La Nation Bénin...
A
l’ère des réseaux sociaux, la désinformation a pris de l’ampleur. Lutter contre
devient un enjeu crucial. Augustine Samba Ndiaye, journaliste indépendante, est
engagée sur cette question. A travers son blog Fakt, une initiative de lutte
contre la désinformation en Afrique, elle traque les fausses informations,
démantèle les stratégies de désinformation et promeut l’Education aux médias et
à l’information (Emi). Dans cet entretien, elle évoque l’impact de la
désinformation, notamment en période électorale et l’importance du
fact-checking et de l’Emi.
Fakt est une initiative dédiée à l'éducation et à la sensibilisation de la jeunesse face aux défis de la désinformation. C’est un blog.
Sur
notre blog, nous proposons des articles et des conseils pratiques pour aider
les jeunes à mieux comprendre et contrer les mécanismes de manipulation qui
prolifèrent en ligne. Nous couvrons des thèmes comme la désinformation, la
liberté de la presse et l'impact de l'intelligence artificielle sur la
diffusion de fausses informations.
À
travers Fakt, nous visons à fédérer une communauté proactive et éclairée,
capable de faire preuve de discernement et de vigilance dans un paysage
médiatique en constante évolution. Nos perspectives sont ambitieuses. Nous
voulons renforcer l’esprit critique des jeunes et leur donner les outils
nécessaires pour s’informer de manière responsable.
Donc,
mon objectif est de sensibiliser la jeunesse africaine aux dangers des fausses
informations et de renforcer son esprit critique à travers des contenus
pédagogiques variés (articles, vidéos, infographies, podcasts, ...) diffusés
sur un blog et divers réseaux sociaux (Facebook, X, LinkedIn, YouTube, TikTok).
Je
souhaite offrir aux jeunes des outils concrets et des repères dans un
environnement médiatique saturé de fausses informations.
Je
collabore étroitement avec des fact-checkers africains dont, entre autres, Azil
Momar Lô d’Africa Check, Blaise Pascal Andzongo, André Mpoudi et Fabrice Makem
d’Éduk-Média, Kaberu Taïru de Cellule Anti Fake News et Badal Fohmoh de Class
Pro, pour mettre en place des projets communs qui répondent aux défis locaux de
la désinformation. En parallèle, je développe un kit d’Éducation aux Médias et
à l’Information (Emi) destiné aux écoles afin d’aider les jeunes à mieux
comprendre et vérifier l’information.
Dans
les mois à venir, j’ai l’ambition de développer davantage la chaîne YouTube de
l’initiative ainsi que le compte TikTok, en y intégrant des podcasts et des
formats interactifs. Mon objectif reste de toucher une audience plus large, en
diversifiant les formats pour m’adapter aux habitudes numériques des jeunes.
À travers cette initiative, je souhaite être une ressource fiable et accessible pour les jeunes, les aidant à mieux naviguer dans le flot d’informations auquel ils sont exposés.
2025
et 2026 sont des années électorales dans plusieurs pays d’Afrique. Et vous
n’êtes pas sans savoir que la désinformation est une arme puissante que les
acteurs politiques africains utilisent également. Que cela soit au Sénégal, en
Côte d’Ivoire, au Bénin, au Togo, quels sont les facteurs de risques en la
matière ?
La désinformation représente un risque considérable lors des élections en Afrique. D’une part, l’instabilité politique crée un terreau fertile pour des campagnes de manipulation de l’information et d'autre part, les réseaux sociaux, où les informations circulent rapidement et sans contrôle, facilitent la diffusion de fausses nouvelles et par conséquent la confusion des électeurs.
Un
aspect particulièrement préoccupant est l’impact des campagnes étrangères de
désinformation qui exploitent les vulnérabilités des jeunes africains pour
influencer l’opinion publique et semer la division. Ces campagnes, souvent
menées par des acteurs extérieurs, utilisent des tactiques sophistiquées telles
que l'astroturfing, les deepfakes et l’amplification via des trolls.
Par
exemple, lors de l'élection présidentielle de 2024 au Sénégal, une campagne de
désinformation a circulé sur Twitter, relayant un narratif trompeur sur les
relations franco-sénégalaises. Des images et des textes similaires ont été
diffusés par des comptes anglophones relayant un prétendu discours du président
de la République Bassirou Diomaye Faye dans lequel il demandait à la France de
quitter le Sénégal. La technique utilisée pour attribuer ce discours fictif au
chef de l’Etat sénégalais a été le deepfake. De même, des éléments comme un
prétendu rapprochement du Sénégal avec certaines puissances étrangères,
notamment la Russie, ou avec la Confédération de l’Alliance des Etats du Sahel
(Aes), ont été amplifiés par des campagnes de désinformation. La manipulation
des perceptions publiques est une tactique utilisée pour semer la confusion au
sein des citoyens. Dans ce contexte, une vigilance accrue et une mobilisation
collective contre la désinformation s'avèrent cruciales, car ces manipulations
alimentent les rumeurs d’ingérence politique et les théories du complot.
Afin
de contrer cette tendance, plusieurs actions de fact-checking ont été menées
avec succès. En prévision des élections sénégalaises de 2024, Africa Check a
joué un rôle clé en identifiant et en exposant les fausses informations
circulant sur les réseaux sociaux. Pour reprendre le cas de l'élection
présidentielle au Sénégal, en prévision du scrutin, l'Alliance de vérification
des faits #SaytuSEN2024 a été lancée, initiée par Africa Check et regroupant
plusieurs médias et plateformes. Avant le premier tour du 24 mars 2024, le
compte "X" de l’Alliance avait déjà relevé et démenti plusieurs fausses
informations, telles que des fausses unes de médias, des faux sondages, des
fausses déclarations de personnalités influentes et des rumeurs de faux
ralliements politiques. En analysant et en vérifiant les informations diffusées
en ligne, #SaytuSEN2024 a démenti plusieurs faux sondages et fausses images de
campagnes circulant sur les réseaux sociaux. Ces actions ont permis de rétablir
les faits et de diffuser des articles de fact-checking.
Les médias sociaux étant devenus des canaux d’information de plus en plus dominants, il est essentiel de développer une vigilance collective face à ces phénomènes. L’un des moyens les plus efficaces de lutter contre la désinformation est l’éducation aux médias et à l’information (Emi). Former les citoyens à identifier les informations fiables et à développer un esprit critique devient un levier indispensable pour contrer ce phénomène. Les jeunes en particulier doivent être sensibilisés aux techniques utilisées pour manipuler l’information et être armés pour faire face à ces enjeux.
Le
fact-checking est-il la panacée contre la désinformation en période électorale
? Que doit-on faire, que l’on soit journaliste, politique, Ong ou encore simple
citoyen pour réduire l’impact de la désinformation dans les processus
électoraux et assurer l’intégrité de l’information ?
Le fact-checking est crucial mais il ne peut à lui seul endiguer le phénomène de la désinformation, surtout en période électorale. En cette période, et de manière générale, les fausses informations servent à influencer les opinions. Ainsi, tous les acteurs ont un rôle à jouer pour réduire l’impact de la désinformation dans les processus électoraux et assurer l’intégrité de l’information :
-
Les journalistes doivent vérifier rigoureusement les faits et sensibiliser le
public aux méthodes de vérification.
-
Les politiques ont la responsabilité d’adopter une communication transparente
et de s’abstenir de propager des informations douteuses.
-
Les Ong doivent sensibiliser les citoyens et renforcer l'éducation aux médias
et à l’information pour les aider à reconnaître les fausses informations.
-
Les citoyens, en développant leur esprit critique et en vérifiant leurs
sources, peuvent être des barrières contre la désinformation.
Chacun
doit devenir un acteur de vigilance pour contrer les rumeurs et les
informations trompeuses.
En
résumé, si le fact-checking est une arme cruciale contre la désinformation, il
ne peut être efficace que dans le cadre d’une action collective. Il est
essentiel que chacun, à son niveau, s’investisse pour promouvoir la vérité.
L'actualité
aux Etats-Unis, c'est le retour en grande pompe de Donald Trump à la tête du
pays. Comme nous l'observons tous, ses fausses affirmations continuent de faire
écho auprès de ses partisans. Selon vous, est-ce un échec pour la presse et les
vérificateurs de faits ?
L'intérêt que continuent de susciter les déclarations de Donald Trump, ainsi que l'adhésion de certains de ses partisans à des affirmations controversées, soulignent les défis importants pour les médias et les vérificateurs de faits. Ces professionnels jouent un rôle essentiel dans la société en fournissant des informations vérifiées et accessibles, permettant ainsi aux citoyens de se forger leurs propres opinions sur la base de faits. Dans un contexte où les informations circulent rapidement et sont facilement amplifiées par les réseaux sociaux, le travail de vérification est d'autant plus nécessaire pour garantir que chacun ait accès à des données précises et fiables.
Il
est toutefois important de noter que la réception des informations, même
vérifiées, dépend de nombreux facteurs. Les perceptions individuelles, les
valeurs culturelles et les dynamiques sociales influencent souvent la manière
dont les informations sont comprises et interprétées. Les médias et les
fact-checkers, en fournissant des éléments clairs et vérifiés, contribuent à
une meilleure compréhension des faits.
En
clair, le travail des médias et des vérificateurs de faits demeure crucial pour
assurer une information de qualité en apportant des éléments objectifs dans un
paysage informationnel où des informations variées et parfois contradictoires
peuvent circuler.
Dans un tel contexte, comment réinventer le fact-checking et l’Emi pour éviter que la désinformation ne pollue totalement notre quotidien d’ici les années à venir ?
Pour limiter l'impact de la désinformation, il est essentiel de développer l'esprit critique dès le plus jeune âge, en enseignant aux jeunes non seulement à analyser et à comprendre les informations mais également à vérifier leur véracité. Cette éducation doit être adaptée aux formats numériques interactifs et dynamiques que consomment les jeunes, comme les réseaux sociaux, les vidéos ou les jeux en ligne, afin de rendre l'apprentissage plus engageant et pertinent ou alors intégrer l'éducation aux médias et à l’information dans les programmes scolaires, par exemple, ce qui permettrait de former une génération capable de repérer les fausses informations et de comprendre les rouages de la manipulation médiatique.
Par
ailleurs, le rôle des communautés locales doit être valorisé. Il s'agit
d'encourager chaque citoyen à devenir acteur en contribuant à signaler et à
démentir les fausses informations qui circulent dans son propre réseau.
Enfin,
diversifier les formats de fact-checking est également essentiel. Au-delà des
articles classiques, il faut utiliser des vidéos courtes, des infographies et
même des podcasts pour toucher une audience plus large et variée. C’est pour
cette raison que je suis actuellement en train de développer mon compte YouTube
et TikTok. En adaptant les messages au plus grand nombre, on augmente les
chances d’atteindre des personnes plus vulnérables face aux fausses
informations■