.
Pourquoi le Bénin n’arrive-t-il pas à imposer une langue nationale ?
Notre Constitution a été claire. L’Etat aide au développement des langues. Et la loi sur la décentralisation dit que les communes ont pour rôle de faire la promotion des langues. Cela veut dire que chaque communauté a l’accompagnement de l’Etat pour le développement des langues. Maintenant, choisir une langue est un idéal. J’ai du mal à distinguer une langue forte d’une langue faible parce que pour moi, une langue est une langue. Mais il y a des communautés qui n’ont pas une population assez importante. Or vous connaissez le Béninois dans son nationalisme, son micro-nationalisme. C’est pour éviter qu’on heurte des sensibilités que la Constitution a dit cela. Maintenant, si à un moment donné, l’Etat décide de choisir une langue, nous allons nous y conformer. C’est une décision politique. Elle est au-delà des décisions administratives que nous prenons.
Qu’avez-vous à dire pour conclure cet entretien ?
Je conclus sur une note d’espoir. Espoir que notre pays à un moment donné aura peu d’analphabètes ou n’aura pas d’analphabètes. C’est mon espoir.