David Fêliho, international de football : Métronome des Ecureuils des années 80
Sports
Par
Sabin LOUMEDJINON, le 16 mars 2022
à
12h57
Icône oubliée. David Fêliho était un milieu relayeur atypique qu’a connu le football béninois dans les années 80. Intuitif, teigneux et endurant, il incarnait simplement la classe des footballeurs mythiques dont l’immensité du talent n’a pu être illustrée faute d’archives.
David Fêliho est-il un homme doté de poumons d’acier ? La résistance physique hors norme de ce joueur au petit gabarit fait débat et taraude toujours l’esprit des aficionados du football, en l’occurrence, ceux qui ont vu évoluer, ce joueur. Taille moyenne et fière allure, le très physique no 8 des Ecureuils des années 80 porte bien son prénom: David. A l’instar du personnage biblique, la silhouette du milieu récupérateur des Ecureuils hante toujours les souvenirs de certains attaquants retors qui ont affronté cette ‘’boule d’énergie’’ qui leur a fait des misères sur le rectangle vert.
Athlétique, remuant mais très peu technique, l’enfant d’Adandokpodji, l’un des quartiers populaires de la cité princière d’Abomey, a su allier vivacité et efficacité dans l’entrejeu du Onze national.
Né à Niamey, au Niger, dans les années 60, et portant des cicatrices raciales sur chaque joue, David a découvert le football par le biais de son géniteur Raphaël Fêliho, agent de la Régie du Niger qui gratifiait régulièrement sa progéniture des ballons de football qu’il ramenait de service. Mais alors que le gamin jouissait de ces faveurs de son père, une fois rapatrié au Bénin, certains oncles ont fait l’option de décourager leur neveu dans la pratique du football. Pour eux, ce «jeu conduit inexorablement à la déperdition». Ainsi, tantôt chicoté, parfois ligoté par ses oncles pour le péché de ‘’pratique de football’’, mais jamais l’idée d’abdiquer n’a effleuré l’esprit du jeune David. Tellement l’insouciance, si ce n’est la passion du gamin, était forte.
Lorsqu’après l’obtention de son certificat d’études primaires (Cepe), son oncle paternel, Thomas Fêliho, inscrit David au Collège d’Enseignement général d’Abomey, il était loin d’imaginer que son neveu allait continuer de fort belle manière à vivifier sa passion au point de devenir très jeune, une vedette précoce. Au collège, la pratique du football semble prendre le dessus sur les études. Les séances de football à quatre dénommé « petit camp» à la sortie des classes ou pendant les récréations font parfois oublier au jeune homme les leçons de Mathématiques, d’Anglais, d’Histoire-géographie et autres. Les weekends et autres jours ouvrables, le vocabulaire du jeune collégien est passé de l’académique au sportif : « Tacles, récupération, retrait, passe en profondeur, marquage à la culotte … ». C’est ainsi que le langage du football s’est affermi et avec lui, le jeu. Et progressivement ce jeune homme d’un noir de jais, à la démarche bancale, a évolué au sein de toutes les catégories d’âge au Ceg1 d’Abomey.
Jeune talent éblouissant ne pouvant demeurer longtemps sous l’éteignoir, le District rural d’Abomey enrôle le gamin dans son effectif. Ce ne sera que juste pour quelques matches. Puisque le district urbain le récupère au sein de son très célèbre club : Bazooka Fc d’Abomey, l’un des plus populaires de la ville princière. Talent nettement au-dessus de son âge, la jeune pépite aux marquages redoutables a vite tapé dans le mille. David a eu sa chance le jour où son ainé et milieu de terrain Pierre Ayoubaso a été malade. Il est sollicité pour le suppléer dans le cadre d’une rencontre opposant Requins Fc à Caimans Fc à Cotonou. Le pied à l’étrier, David intègre ainsi la sélection départementale: le Fc Caïmans du Zou, le très populaire et emblématique club du Centre du pays dont beaucoup de jeunes rêvent de porter la tunique Vert-Blanc. David Fêliho, 16 ans, élève en classe de 3e est désormais footballeur de première division avec le dossard n° 6. Inédit. ‘’C’est la première fois que je viens à Cotonou, et c’est aussi la première fois que je joue au stade Réné Pleven ‘’, se souvient-il plus de quarante ans après les faits.
Le corps souvent recouvert de petits bobos accompagnés quelquefois d’entorses, cela n’a pas, pour autant, dissuadé le gamin de continuer les classes. C’est ainsi que, comme du bon vin, le jeune David se bonifie. Avec le temps il est devenu une petite vedette du cuir rond aussi bien dans son collège que dans la ville.
C’est David !
A l’époque : fin des années 70 et début 80, ce club du département dont l’envergure s’étend jusqu’à la zone administrative des Collines actuelle discutait le championnat national animé par huit clubs. Ainsi, aux côtés d’autres grands noms du football béninois tels : Flavien Soudé, Désiré Ahokpè, Jean-Marie Dayato, Thomas Akouèdji, Désiré Azon …, le jeune David a fait les beaux jours du club basé à Abomey.
Sans être un foudre de guerre, Fc Caimans du Zou était néanmoins craint par beaucoup dans le championnat. Son baptême du feu sur l’échiquier international a été le match contre Bcc Lions du Nigeria en Coupe de l’Ufoa. « Rencontre difficile mais palpitante. Le Fc Caïmans du Zou battu en aller et retour a été vite éliminé de la compétition », se souvient David qui soutient toujours que l’expérience en valait néanmoins la peine.
Dans les rangs de Fc Caïmans du Zou, David n’a pas tardé à prendre de l’étoffe. Il y est devenu une pièce maitresse. Condition suffisante pour qu’à peine 19 ans, les portes de la sélection nationale s’ouvrent pour lui. Le coach du Onze national, le Russe Abarona séduit par l’intelligence, la vivacité, le courage de l’adolescent timide, mais très impulsif, lui fait appel pour animer l’entrejeu de l’Etoile rouge du Bénin (ancienne appellation des Ecureuils). C’est ainsi parti pour une riche expérience en sélection pour le natif d’Abomey.
Durant la dizaine d’années de présence au sein du Onze national, David y a été le métronome. De nature calme et partisan de la non-brutalité, le fils de Raphaël Fêliho était autoritaire dans l’entrejeu qu’il animait aux côtés de certains caciques tels que : Damien Folly, Ludovic Alikpara et Victor Zèvounou. « La belle époque des Ecureuils. Des moments de grande complicité », confie aujourd’hui le sexagénaire prof d’Education physique et sportive à la retraite qui garde toujours en mémoire son premier match nocturne disputé le 26 octobre 1979, à Abidjan en Côte d’Ivoire, dans le cadre du tournoi du Conseil de l’Entente. « Nous étions menés, puis j’ai reçu une balle sur le flanc droit, ensuite j’ai balayé toute la défense adverse pour aller égaliser. Le marquoir lumineux signale : 20 h 29 min. Haute Volta 1- Bénin 1. Et au terme de la rencontre, nous avons remporté le match ». A l’évocation de cette rencontre, ses petits yeux mi-clos illuminent de fierté son visage, et un petit sourire figé met en exergue ses pommettes saillantes. Car c’était sa première fois de livrer une rencontre nocturne de football. Des moments gravés dans la mémoire de David. Puis, comme une récitation, il déroule: « … Sur une chevauchée solitaire, David Fêliho met toute la défense togolaise dirigée par le solide Denké Wazo en déroute et offre sur un plateau d’or une passe lumineuse à Ahlonsou Agossou Pascal qui égalise : Togo 2 – Bénin 2 ». C’est un morceau choisi de la retransmission de la rencontre par un éminent reporter de la radio nationale que le joueur a écouté lors d’une émission sportive. David l’a mémorisée et la récite tel un mantra. Peut-être pour se faire bonne conscience, lui qui aime à raconter que « le football d’autrefois n’a pas nourri son homme ».
Du secret de son endurance physique, David avoue le devoir à l’un de ses nombreux entraineurs : Joseph Agueh dit ‘’deux bras.’’ C’est lui qui assénait à ses poulains que les équipes résidentes à la côte sont plus techniques qu’endurantes. Or, « avec l’endurance, on peut anéantir la technique », renseigne-t-il. C’est ainsi que ce coach, adepte de la culture physique, a régulièrement entraîné ses joueurs dans la descente de Détohou ; une zone difficile d’accès à Abomey pour qu’ils y travaillent en y grimpant les montées abruptes. De très « fastidieuses séances de souffrances physiques» auxquelles les joueurs d’Abomey se sont habitués. Ce qui a été un précepte intangible du coach Agueh, David l’a adopté comme sa tasse quotidienne. Et c’est sa belle carrière de footballeur qui en a été le révélateur.
Seulement que dans le football, David n’y a pas gagné grand-chose. Et il traine toujours comme un boulet le souvenir de la seule fois qu’il avait l’occasion, manquée, d’engranger un peu de sous. Ce jour où, pour raison de participation à un test d’entrée à l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation physique et sportive (Injeps), le lendemain, son coach ne l’aligne pas pour une rencontre importante contre l’Algérie des Rabbat Madjer, Bensaoula et Beloumi, finalement remportée par les siens. ‘’J’ai donc été privé du partage de l’importante cagnotte de la victoire’’, regrette toujours David.
Enseignement, le métier de la vie !
A quelque chose malheur est bon. Car c’est ce parchemin d’entrée à l’Institut qui fera du milieu de terrain des Ecureuils un enseignant certifié d’Education physique et sportive (Eps) dans les collèges et lycées. Tour à tour élève-joueur, étudiant-joueur, le voilà enseignant-joueur avant que David décide de raccrocher définitivement les crampons pour se consacrer uniquement à l’enseignement. Un métier qui, d’ailleurs, le lui a bien rendu. Puisque le jeune néo footballeur a occupé de hautes fonctions dans plusieurs collèges et lycées ainsi que dans l’administration publique. Conseiller pédagogique en Eps dans le Zou de 95 à 99. Il a pendant plus de 10 ans occupé le poste de censeur au Lycée Mafory Bangoura de 1999 à 2000, au Lycée Houfon de 2000 à 2004, au Ceg1 d’Abomey de 2003 à 2004. Puis chef service des Sports scolaires au niveau du ministère des Enseignements techniques de 2005 à 2010. Et chef division Sport scolaire au ministère des Enseignements secondaires de 2010 à 2016.
Footballeur et enseignant, David Fêliho a aussi inscrit une parenthèse politique dans son curriculum vitae. A peine terminé son passage à l’Injeps pour l’obtention du diplôme de professeur certifié, ses amis « les frères Bruno et Quentin Didavi et un certain Kisito Awede lui ont ouvert les portes de la politique». David intègre le Parti du Salut de feu Damien Alahassa et en devient, très rapidement un membre influent.
C’est d’ailleurs au titre de professeur certifié et jeune cadre de ce parti qu’il reconnait avoir bénéficié de l’ascension qui a été la sienne au niveau de l’administration de l’Enseignement supérieur.
Admis à faire valoir ses droits à la retraite, depuis quelques années, David très attaché à sa famille fait la navette entre Cotonou et Abomey, sa ville d’origine. Il se dit « jeune retraité heureux » bien entouré de sa progéniture et surtout de sa moitié, « Victorine Kpangon, tendre épouse » avec qui il «partage sa vie depuis les bancs du collège. »
Du football qu’il a pratiqué toute sa jeunesse, il regrette le sort fait à cette discipline aujourd’hui dans son pays. « Heureusement qu’avec les nouvelles autorités politico-administratives, les choses semblent prendre la bonne direction », précise l’ancien relayeur des Ecureuils.
Et ce sera, sans doute, pour le bonheur du dauphin en gestation qui, aujourd’hui, travaille dans l’ombre pour rappeler un jour, au souvenir de tous, l’immensité du talent de son géniteur.
Bon grain ne saurait mentir.