La Nation Bénin...
La première a été celle de la conservation policière. C’était dans les années 50 jusqu’en 90 où, à la faveur de la Conférence nationale, le Bénin a opté pour une approche participative, celle qui fait intervenir les populations riveraines et l’administration décentralisée dans la gestion des forêts. Malheureusement, regrette le capitaine Paul Kiki, coordonnateur de la Cellule technique d’aménagement forestier de la forêt classée de l’Alibori supérieur, cette approche n’a pas été bien comprise par toutes les parties prenantes. Selon lui, ce n’est pas l’approche elle-même qui est mauvaise, mais c’est sa mise en application sur le terrain qui pose problème.
En effet, les populations riveraines ne comprennent pas comment est-ce qu’on pourrait les empêcher de vivre, puis de profiter des ressources de cette forêt. C’est à force d’y aller couper du bois pour vendre, qu’elles l’ont envahie. Par la suite, les exploitants forestiers clandestins les ont rejoints. Ensemble, ils ont alors mis à rude épreuve cette formation végétale. Ensuite, il y a eu les exploitants agricoles qui emblavent 5, 10, 20 et même 50 ha de champs pour le coton et l’igname, des cultures ayant surtout besoin du soleil. « Sans se soucier de la sauvegarde de cette forêt, tous y ont pris goût », fait observer le capitaine Paul Kiki. « Ils l’ont vidangée », insiste-t-il.
Il y a 20 ans, rappelle-t-il, cette forêt n’était pas dans cet état.
N’en déplaise que dans les années 2009-2010, avec l’accompagnement des partenaires, la direction générale des Eaux, Forêts et Chasse a initié le projet de gestion des forêts et terroirs du Bénin. Avec ce projet, explique le coordonnateur de la Cellule technique d’aménagement forestier de la forêt classée de l’Alibori supérieur, il y a un plan d’aménagement qui a été mis en place par rapport à plusieurs forêts dont celle qui est à sa charge. Elaboré avec la participation de toutes les parties prenantes, à savoir l’administration au niveau des communes tributaires, les populations riveraines et surtout l’administration forestière, ce projet a également permis de recenser les potentialités de la forêt classée de l’Alibori supérieur et de la répartir en zones de production pour l’exploitation du bois d’œuvre, du bois de service, la fabrication du charbon et autres. Il y a également une zone de conservation intégrale à l’intérieur de laquelle, aucune intervention n’est autorisée. Pour finir, une zone est prévue pour y mener les activités agricoles. C’est, indique le capitaine Paul Kiki, la zone agro-forestière au sein de laquelle les populations riveraines doivent rester pour leurs activités agricoles et de subsistance.
« C’est ce qui était prévu au moment où on mettait en œuvre le plan d’aménagement. Mais, avec l’insuffisance des moyens à laquelle l’administration forestière est confrontée, les ménages ont commencé par emblaver plus que ce qui leur avait été accordé »,
rapporte-t-il. Selon lui, c’est ce qui fait que cette forêt a totalement été prise d’assaut et qu’il n’y a plus de différence aujourd’hui entre zone agricole, zone de production et zone de conservation. « Tout est confondu de telle manière qu’on est tenté de l’appeler ‘’forêt non classée de l’Alibori supérieur’’, où toutes les spéculations sont présentes, surtout le coton qui se cultive de manière extensive », soutient Paul Kiki.
Investi de la mission de la restaurer, il se doit, avec les membres de son équipe, d’amener les occupants de la forêt à mieux appréhender la nécessité pour eux de veiller également à sa préservation. Sur le terrain, c’est ce à quoi ils s’emploient sérieusement.
L’état des lieux
« Actuellement, nous avons engagé une lutte contre les installations anarchiques érigées dans la forêt. Le peu de végétation naturelle qui reste, nous mettons tout en œuvre pour le conserver, indique le capitaine. Des dispositions, explique-t-il, sont prises afin qu’il n’y ait plus de nouveaux défrichements. La deuxième lutte que nous menons, poursuit-il, c’est qu’il n’y ait plus d’exploitation de bois d’œuvre ou de bois de service à l’intérieur de la forêt. Enfin, la troisième lutte, c’est de tout faire pour sécuriser le noyau central de cette forêt.
En effet, c’est depuis deux ans que le traçage de la ligne ceinturant le fleuve Alibori qui prend sa source à Péhunco a commencé. « Lorsque nous allons ceinturer le noyau qui occupe environ 3 % de la superficie totale de la forêt, nous procéderons à l’opération de relogement des occupants. Ailleurs, on parle de déguerpissement. Il s’agira de faire partir les occupants du noyau, pour les ramener dans la zone où ils peuvent rester », informe le capitaine. « Dans la zone de production, nous faisons surtout le reboisement », précise-t-il.
Cette année, laisse-t-il entendre, ce sont plus de 100 ha qui ont été reboisés, à savoir 10 ha dans la commune de Péhunco, 30 ha à Kérou, une quinzaine à Kandi, 25 ha à Gogounou et 25 ha également à Sinendé. Les années passées, des actions du genre avaient également été effectuées. Il s’agit de redonner un aspect vert à cette forêt qui aujourd’hui, présente malheureusement l’aspect d’un vaste champ de cultures.
En effet, au niveau de l’administration forestière béninoise et dans le cadre des efforts de restauration engagés, le Projet forêts classées du Bénin a vu le jour depuis 2019. Selon le capitaine Paul Kiki, il vient actualiser le plan d’aménagement dont les données collectées dans les années 2010, ne cadrent plus avec la réalité sur le terrain. Elles sont déjà dépassées. « Ce projet vise à actualiser le plan d’aménagement et à redéfinir le zonage, à la faveur d’un reboisement intensif chaque année », a-t-il fait remarquer.
D’ailleurs, c’est dans le cadre de la mise en œuvre de ce projet que, des agents de l’administration forestière ont été conviés les 11 et 12 novembre derniers à Grand-Popo, pour un atelier de cadrage méthodologique. Ce qui débouchera sur le recensement des occupants des forêts dont celle de l’Alibori supérieur. Selon certaines sources bien avisées, déjà de janvier à février, voire mars 2021, des prestataires se rendront sur le terrain pour réaliser ces activités.
« Laisser le naturel et produire ce qui est artificiel. Exploiter l’artificiel, en veillant à ce que la préservation du naturel et de la biodiversité soit de mise », c’est ce à quoi travaille Paul Kiki. Ce n’est qu’à ce prix, assure-t-il, que la nature va reprendre ses droits. « Naturellement, les arbres vont repousser et nous allons faire des enrichissements avec des espèces autochtones », affirme-t-il. Sur des sites de la forêt classée de l’Alibori supérieur, reconnait-il, le reboisement a été une réussite et sur d’autres, un échec total ou partiel.
L’objectif demeure la conservation du potentiel forestier, tout en restaurant la capacité de régénération des écosystèmes...
.. En termes de difficultés, la restauration de la forêt classée de l’Alibori supérieur en cours est loin d’être aisée. Diverses contingences ne cessent de compromettre les nombreux efforts entrepris sur le terrain.
Le capitaine Paul Kiki déplore d’abord l’absence de moyens roulants pour se rendre sur le terrain, dans le cadre des activités de patrouilles, de surveillance et de protection de la forêt. Toutefois, il reconnaît à la direction générale de l’administration forestière ses diligences afin de remédier, un tant soit peu, à cette situation.
L’autre difficulté, selon lui, est liée à l’insuffisance de personnel. « Imaginez 256 000 ha et nous ne sommes qu’une quinzaine d’agents conviés à les protéger. Ce n’est pas facile »,
avoue-t-il. « Actuellement, lorsque nous prenons le véhicule de Kandi pour nous rendre à Kérou et que l’on nous signale qu’il y a une situation à Gogounou ou Sinendé, c’est un peu difficile d’intervenir. Mais, le Projet forêts classées au Bénin a promis de mettre des drones de surveillance à notre disposition, pour des interventions rapides, précises et efficaces », ajoute-t-il.
S’agissant toujours des difficultés, le coordonnateur de la Cellule technique d’aménagement forestier de la forêt classée de l’Alibori supérieur évoque un autre problème auquel il est confronté avec son équipe. C’est l’accompagnement des élus locaux qui leur fait défaut. « En tant qu’élus, ce sont d’abord les intérêts de leurs populations ou électeurs qui comptent », fait-il constater. Quant aux populations riveraines, elles ne sont préoccupées que par la sauvegarde de leurs intérêts personnels. Aussi, invite-t-il ces dernières à commencer par prendre leurs dispositions afin de libérer les lieux. « La forêt ayant été classée, elle appartient désormais à l’Etat », informe Paul Kiki.
A l’endroit des autorités communales, il sollicite leur accompagnement, la forêt permettant également d’accroître les ressources propres de leurs mairies. Cette année, par exemple, cette forêt a généré des dizaines de millions qui ont été répartis entre les communes concernées et toutes les autres parties prenantes.
Quant au chef de l’arrondissement de Péhunco centre, Orou Sourou Issiaka, il demande à l’Etat de mettre un peu plus de moyens à la disposition des agents forestiers. C’est parce que, estime-t-il, leurs moyens sont limités, qu’ils laissent faire.
Il souhaite, qu’après avoir mis les plants en terre, les populations riveraines soient également sollicitées pour leur entretien. « Que les plants soient suivis et non abandonnés comme c’est le cas à certains endroits de la forêt, surtout en cette période de sécheresse où, sans pare-feu, ces espèces ne peuvent évoluer normalement dans leur croissance. Exposés aux feux de brousse, elles disparaissent. Il y a également les éleveurs qui à un moment donné, conduisent leurs animaux dans les vergers qui sont en train d’être constitués », met-il également en garde. Tant d’efforts régulièrement remis en cause, ce qui contraint à un éternel recommencement.
Même si sa restauration n’évolue pas encore au rythme que l’on aurait souhaité, la forêt classée de l’Alibori supérieur ne court pratiquement plus le risque de disparaître. Au-delà de cette avancée, le plus dur sera la gestion des conséquences liées aux mesures d’expulsion de ses occupants.
---------------------------- Les exploitants agricoles au banc des accusés ------------------
Exploitant forestier agréé de son état, Eric Olokou en veut certainement aux exploitants clandestins qui, en son temps, lui avaient livré une concurrence déloyale. Mais pas au point de leur faire porter entièrement la responsabilité de la dégradation de la forêt.
« Au fait, il n’y a pas que les exploitants forestiers qui soient seuls responsables de la situation que nous déplorons au niveau de la forêt. A la recherche de grands espaces pour faire le coton et l’igname, des exploitants agricoles arrivés de Banikoara s’y sont installés anarchiquement », affirme-t-il. La quarantaine révolue, Eric Olokou soutient que ce sont plutôt eux qui ont le plus détruit la forêt. « Chacun d’eux emblave entre 20 et 30 ha. Vous vous imaginez ? », s’ interroge-t-il. La preuve, poursuit-il, les forestiers leur font payer aujourd’hui une quittance en fonction de la superficie du domaine qu’ils exploitent
Chef de l’arrondissement de Péhunco centre, Orou Sourou Issiaka: « Faire adopter les bons comportements aux populations riveraines »
Les communes tributaires de la forêt classée de l’Alibori supérieur ont bien conscience du précieux atout qu’elle constitue pour elles. A travers leurs élus, elles comptent ne pas rester en retrait par rapport à sa restauration en cours. Chef de l’arrondissement de Péhunco centre, Orou Sourou Issiaka entend s’impliquer activement pour la réussite du processus, en s’investissant aux côtés des populations riveraines.
Avec sa restauration en cours, c’est une ère nouvelle qui s’ouvre désormais pour la forêt classée de l’Alibori supérieur. En obtenant l’adhésion des populations riveraines et de leurs élus, le processus y gagnerait beaucoup plus.
Dans la commune de Péhunco, le chef de l’arrondissement central, Orou Sourou Issiaka, a pris l’engagement de faire adopter les bons comportements aux siens, par rapport à l’exploitation dont cette forêt devrait faire l’objet.
« Par le passé, lorsqu’on parle de Péhunco, on pense aux exploitants forestiers qui s’adonnaient allègrement et en toute impunité à la destruction du couvert végétal », se souvient-il. « Ils détruisaient certaines espèces. Mais étaient-ils munis d’une autorisation ?
Je ne saurais le dire. Ces personnes qui venaient exploiter les ressources naturelles de la commune, étaient dans leur majorité originaires de Bassila »,
fait-il remarquer. « Ils avaient de l’argent et pouvaient tout se permettre. Même se rendre dans une zone, puis faire abattre toutes les espèces. Mais, c’est désormais du passé. Nous voulons bien l’oublier, si ce n’est pas que cette époque a laissé des séquelles non seulement sur notre forêt, mais aussi au plan social », déplore-t-il.
Ainsi, à cause d’eux, poursuit Orou Sourou Issiaka, la nouvelle génération n’aura peut-être plus la chance de connaître certaines espèces d’arbres. « Sur le plan social, ils ont fait beaucoup de victimes dans les rangs surtout de nos jeunes sœurs. Ils leur ont laissé des enfants sous les bras, des enfants qui aujourd’hui sont abandonnés à eux-mêmes », explique le chef d’arrondissement. « Nos sœurs qui sont parties avec certains parmi eux, ont été obligées de rentrer. C’est pour se retrouver à la charge de leurs parents. Voilà ce que cette exploitation a laissé comme conséquences dans la commune de Péhunco », a-t-il également laissé entendre.
« Par rapport à la restauration qui est en cours au niveau de la forêt, on espérait mieux. Mais force est de reconnaître qu’il y a des efforts qui sont en train d’être faits », avoue Orou Sourou Issiaka. L’administration forestière, admet-il, ne peut faire qu’avec les moyens mis à sa disposition. « En tant qu’élus locaux, il nous revient de tout mettre en œuvre afin que les efforts des forestiers ne soient pas vains », a-t-il également lâché. Huit mois après avoir pris fonction, il a déjà pris contact avec le chef cantonnement. Appréhendant l’urgence de la restauration de cette forêt, il n’attend pas lui marchander sa franche collaboration.
L’application de la loi s’impose
Pour ce faire, il compte sur les comités installés, ainsi que les chefs de villages impliqués dans la gestion de la forêt au niveau de son arrondissement. Ils sauront, espère Orou Sourou Issiaka, remonter les informations à son niveau afin qu’il puisse les faire parvenir aux services compétents.
« A l’endroit de mes parents qui continuent d’agresser la forêt, il faudra engager une sensibilisation intense », propose-t-il. « La majorité de ces parents disent qu’ils ont besoin de terres pour cultiver. Ils estiment que c’est dans la forêt qu’elles sont les plus fertiles. Il s’agit de les amener à comprendre qu’il y a des zones où ils ne peuvent plus intervenir », explique le chef d’arrondissement. « Par rapport à tous ceux qui se sont installés dans cette forêt, il faut que les agents forestiers jouent également leur partition. Ils doivent apprendre à faire la part des choses, en amenant tout le monde à comprendre que l’application de la loi est générale et non d’ordre spécifique », a conclu Orou Sourou Issiaka.