La Nation Bénin...
Depuis
l’avènement de la décentralisation, les communes jouent un rôle important dans
le processus de développement. Si du côté des infrastructures, le bilan paraît
élogieux, en matière de prise en compte des enfants hors de l’école, beaucoup
de choses restent à faire. Dans les communes de Parakou et de Kandi, la
situation est plus complexe avec le contexte sociologique d’une part, et la
question sécuritaire, d’autre part. Des cris de cœur se font entendre pour
plaider en faveur d'investissements massifs dans leur éducation.
NB : Avec le soutien financier de l’Unicef et de Social Watch-Bénin
On les dénombre par dizaines, par centaines, voire par milliers…. Les élus locaux de Kandi et de Parakou eux-mêmes peinent à dire avec précision leur nombre. Ce qui est certain, les actions urgentes à consacrer aux enfants hors de l’école sont quasi inexistantes dans les Plans de développement communaux des deux villes.
«
Nous avons tellement de problèmes que tout est prioritaire. Nous en avons
tellement que parfois d’autres priorités peuvent être moins importantes. La
question (ndlr : l’éducation scolaire) peut être moins prioritaire par rapport
à d’autres, mais on essaie quand même de planifier des actions dans ce sens… »,
se défend Moussilimatou Jaquet, chef service de la Planification, du
développement, du suivi-évaluation et de la statistique et point focal
éducation de la mairie de Kandi.
Les
Plans de développement communaux de Kandi et de Parakou sont muets sur la
problématique des enfants hors de l’école. Rien à retenir de la troisième
génération du Pdc (Parakou (2019-2023) et de la quatrième génération du Pdc
Kandi (janvier 2024) relativement à ce financement en dehors de quelques
actions qui se mènent sur le terrain.
Les
acteurs de la Société civile considèrent que les collectivités décentralisées
devraient être fortement impliquées dans ce processus. « Le financement de la
scolarisation relève de la compétence de l’Etat. Mais il est capital de doter
les communes de moyens afin de leur permettre de réussir ce pari pour le
développement local. Les mairies ont beaucoup de priorités et les actions liées
aux changements de comportement les préoccupent peu », relève François Labo,
directeur des Programmes à Dedras Ong à Kandi.
«
Cette marginalisation est révélatrice d’une planification qui privilégie des
indicateurs quantitatifs et des priorités politiques à court terme, au
détriment des besoins réels des populations les plus vulnérables », se désole
Dr Kamel Garba, sociologue et planificateur de l’éducation.
Pourtant, chaque enfant non scolarisé ou déscolarisé représente une perte financière pour le pays. Les impacts sont de plusieurs ordres : perte de productivité, manque à gagner, inégalités de genre et coûts sociaux….
D’énormes pertes
L’Organisation
internationale du Travail (Oit) explique que « les enfants non scolarisés sont
obligés de travailler dans des emplois peu qualifiés et mal rémunérés, ce qui
réduit leur productivité et leur capacité de gain future ». S’agissant du
manque à gagner, la Banque mondiale note que « chaque dollar investi dans
l’éducation peut générer jusqu’à 10 dollars de bénéfices économiques ».
Pour
le Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef), la non scolarisation des
enfants « peut entraîner des coûts sociaux importants tels que la pauvreté, la
criminalité et les problèmes de santé qui peuvent peser sur les finances
publiques ».
L’institution
dénombre au moins 1,8 million d’enfants non scolarisés et déscolarisés au
Bénin. Les raisons de cette situation incluent les frais de scolarité que
beaucoup de familles n’arrivent pas à supporter et l’éloignement des écoles.
Dr
Mahougnon Laurent Ahlonsou, enseignant à l’Université d’Abomey-Calavi a
consacré plusieurs études à la scolarisation des enfants hors de l’école. Les
résultats de ses recherches sont évocateurs des défis dans la partie
septentrionale du pays. « J’ai relevé, lors de la première phase de mes
recherches, que les départements de l’Alibori, du Mono, du Couffo et de la
Donga étaient les plus touchés par le décrochage scolaire. La deuxième phase a,
quant à elle, classé la Donga, l’Alibori et le Couffo respectivement aux
premier, deuxième et troisième rangs. En
2019, environ 20 % des enfants de l’Alibori et de la Donga étaient hors de
l’école », restitue-t-il.
En l’absence de ressources adéquates, la commune de Parakou compte sur les financements extérieurs afin de colmater les brèches. Malgré cela, l’équation reste entière. « Nous contribuons au fonctionnement de l’éducation. La mairie a quand même facilité la création des salles de classe sur fonds propres et sur financement du Projet d’appui à la gestion décentralisée de l’alphabétisation (Pageda) et du Programme d’appui à l’éducation et à la formation des enfants exclus du système éducatif (Paefe) », soutient Guillaume Dossa, directeur du Développement local et planification à la mairie de Parakou. Il poursuit : « Dans le cadre des activités de Pageda, nous avons dégagé trois cent mille F Cfa, sans compter le paiement de certains honoraires. Le reste du financement vient de l’Etat et de ses partenaires ». En clair, la mairie de Parakou et les communautés apportent environ près de sept millions F Cfa sur un montant total d’environ vingt-quatre millions F Cfa destinés à ce projet à Parakou.
Sans coup de pouce des partenaires, les enfants hors de l’école deviennent donc les grands oubliés des discours et surtout des actions de promotion de l’éducation.
Même réalité à Kandi
On
observe les mêmes insuffisances dans la commune de Kandi. « Pendant les séances
de reddition de comptes, nous abordons les questions de maintien des enfants à
l’école et des Talibés. Nous accompagnons les efforts de nos partenaires avec
la construction de salles de classe, l’achat de mobiliers, de fournitures
scolaires et le bon fonctionnement des cantines scolaires », soutient
Moussilimatou Jaquet.
Au
Bénin, le drame qui se joue en matière d’éducation des enfants hors de l’école se
traduit par le manque criant de projets concrets relatifs à la construction ou
à la réhabilitation d'écoles, à l'équipement en matériel didactique adéquat, ou
encore à des initiatives ciblées pour réduire le taux d'abandon scolaire.
Chose
curieuse, les budgets alloués à l'éducation de cette catégorie d’enfants dans
les plans de développement communaux de Parakou et Kandi ne sont pas clairement
dégagés.
Au
fond, les communes ne sont pas seules responsables de la situation, leur marge
de manœuvre étant trop limitée pour leur permettre de réussir le pari. « Les
communes manquent de budgets et de capacités et la décentralisation inachevée
limite leur marge d’action », nuance Dr Kamel Garba.
D’un
autre côté, Dr Laurent Ahlonsou incrimine les parents. « Plusieurs communautés
de l’Alibori et de la Donga ignorent encore que l’éducation d’un enfant est
profitable à tout un pays. Elles préfèrent laisser les garçons aller au
pâturage ou marier précocement les filles. Ce faisant, elles perpétuent le
cycle vicieux de la non scolarisation des enfants », explique-t-il.
Mais
les causes qui expliquent la présence des enfants hors de l’école sont un
secret de polichinelle : pauvreté endémique, inégalités territoriales criantes,
normes sociales patriarcales limitant l’accès des filles, et une administration
éducative souvent déconnectée des réalités locales. À cela s’ajoutent la
précarité institutionnelle et l’absence de dispositifs efficaces de suivi.
Si
certains acteurs estiment que l’essentiel n’est pas de positionner l’éducation
des enfants hors du système scolaire au rang des grandes priorités dans les
Pdc, les observateurs avertis pensent qu’il revient aux pouvoirs publics de
mieux s’y pencher. « Un enfant hors de l’école est souvent le révélateur d’un
système éducatif et social qui peine à inclure toutes les couches de la
population, particulièrement les plus vulnérables », tranche le sociologue.
Déjà
en 1990, le législateur avait tracé les sillons. L’article 8 de la Constitution
béninoise stipule que « la personne humaine est sacrée et inviolable…. L’Etat
assure à ses citoyens l'égal accès à la santé, à l'éducation, à la culture, à
l'information, à la formation professionnelle et à l'emploi ». Sauf qu’après
plus de trois décennies, des milliers d’enfants sont encore à la traîne.
A
moins de cinq ans de l’échéance des Objectifs du développement durable (Odd),
le financement de l’éducation des enfants hors de l’école devrait cesser d’être
une question isolée. Des bonnes volontés existent dans les rangs des partenaires
au développement, mais une seule hirondelle ne fait pas le printemps. C’est
pourquoi, la société civile appelle de tous ses vœux à des investissements
massifs et pérennes en faveur de ces enfants sans repères.
Pendant ce temps, Moussilimatou Jaquet estime que, pour financer l’éducation des enfants hors de l’école, il n’est pas question de chercher plus loin. « On peut affecter les Fonds Fadec spécifiquement aux enfants hors du système éducatif formel, tout en mettant l’accent sur la sensibilisation des parents », préconise-t-elle.
Pour
sa part, en synergie avec le G20, présidé en 2024 par le Brésil, l’Unesco
appelle ses Etats membres à développer les mécanismes de financement innovants
tels que les échanges dette-éducation.
Un franc injecté dans la scolarisation des enfants génère des bénéfices pour les communes et tout le pays