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Les ressources de la faune et de la flore se dégarnissent de jour en jour, malgré les textes et mesures de préservation. Les départements du Borgou-Alibori sont particulièrement touchés. Les maires alertent à travers un réquisitoire sévère contre l’administration forestière.
«Si rien n’est fait, le Nord-Bénin sera d’ici à cinquante ans le désert et le Sud, le Sahel. La commune de Karimama est la plus exposée, c’est la porte du désert au Bénin ». C’est en ces termes que Moussa Maman Bello, maire de Karimama, attire l’attention sur le danger que court le pays face au phénomène de la déforestation et du braconnage au Bénin. «A l’allure où vont les choses, nous risquons de disparaître», alarme Inoussa Dandakoé, maire de Malanville. C’était à la faveur de la première session du Conseil départemental de concertation et de coordination (Cdcc) du Borgou-Alibori au titre de l’année 2016 tenue en début de semaine à la préfecture de Parakou, consacrée entre autres à la décentralisation et la gestion des ressources naturelles. En fait, malgré la multiplicité des acteurs dans la gestion des forêts, le constat est alarmant avec la destruction massive des ressources naturelles, reconnaît le colonel Boukari Adam Ouarakpé, chef de l’inspection forestière du Borgou-Alibori. Il n’en veut pour preuve que la méthode d’incinération des arbres pour l’installation des cultures, l’abattage anarchique et frauduleux des bois forestiers, l’empiètement ou l’invasion agricole, l’utilisation abusive des produits chimiques, les feux tardifs de broussailles, la pollution de l’eau, autant de pratiques qui ravagent le couvert végétal et la faune. Agents forestiers et autorités communales se rejettent mutuellement le tort.
Conscients du rôle de la commune dans la création, l’entretien des plantations, des espaces verts et de tout aménagement public visant à l’amélioration du cadre de vie, les élus locaux n’entendent pas laisser poursuivre le massacre des ressources naturelles qui drainent chaque année des centaines d’éco-touristes, notamment vers les parcs nationaux de la Pendjari et du W.
Triste réalité
Les maires déplorent que les communes n’aient pas les coudées franches pour veiller à la protection des ressources naturelles, notamment des forêts, des sols, de la faune, des ressources hydrauliques, des nappes phréatiques en vue de leur meilleure utilisation. Ils dénoncent la gestion qui en est faite. «Je suis déçu de la gestion des exploitations forestières qui devraient générer des dividendes à la commune», s’indigne Gaston Gobi Yorou, maire de N’dali. «Nous élus locaux des communes riveraines des ressources naturelles, sommes tenus à l’écart du partage des ressources générées», enfonce Inoussa Dandakoé. Le maire de Pèrèrè partage également cet avis. «Des bois quittent en masse la commune de Pèrèrè pour le Nigeria voisin avec la complicité des agents forestiers. Même la taxe du développement local (Tdl), ils ne paient pas. Les populations n’en profitent pas; la commune non plus», laisse entendre Mariétou Tamba. Le maire de Ségbana, Guéné Orou Sé, s’en désole, lui aussi, en alertant sur les incursions prédatrices dans la forêt classée des Trois-Rivières dans la localité.
L’insouciance des populations riveraines face aux effets néfastes de la désertification et leur participation à la déforestation sont remarquables et appellent à poursuivre les actions de sensibilisation et surtout de répression. Dans un seul village dans la commune Nikki, il a été dénombré vingt-six propriétaires de tronçonneuses ; des gens ont même vendu leur moto pour s’acheter des tronçonneuses, informe le maire Oumarou Lafia Boubakari. Plus de trente villages sont créés dans la zone tampon du parc du W à Karimama, là où les activités humaines sont pourtant interdites et ce, au vu et au su de tout le monde, dénonce le maire Moussa Maman Bello. La faune et la flore des parcs nationaux, des forêts classées et autres restent dangereusement menacées par la pression anthropique et le changement climatique.
Cupidité et complicité
Plus grave, ce sont les agents des eaux et forêts qui sont indexés comme complices de la dévastation des ressources naturelles. «Des exploitants forestiers sont en intelligence avec des forestiers professionnels pour les coupes tous azimuts d’arbres», fustige le maire de Malanville, Inoussa Dandakoé. «Aujourd’hui, il n’y a pas meilleur exploitant forestier qu’un agent forestier», renchérit un chef d’arrondissement de Parakou. Le maire de Karimama abonde dans le même sens et fait savoir qu’il a même surpris un agent assermenté qui est rentré dans le parc du W avec une tronçonneuse qu’il a saisie et qu’il a failli le boxer. «C’est comme un médecin qui tue un malade. C’est quoi ce pays où tout est permis ? Les gens viennent souvent avec des autorisations de Cotonou et disent avoir affaire avec le ministère. Les Nigériens traversent le fleuve et viennent tout détruire... C’est difficile de trouver du baobab, du jujubier aujourd’hui. Les essences vieilles disparaissent. Les animaux que j’ai connus quand j’étais enfant, on en voit plus même les cornes traîner quelque part. Ils ont tout ravagé avec la complicité des agents assermentés. C’est scandaleux», s’indigne Moussa Maman Bello de la commune de Karimama.
«Aujourd’hui, des forestiers sont aussi riches que des douaniers dans ce commerce d’exploitation illégale. Si le commerçant qui se fait arrêter par un douanier peut lui au moins parler, la nature, elle, est muette et on la pille», signale Salamatou Kora Ponou, préfet du Borgou-Alibori. «On est envahi par une cupidité qui amène les forestiers à ne pas jouer leur rôle», dira Guéné Orou Sé. «Même quand vous saisissez les tronçonneuses et que vous les amenez à la brigade, elles se retrouvent trois jours après sur le terrain», indique-t-il.
Le chef de l’inspection forestière du Borgou-Alibori admet que la situation est critique mais il ne conçoit pas que les autorités communales jettent uniquement le tort sur les agents forestiers. «Dans toute corporation, il y a des brebis galeuses mais cela ne suffit pas pour mettre tous les agents dans le même panier», réfute le colonel Boukari Adam Ouarakpé. «Ce qui importe, préconise-t-il, c’est qu’on regarde dans la même direction pour une convergence d’actions afin de sauvegarder ce qui est encore là, qu’on travaille la main dans la main pour arrêter la saignée.» ?