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Gestion durable de la forêt classée de Dan: L’implication communautaire, la voie du salut

Environnement
Vue panoramique de la forêt classée de Dan, symbole de vie pour les populations riveraines Vue panoramique de la forêt classée de Dan, symbole de vie pour les populations riveraines

La forêt classée de Dan, riveraine à la commune de Djidja, renaît de ses cendres. Elle pète désormais la forme grâce à l’engagement des communautés riveraines dans les initiatives de reboisement. Si hier, ces populations avaient fortement contribué à sa dégradation, elles sont aujourd’hui au cœur de sa restauration sous l’encadrement des forestiers, et jouissent pleinement des fruits de leurs efforts. 

Par   Maryse ASSOGBADJO, le 28 août 2025 à 08h34 Durée 3 min.
#forêt classée de Dan

Vêtu d’une tenue identifiable à son corps de métier, bottes vertes aux pieds, Richard Théodore Adjabo, contrôleur des eaux et forêts, sillonne la cour de la Cellule technique d’aménagement forestier (Ctaf) de Dan, un arrondissement de la commune de Djidja, tout heureux. Il montre, explications à l’appui, les milliers de pépinières de plants soigneusement disposées par les communautés au profit de la forêt classée de Dan. Il ne manque aucune occasion pour rappeler le motif de sa fierté : la renaissance de cette forêt classée avec le concours des populations riveraines. Six ans plus tôt, la forêt était mal en point. L’espace recouvert de forêt naturelle était seulement de 5 % sur les 1 530 hectares que couvre cette forêt classée.

« Par le passé, les populations riveraines avaient mis en terre leurs propres plantations : orangers, bananiers, papayers, cocotiers. Elles abattaient allègrement les arbres naturels pour leurs divers besoins … », se souvient Richard Adjabo.

Des actes préjudiciables qu’elles-mêmes ne nient pas. « Nous disposions de la végétation selon notre bon vouloir. Nous faisions inconsciemment du tort à nous-mêmes et à la postérité en allant couper le bois sans arrière-pensée », confesse Marie Guidigbohoun, présidente d’un groupement féminin.

Au-delà de ces agissements, les effets néfastes de la déforestation ont aussi provoqué un changement radical au sein des communautés de Dan. «Nous nous sommes très mal comportés vis-à-vis de la forêt par le passé. Nous faisions les feux de brousse dès que nous sentions le besoin. La pluie était rare, tout était aride ici », raconte-t-elle, tout en laissant transparaître sa joie de contribuer au retour de la végétation dans la forêt : « Les choses sont revenues à leur place normale. Toute la forêt est couverte d’acacias aujourd’hui et nous respirons de l’air pur. La situation est sous contrôle ».

La cadence et les pas de la danse ayant changé, les prédateurs d’hier sont devenus les champions du reboisement d’aujourd’hui. « Nous ne permettrons pas que quelqu’un sabote nos efforts. Nous veillons sur la forêt comme la prunelle de nos yeux.  La forêt, c’est une source de richesse ; c’est la vie», soutient Marie Guidigbohoun.  

Au départ, les efforts de restauration revenaient seulement à l’Etat. En 2019, la Banque mondiale est venue en appui à travers le projet Forêts classées Bénin (PFC-B), financé à hauteur de 90 millions de dollars. Ce projet soutient la mobilisation et l’implication des communautés dans les actions de reboisement. Son objectif est d’améliorer la gestion intégrée des forêts classées et de développer les chaînes de valeur des produits forestiers non ligneux au profit des communautés dépendantes des forêts. Le Pfc-B mise sur l’approche participative tout en donnant les moyens aux communautés d’être les vraies actrices de la reforestation. 

« Avec l’aide du projet Forêts classées Bénin, les populations riveraines installent elles-mêmes les pépinières, procèdent à la mise en terre des plants, font le piquetage, l’élagage des arbres et assurent l’entretien des lieux », assure Théodore Adjabo.

 

Engagement et rigueur

Les communautés de Dan y mettent du cœur en assurant la veille permanente. « Lorsque quelqu’un commet des impairs, nous signalons systématiquement son cas à la Cellule technique d’aménagement forestier (Ctaf) et au commissariat. Depuis que l’un des nôtres a été sommé de payer une amende au Trésor public, tout le monde s’est davantage rangé », explique Apollinaire Attizovè, président du Conseil de Coordination des Unités d’Aménagement forestier de Dan. 

Cette mesure aussi forte que dissuasive est salvatrice, car elles intègrent la surveillance et la protection de la biodiversité et le suivi écologique. « En matière d’aménagement participatif, nous ne saurions travailler sans les populations. Après quatre années, nous avons noté avec satisfaction l’engagement communautaire. La forêt a été restaurée à plus de 95 % », apprécie Barnabé Sossa, conservateur des forêts classées, des eaux et chef d’inspection forestière du Zou.

A Dan, la plantation la plus ancienne du Pfc-B remonte à 2020. Le projet a choisi l’acacia auriculiformis comme espèces à mettre en terre en raison de son fort pouvoir calorifique. Cette semence est soigneusement disposée tout le long des 1 530 hectares que recouvre la forêt. Les quelques rares anciennes plantations en mauvais état de développement sont remplacées par des peuplements plus homogènes, mieux aménagés et mieux suivis avec des essences adaptées au milieu. On y retrouve aussi quelques essences autochtones telles que le néré, le fromager, l’anogensus leicarpus, afin d’éviter la monoculture. 

Le bonheur des groupements

Les groupements féminins captent bien la manne issue des efforts de reboisement. Les bénéfices qu’elles en tirent sont d’ordre pécuniaire et environnemental. « Les femmes qui profitaient de la forêt ont été redirigées vers les activités génératrices de revenus en lien avec la forêt », apprécie Richard Adjabo.

Le groupement Nouwagnon, constitué d’une vingtaine de femmes, travaille main dans la main avec les forestiers. Marie Guidigbohoun en est la présidente. « Nous sommes fières d’être les actrices du changement. Ce que nous avons détruit hier nous donne à manger aujourd’hui, à travers les travaux de reboisement », se félicite la responsable du groupement. 

Francisca Attizovè n’en dira pas moins : « Il est vrai que nous avons beaucoup bavé au début de cette initiative. Mais il nous est impossible de retomber dans les mêmes erreurs du passé. Nous ne pouvons pas détruire ce qui nous donne à manger, encore moins le permettre à d’autres personnes. Autrement, nous ferons du tort à nous-mêmes ».

Au-delà de la prise de conscience des populations, la forêt doit aussi sa survie à une organisation des communautés riveraines sur le terrain. Divisée en deux Unités d’aménagement (UA) incluant les villages environnants, Azoua: 663,93 ha (57,15 %) et Finli : 497,74 ha (42,85 %), elle est organisée en trois séries : série de production, série agricole et série de protection, sans oublier la Cellule d’aménagement technique qui met en œuvre les activités planifiées. 

Chaque UA comporte six groupements. On y dénombre au total une douzaine de groupements (dont un spécifiquement féminin) qui s’occupent de la production des plants, de leur mise en terre au sein de la forêt et de toutes autres activités allant dans le sens du retour de la végétation.

Les Unités d’aménagement savent qu’il faut anticiper sur les défis pour ne rien omettre. «Chaque année, les Ua font des prévisions du nombre d’hectares à reboiser et font la répartition en tenant compte du nombre de groupements », assure Appolinaire Attizovè.

René Akabassi, chef du village de Dridji et membre du groupement ‘’Midjangodo’’, est une personne avisée en matière de restauration de la forêt. Il parle de l’organisation mise en place pour sécuriser les lieux. « En décembre, les garde-feux prennent possession des lieux. Ils sont une cinquantaine à ceinturer toute la forêt du matin au soir et durant toute la nuit. Ils font la ronde de façon rotative afin de préserver les acquis du projet. Leur présence est dissuasive », explique le chef de village.

Veille permanente

Avec le dispositif de veille, il n’y a aucune marge de manœuvre aux individus malintentionnés. Le projet a mis un accent particulier sur la sécurité. « Les garde-feux ne sont pas les seuls à assurer la surveillance des lieux. Ils ont des superviseurs au-dessus d’eux qui les contrôlent régulièrement. Personne ne peut commettre un forfait ici sans être appréhendé. D’ailleurs, le projet nous paye en connaissance de cause », souligne René Akabassi.  

Chaque activité en lien avec la restauration de la forêt est rémunérée.  « Nous sommes payés sur la base de notre travail : de la mise en place des pépinières, et à l’entretien des plants en passant par leur mise en terre », témoigne Francisca Attizovè.

Dans le cadre de la restauration de la forêt, les Ong de prestations de services agro-forestiers ‘’ALDIPE ONG,’’ ont recruté des conseillers agricoles qui forment des paysans à la mise en place des systèmes d’intensification de l’agriculture.

Il faut dire que le chemin en matière de reboisement total de la forêt a été long et périlleux. C’est en 1993 que l’approche participative de la restauration de la forêt a pris corps. Après plusieurs balbutiements, les fruits ont fini par tenir la promesse des fleurs. « On a commencé par impliquer les populations riveraines dans la gestion des forêts à partir de cette année-là. Nous avions remarqué que nos efforts en faveur de la restauration des forêts, à l’époque, étaient vains du fait des réticences ou résistance des populations riveraines. Nos nombreuses sensibilisations à leur endroit ont fini par porter des fruits au point où elles se sont approprié le rôle de surveillant de la forêt. Elles ont compris l’intérêt de la restauration », assure Richard Adjabo.

Les femmes essayent de fructifier les revenus issus des activités de reboisement afin d’avoir plusieurs cordes à leur arc. « Nous investissons nos économies dans d’autres activités génératrices de revenus telles que la transformation du manioc, l’élevage des volailles et des porcs », soutient Marie Guidigbohoun.

Outre les groupements féminins, les groupements mixtes aussi y trouvent leur compte. « La forêt retrouve ses marques. Elle vit et nous procure d’énormes avantages. Les ressources que nous gagnons nous aident à faire efficacement face aux besoins de nos familles et à installer nos propres projets », se réjouit Apollinaire Attizovè, président du Conseil de coordination des Unités d’aménagement forestier de Dan.

Sur le chantier de la restauration de la forêt classée de Dan, ce cinquantenaire est une figure bien connue. Bien trempés dans les réalités spirituelles endogènes, lui et ses compairs invoquent par moments les dieux au profit du bien-être des forêts dans le pays. « Nous avons tous remis à cœur joie les terres que nous occupions illégalement au sein de la forêt en vue de sa restauration. Il est crucial de la préserver. Sans quoi, la pluie va être rare et nous allons tous en souffrir. Quand ça ne va pas, nous faisons le nécessaire dans ce sens », assure-t-il.

C’est le décret N°2024-902 du 17 avril 2024 qui porte approbation des plans d’aménagement participatif des forêts classées de Dan, Kétou, Logozohè, Agoua, Ouémé-Boukou, Tchaourou-Toui-Kilibo, Ouémé supérieur-N’dali, Ouénou Bénou, Trois rivières et Alibori supérieur.  

L’aménagement participatif sur 10 ans

Le plan d’aménagement participatif de la forêt classée (Papf) de Dan est élaboré pour une durée de 10 ans, couvrant la période 2023 à 2032. Il vise à « assurer la restauration de la forêt classée de Dan pour servir d’espaces de conservation et de gestion durable de la biodiversité et des services écosystémiques en vue de l’amélioration des conditions de vie des communautés riveraines».

La finalité dudit plan est d’assurer une meilleure conservation de la biodiversité, la restauration des zones dégradées dans les séries de protection et de production, d’améliorer les conditions d’existence des communautés riveraines et de la gouvernance et de favoriser l’approvisionnement durable en bois et produits forestiers non ligneux.

Créée par l’arrêté n°3074 S.E du 29 octobre 1943, la forêt classée de Dan est entièrement reboisée aujourd’hui, grâce au projet Forêts classées Bénin (Pfcb). Elle dispose entre autres des enclaves de Tèzoukpa et d’Ahoyèmè.

Il suffira désormais d’une gestion rationnelle pour éviter que les populations riveraines tombent dans les mêmes travers du passé. A l’heure du bilan, le plan d’aménagement de la forêt classée de Dan permettra de mieux évaluer le chemin parcouru. Pour l’heure, l’unanimité est faite autour des bienfaits que procure la forêt et de l’intérêt du reboisement au sein des communautés riveraines de Dan.

Leur souhait, c’est de tout faire pour pérenniser les acquis, avec le concours des communautés, même si le projet Forêts classées-Bénin arrivait à terme.

Dan et sa consommation en bois-énergie

Selon les projections démographiques, la population de Dan devrait atteindre 19 193 habitants en 2022, contre 13 701 en 2013. La consommation estimée en bois-énergie par les ménages riverains en 2022 est de 36 247,15 m3/an de bois, contre une capacité productive annuelle de 832,30m3/an de bois. Comme d'autres forêts classées du Bénin, celle de Dan est soumise à un régime restrictif de l'exercice des droits d'usage. Cela signifie que l'accès et l'exploitation des ressources y sont réglementés pour assurer leur conservation.