La Nation Bénin...
Le
niveau du football africain ne cesse de progresser, au point où une victoire
sur la scène mondiale devient une possibilité tangible. Patrick Juillard,
journaliste français et spécialiste du football africain, revient sur la montée
en puissance collective des équipes africaines et aborde les chances des
joueurs du continent de remporter un jour le prestigieux Ballon d’or.
La
Nation : Comment évaluez-vous aujourd’hui le niveau global du football
africain ?
Patrick Juillard : Le niveau global est en progression. Lors de la dernière Coupe du monde, toutes les équipes africaines ont remporté au moins un match. Le Maroc a atteint les demi-finales, un exploit inédit pour le continent, là où auparavant seules des équipes africaines avaient atteint les quarts de finale. C’est donc une avancée majeure. La dernière Can a également montré un certain progrès qualitatif, avec un jeu attractif et des scénarios palpitants, bien différents de l’édition précédente au Cameroun, qui était plus défensive et tactique. De plus, les équipes dites «mineures» disposent désormais de moyens qu’elles n’avaient pas auparavant, notamment grâce au numérique, ce qui leur permet d’étudier leurs adversaires et de mieux se préparer. Cette évolution resserre les écarts et contribue à un suspense accru dans les compétitions. Cependant, en termes d’individualités, on note un léger recul par rapport à, il y a 10 ou 15 ans. Cette année, seul Ademola Lookman s’est distingué parmi les finalistes du Ballon d’or, terminant à une très honorable 14ᵉ place. Il a été le favori pour remporter le titre de Joueur africain de l’année et cela s’est fait, bien que Serhou Guirassy de la Guinée, qui réalise également une saison remarquable, prétendait également au titre. Mohamed Salah, quant à lui, reste une référence en termes de régularité et de performance. Cela dit, on observe moins de figures marquantes comme Michael Essien, Yaya Touré, Didier Drogba ou Samuel Eto’o dans le paysage actuel. Malgré tout, la densité collective des équipes est plus importante, et cela contribue à une période globalement positive pour le football africain.
Le Maroc, demi-finaliste de la dernière Coupe du monde, peut-il ouvrir la voie à une victoire africaine dans cette compétition?
Absolument.
Il ne faut jamais se fixer de limites. Le Maroc était à deux doigts de se
qualifier pour la finale, et une fois en finale, tout peut arriver. Je pense
qu’une nation africaine pourrait remporter une Coupe du monde d’ici la fin du
siècle. Dans les années 1990, on croyait déjà à cette possibilité grâce aux
épopées du Cameroun ou du Nigeria aux Jeux olympiques. Aujourd’hui, avec un
travail rigoureux sur la programmation, la détection des talents et l’inclusion
des binationaux, les équipes africaines ont toutes les cartes en main pour
réussir. Plusieurs fédérations, comme celles du Sénégal, du Maroc ou de la Côte
d’Ivoire, adoptent des structures d’organisation proches des standards
européens. De plus, avec le passage à une Coupe du monde élargie à 48 équipes,
l’Afrique disposera de 9 à 10 places, ce qui augmentera les chances de voir une
équipe aller loin. En somme, le contexte actuel invite à l’optimisme. Une
victoire africaine dans la compétition suprême n’est plus une utopie, mais une
réelle possibilité.
Alors, qu’est-ce qui fait la différence entre l’Afrique et l’Europe ?
La principale différence réside dans le niveau de développement global des pays. En Europe, les nations sont plus avancées sur le plan économique. Ce qui se reflète dans leurs infrastructures sportives et la longévité de leurs clubs de haut niveau. Ces derniers sont parfaitement structurés et organisés pour atteindre l’excellence depuis des décennies. En Afrique, bien que certains clubs soient d’envergure mondiale, tels qu’Al Ahly, les Mamelodi Sundowns ou les grandes formations du Maghreb, ces exemples restent isolés. En Tunisie, l’Espérance est une référence, tout comme deux ou trois clubs au Maroc ou en Egypte. En revanche, dans de nombreux pays d’Europe, on compte une dizaine, voire une douzaine de clubs de très haut niveau. Cela crée un différentiel significatif. Par ailleurs, dans certains pays africains, les championnats nationaux manquent encore de maturité. Les meilleurs joueurs quittent très jeunes le continent. Ce qui complique la tâche pour élever le niveau des compétitions locales. De plus, certaines fédérations privilégient une approche à court terme en misant principalement sur les joueurs binationaux, estimant que développer les talents locaux est une tâche trop complexe et nécessitant un investissement à long terme. C’est, par exemple, la limite actuelle de la Rd Congo. Bien que cette équipe enregistre de bons résultats grâce à un sélectionneur compétent et une cohérence collective, elle repose principalement sur des expatriés ou des binationaux. Seulement un ou deux joueurs locaux figurent dans l’effectif. Ce qui empêche de diversifier les profils et d’optimiser le vivier de talents. Un vrai mélange des deux sources serait idéal, mais cela exige du temps, des moyens et une vision stratégique, que les fédérations ou les Etats ne leur accordent pas toujours. Ce travail reste donc à accomplir.
Depuis George Weah, aucun joueur africain n’a remporté le Ballon d’or. Est-ce le signe d’un manque de talents ou d’une reconnaissance insuffisante des joueurs africains ?
Cette question rejoint en partie ma réponse précédente. Aujourd’hui, il y a un léger déficit de joueurs d’envergure mondiale. Des figures comme Sadio Mané ou Mohamed Salah illustrent le talent africain, mais ces dernières années, ils étaient un peu en retrait par rapport aux meilleurs joueurs mondiaux. Toutefois, Salah, cette saison, se hisse à un niveau exceptionnel. A mes yeux, il surpasse même Mbappé et Vinícius en termes de constance et de performances. Ce que reflètent les résultats de Liverpool. Cependant, pour prétendre au Ballon d’or, il ne suffit pas de briller individuellement. Il faut exceller sur toute une saison et remporter des titres majeurs, à la fois en club et en sélection nationale. La non-retenue de Salah comme joueur africain de l’année peut s’expliquer par sa sortie rapide lors de la Can en Côte d’Ivoire et son choix de privilégier Liverpool après sa blessure. Ce qui n’a pas été bien perçu. Cela dit, il n’y a aucune raison qu’un joueur africain ne remporte pas à nouveau le Ballon d’or. Tout dépend des circonstances. Il faut aligner une grande saison individuelle avec des succès collectifs dans un grand club. Historiquement, des joueurs comme Samuel Eto’o ou Didier Drogba auraient pu prétendre à ce titre, mais les conditions n’étaient pas réunies. Enfin, le système de vote lui-même peut jouer en défaveur des joueurs africains. Les sensibilités diffèrent selon les votants, et les nominations influencent parfois la dispersion des voix. Cette année, par exemple, la forte présence des joueurs du Real Madrid a fragmenté les votes, permettant à Rodri de s’imposer. Cela montre à quel point l’attribution du Ballon d’or peut dépendre d’une multitude de paramètres.