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Lutte contre le terrorisme: Cette affirmation du premier ministre burkinabé contre la France est fausse

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Capture d’écran de la publication Facebook de l’Aib Capture d’écran de la publication Facebook de l’Aib

Dr Apollinaire Kyélem de Tambèla, premier ministre burkinabé, a accusé la France, vendredi 19 juillet 2024, d’achat d'armes russes qu’elle revendrait aux terroristes installés au Burkina Faso. Ses propos ont été rapportés par le service de presse de la Primature et repris le lendemain par plusieurs médias locaux et internationaux. La publication est virale sur les réseaux sociaux. Dans le fond, l’article ne présente aucun autre détail. Il ne mentionne pas non plus si le premier ministre a dévoilé la ou les preuves de sa déclaration. Toutes vérifications faites, des publications crédibles soulignent que les terroristes de la région ne bénéficient d’aucune aide étatique extérieure.

Par   Ariel GBAGUIDI, le 05 août 2024 à 02h13 Durée 4 min.
#Lutte contre le terrorisme

« Les Français, par intermédiaire, peuvent acheter des armes russes et les revendre aux terroristes pour détourner l’attention. La France livre les armes qu’elle ne fabrique pas pour faire croire qu’elle n’est pas impliquée. Nous avons mis du temps pour voir le rôle direct de la France dans cette crise ». Apollinaire Kyélem de Tambèla, premier ministre du Faso, a tenu ces propos, vendredi 19 juillet 2024, lors d’une audience avec Dietrich Becker, nouvel ambassadeur de la République fédérale d’Allemagne près le Burkina Faso, selon une publication de la Direction de la Communication et des Relations publiques (Dcrp) de la Primature, sur la page Facebook de l’institution. Le sujet lié à la France, lit-on, a été évoqué à la suite d’une observation du diplomate allemand concernant l’utilisation des armes russes par les terroristes. L’article de la Dcrp a été repris le 20 juillet 2024 par des médias comme l’Agence d’information du Burkina (Aib) et la Radiodiffusion et Télévision burkinabè (Rtb). « Sur la question, le chef du gouvernement burkinabè a pointé du doigt la France, qui, selon lui, ne joue pas franc jeu avec ses partenaires », a écrit l’Aib.

La publication sur les pages Facebook des deux médias est virale. L’Aib a recueilli plus de 2800 mentions ‘‘J’aime’’, 605 commentaires et 98 partages à la date du 31 juillet 2024. L’article a été lu 1246 fois sur le site internet du média, selon ses propres statistiques, à la même date. Sur la page Facebook de la Rtb, la publication a généré plus de 3200 mentions ‘‘J’aime’’, 441 commentaires et 155 partages toujours à la même date.

En commentaire des publications, beaucoup ont applaudi les propos du premier ministre. « La franchise. Appelons le chat par son nom. Quand on se dit amis on se doit assistance et entraide. Hélas. Il est temps de tirer les voiles et de se parler en live », a commenté un internaute. Mais la déclaration du premier ministre n’emballe pas tout le monde. Les sceptiques ont émis des réserves. «Bon, on attend les preuves...», a affirmé un incrédule qui rappelle au passage que le délai fixé par les autorités burkinabè pour mettre fin au terrorisme est dépassé. «Du reste, courant 2023, vous disiez que le terrorisme allait finir avant la fin de l'année, nous sommes 8 mois après cette échéance, dites-nous déjà ce qui n'a pas marché... Sinon sortir chaque jour accuser un nouveau pays ne va pas nous ramener la paix hein », a-t-il écrit avant d’essuyer de vives critiques de la part des supporters du régime burkinabé.

Dr Apollinaire Kyélem de Tambèla, premier ministre burkinabé, a tenu ses propos dans un contexte de vives tensions entre la France et les pays de la Confédération de l’Alliance des Etats du Sahel à savoir le Burkina Faso, le Mali et le Niger qui ont tous chassé l’armée française de leurs territoires.

Face contre mur

Le 29 juillet 2024, nous avons adressé un courriel à la Primature burkinabè et un message privé au premier ministre via sa page Facebook, dans l’espoir de recevoir des éléments de preuve sur ce présumé commerce illicite d’armes russes aux terroristes, qu’entretiendrait la France. Toutes ces requêtes sont restées sans suite, à la date du 1er août 2024. Nous avons également contacté l’Aib pour comprendre le contexte de publication des propos du premier ministre. Tilado Apollinaire Abga, rédacteur en chef du média, a indiqué, le 31 juillet 2024, que « l’Agence n’a fait que citer une dépêche produite par la Primature du Burkina Faso». Il a rappelé que seuls les services compétents de la Primature peuvent fournir les preuves qui sous-tendent la déclaration du premier ministre.

Aucune preuve de commerce illicite mené par la France

Certains pays comme les Etats-Unis et le Canada tiennent une liste noire des Etats soutenant le terrorisme dans le monde. L’Union européenne sanctionne également ces genres de nations. Nulle part la France ne figure sur l’une ou l’autre des listes noires.

Toujours pour confirmer ou infirmer le rôle présumé de l’Etat français dans le commerce illicite d’armes (qu’elles soient russes ou autres) au Burkina Faso et identifier également l’origine des armes utilisées par les terroristes installés dans le pays, nous avons entré les mots clés « France, vend, armes, terroristes, Burkina Faso » dans le moteur de recherche Google. Plusieurs ressources apparaissent dont un article de l’hebdomadaire Jeune Afrique qui renseigne que les arsenaux des groupes armés viennent du continent africain lui-même.

L’auteur de l’article a tiré l’information du rapport 2023 de l’Office des nations unies contre la Drogue et le Crime (Unodc). Plus récemment, le 24 janvier 2024, Léo Jarry, enquêteur principal en service à l'Ong Conflict armament research (Car), a évoqué, entre autres, le danger de la prolifération des armes de petits calibres au Sahel, devant la Commission du Sénat français chargée des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées. Les mots clés « d’où, viennent, armes, terroristes, Burkina Faso » dans Google ont conduit vers l’enregistrement vidéo de l’intervention de l’expert devant les membres de la Commission.

Abordant le cas du Sahel en particulier et de l’Afrique de l’ouest en général, Léo Jarry a soutenu qu’il n’y a pas de preuve formelle créditant la thèse d’un soutien étatique extérieur à l’endroit des terroristes. « En dépit des déclarations qui ont pu être faites, le travail qui est réalisé avec les pays (du Sahel Ndlr) indique qu’il n’y a aucun soutien d’un Etat extérieur aux groupes djihadistes dans la région…», a certifié l’enquêteur principal à l'Ong Conflict armament Research basée au Royaume-Uni.

La France est certes le deuxième exportateur d’armes au monde, selon une étude de l'Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (Sipri) citée par la chaîne de télé Euronews, mais elle ne vend que ses propres arsenaux militaires et aux gouvernements, d’après plusieurs autres publications.

Par ailleurs, le rapport 2023 de l’Unodc relève à sa page 12, concernant spécifiquement les armes à feu à longue portée, qu’« il existe des preuves d’un trafic (…) vers le Sahel, notamment par voie aérienne depuis la France…», sans fournir aucun autre détail de compréhension. Par exemple, dire si c’est l’Etat français ou une/des organisations criminelles qui organisent le trafic en question.

Origine des armes des terroristes

En juillet 2021, le Colonel des douanes sénégalaises, Amadou Tidiane Cissé, a publié un ouvrage intitulé « Terrorisme : La fin des frontières ? Nouveaux enjeux de la coopération douanière en matière de sécurité au Sahel » dans lequel il a éclairé sur l’origine des armes utilisées par les terroristes présents au Sahel. Dans une interview accordée à Wakat Séra, un média burkinabé, il rappelle les propos du défunt président malien, Amadou Toumani Touré, qui disait en 2012 que « le Mali subit les effets collatéraux de la guerre en Libye qui était devenue le magasin d’armes à ciel ouvert le plus important, le moins cher et le mieux achalandé ». A l’en croire, c’est le même cas pour tous les autres pays du Sahel. Mais ce n’est pas tout, fait-il savoir. « Un nombre important d’armes provient des stocks nationaux mais également des manufactures locales reconnues par l’État ou exerçant en toute clandestinité», a-t-il ajouté.

Sa thèse est confirmée par le rapport 2023 de l'Unodc. Le document onusien précise que les armes des terroristes du Sahel sont héritées soit du conflit libyen, soit elles font partie des lots d’armes détournées auprès des armées nationales de la région, soit des lots hérités de conflits précédents ou, elles proviennent des transferts d'armes des forces de sécurité de l'État pour soutenir les acteurs non étatiques ou encore d’une production artisanale.

Ces informations concordent avec les résultats des études menées par l’Ong Car au Sahel, à en croire l’exposé de Léo Jarry devant la Commission du Sénat français.

« Ce que nous observons pour les sources d’approvisionnement en armes et munitions pour des groupes djihadistes au Sahel est que la très grande partie de leur arsenal provient du détournement des stocks nationaux. Ils pillent les stocks nationaux en attaquant des bases (militaires Ndlr), des postes de sécurité, etc. Cela répond à un double objectif : s’approvisionner en matériels et faire reculer l’Etat pour contrôler des territoires. Les groupes djihadistes s’approvisionnement aussi en armement hérité des conflits régionaux antérieurs (rébellion ivoirienne) ... », a fait noter l’expert de Car. L’autre part de l'armement des terroristes détourné des stocks de la Jamahiriya libyenne, contrairement à ce que l'on entend souvent, explique-t-il, est « dans des proportions mineures ».

Léo Jarry indique également qu’au marché noir, la part d'armement achetée est «anecdotique ». A l’en croire, les groupes djihadistes s’approvisionnement sur le marché noir à de très rares occasions. Ces armes sont plutôt utilisées par des individus qui sont djihadistes en soirée et bandits de grand chemin en matinée, a laissé entendre l’expert.

Vieille rengaine accusatrice

Ce n’est pas la première fois que la France est accusée d’appui militaire présumé aux terroristes présents au Sahel ou dans la sous-région ouest-africaine. Quelques-unes de ces fausses informations qui circulent depuis des années ont pourtant été déconstruites par TV5 Monde en 2021 et France 24 en 2023.

Verdict

Les propos de Dr Apollinaire Kyélem de Tambèla, premier ministre du Burkina Faso, selon lesquels la France, par intermédiaire, achètent des armes russes pour les revendre aux terroristes afin de détourner l’attention, est fausse. Des publications crédibles renseignent que les terroristes de la région ne bénéficient d’aucune aide étatique extérieure.