Urbain Dassi, président des gestionnaires de la forêt sacrée de Zè, située à plus de 40 km de Cotonou, est préoccupé par l'avenir incertain des forêts reliques. « Chaque jour, ces écosystèmes sont grignotés. En tant que gardiens de ces espaces, nous rencontrons de nombreuses difficultés pour les préserver », déplore-t-il. Ce cri du cœur a été lancé le 31 mai 2023, à la veille de la Journée nationale de l'arbre, à l'Université d'Abomey-Calavi. Pour susciter davantage d'intérêt autour de son plaidoyer, il met en avant toute l'importance de ces "poumons verts" notamment pour la culture. « Par exemple, la forêt sacrée de Zannoudji est une richesse pour la culture Aïzo. Il en existe une autre où, lorsqu'il ne pleut pas, il suffit d'y effectuer un sacrifice pour que la pluie revienne immédiatement. L'État doit nous aider à assurer leur protection », insiste-t-il.
Une forêt relique est en réalité une forêt ancienne qui a survécu et qui est restée pratiquement inchangée. « Ce sont des témoins de l'histoire de la Terre et de l'évolution des espèces », rappelle Professeur Aristide Cossi Adomou, botaniste. Selon lui, ces écosystèmes abritent une biodiversité importante et rare. « On y trouve environ 1000 espèces de plantes, ce qui représente environ un tiers de la flore du Bénin », précise le chercheur. Selon certaines études, le Bénin compte 2940 forêts sacrées qui s'étendent sur une superficie totale de 18 360
hectares. Parmi elles, 70 % mesurent moins d'un hectare, 18 % sont comprises entre 1 et 5 hectares et 12 % dépassent les 5 hectares. Cependant, tout comme Urbain Dassi, de nombreux acteurs s'accordent à dire que ces écosystèmes sont confrontés à de nombreuses menaces, malgré une protection culturelle et religieuse qui leur est accordée dans une large mesure.
Sacrées mais menacées
Dr Romaric Koutchika Ehinnou est aussi préoccupé. Ce chercheur s'est basé sur la durée de vie d'une espèce pour estimer le taux d'extinction d'une forêt relique. Nous ne rentrerons pas dans les détails du calcul. « Le taux d’extinction est égal à 24,28. Donc, en 24 ans une relique de forêt disparaît », fait-il remarquer. En passant en revue l'état de conservation des forêts reliques du Sud-Bénin, Professeur Aristide Cossi Adomou note de nombreux signaux d’alerte. « La perte de la Forêt classée de Pahou et de la forêt communautaire de Ewè-Adakplamè entraînerait une énorme perte de biodiversité. Malheureusement, entre 2000 et 2020, ces deux forêts ont perdu plus de 50 % de leur superficie » indique le chercheur.
Les menaces sont connues. La dégradation est liée, entre autres, à la petite taille de ces forêts, à l'expansion des terres agricoles, aux besoins en bois et à la vulnérabilité aux changements climatiques. « Les forêts reliques sont constamment menacées par les activités humaines. Les coupes répétées font que certaines ne présentent qu'une ou deux strates au lieu de trois », déplore Koutchika Ehinnou. Ces pressions constantes, selon le biogéographe, ont une influence sur leur structure et leur composition floristique, notamment par l'introduction d'espèces exotiques. « Face aux pressions anthropiques, les bois sacrés, en particulier ceux de faible superficie, sont exposés aux influences des environnements voisins et à la pénétration d'espèces étrangères », ajoute-t-il.
Urgence
Il y a urgence de renforcer l’arsenal de protection de ces forêts reliques. La question du foncier revient de plus en plus dans les alertes. D’aucuns appellent les autorités à déclarer d’utilité publique les forêts reliques, surtout celles qui sont sous la menace d’une insécurité foncière. Mais cette approche n’est pas partagée par tous. « Au lieu d’aller vers le forcing administratif, faisons en sorte que les communautés trouvent leur intérêt à préserver l’habitat. A Ewè-Adakplamè par exemple, il y a des rivalités entre les communautés, mais ce que je fais c’est de mettre en exergue la fonctionnalité de l’habitat et son utilité. Il faut amener les gens à dépendre de la ressource, et c’est ce qui est plus difficile », propose Alfred Houngnon, responsable de l’Association de gestion Intégrée des ressources (Agir). De son côté, Dr Romaric Koutchika Ehinnou propose la restructuration des comités locaux de gestion de ces forêts reliques. « Les membres du comité local seront désignés par les collectivités, dignitaires/propriétaires terriens parmi les adeptes de la (des) divinité(s) de la forêt sacrée. Toutefois, l’élu local (chef de quartier ou chef de village) initié peut être membre s’il le désire », suggère le chercheur. Le contrôle de gestion, le suivi-évaluation et la coordination des activités seront assurés au niveau de la commune par un comité communal.