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Effacer le passé colonial de nos villes: Quand la commune de Savè prend l’initiative et donne l’exemple

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Jean Roger Ahoyo Jean Roger Ahoyo

Valoriser notre patrimoine historique et culturel à travers le traitement de nos rues, places et édifices publics. Tel a été toujours le vœu de l’ancien ministre, Jean Roger Ahoyo, qui voit à travers la désignation de nos rues aux noms de nos personnages célèbres (personnages historiques et personnalités modernes) une manière de les reconnaître comme des modèles pour leurs concitoyens. 

Par   Jean Roger Ahoyo, le 16 juin 2025 à 08h57 Durée 3 min.
#Jean Roger Ahoyo #culture #passé colonial #colonisation

Je viens de lire dans le quotidien Le Matinal n°7095 du 27 Mai 2025, et à la page 11, la décision du Conseil Communal de Savè, réuni en session extraordinaire les Jeudi et Vendredi 23 Mai, de créer ‘’ un Comité chargé d’élaborer un projet de dénomination des rues, places et infrastructures publiques en hommage aux figures locales disparues’’.

Il s’agit là d’un projet de ‘’toponymie commémorative’’ pour valoriser le patrimoine historique et culturel de la Commune de Savè.

Je ne sais si le Maire Dénis Oba Chabi a lu mon article, daté du 22 juillet 2020 et publié à l’époque par plusieurs de nos quotidiens ; mais dans cet article de presse, j’ai écrit que ‘’ Ce sont en effet nos Maires qui seront à l’œuvre pour baptiser nos rues et nos édifices publics. Cela fait partie de leurs attributions d’édiles’’.

Mais je félicite le Maire de Savè pour cette décision de son Conseil Communal qui me permet de revenir sur les deux articles de presse que j’ai consacrés à ce problème capital de valorisation de notre patrimoine historique et culturel à travers la dénonciation de nos rues, places et infrastructures publiques.

Cela me donne l’opportunité de rappeler le contenu de ces deux articles de presse en date des 22 juillet 2020 et 28 juillet 2021, publiés à l’époque dans nos quotidiens. De quoi s’agit-il ? Et comment s’y prendre ?

Il s’agit de valoriser notre patrimoine historique et culturel à travers le traitement de nos rues, places et édifices publics.

Mais commençons par le commencement.

I. Un constat amer

Soixante-cinq ans après l’indépendance, nous faisons l’amer et triste constat que les rues de nos villes et quelques édifices portent encore des appellations coloniales.

Ainsi, lorsqu’on prend le ‘’plan d’Adressage et l’index des rues de la ville de Cotonou ‘’ (document fait par la Mairie de Cotonou avec l’aide de l’Ambassade de France en 2016), on est étonné de continuer à lire à Cotonou les appellations suivantes dans les rues :

Lettre A

• Rue Albert d’Albela

• Rue Albert Sarraut

• Rue du Gouverneur Antonetti

Lettre B

• Avenue du Gouverneur Général Ballot

• Rue du Gouverneur Bayol, le même qui a suscité la guerre de conquête de la France contre le Roi Béhanzin

• Rue Bernardin Durhand

Lettre C

• Rue du Brigadier Cadot

• Avenue du Général Clozel

• Rue Collona de Lecca

• Rue Amiral Cuverville

Lettre D

• Rue du Commandant Decoeur

• Boulevard du Général Dodds, celui-là même qui a dirigé la guerre de conquête coloniale contre le Dahomey.

Comment, en effet, ne pas être gêné quand on lit les noms de Bayol et de Dodds dans nos rues, quand on sait leur rôle dans la guerre d’agression et de conquête coloniale de la France contre notre pays !

Bref et en résumé, ces rues à appellation coloniale se rencontrent surtout :

A Cotonou, à Ganhi et dans l’espace entre Ganhi et le Lycée Coulibaly,

Et à Porto-Novo, autour de l’ancien Palais des Gouverneurs (Actuelle Assemblée Nationale), dans l’ancien quartier européen de la ville.

 

II. Sursaut

Après ce constat, un sursaut s’impose : Nous devons effacer de nos rues ces appellations coloniales. Un peuple qui a de la mémoire et de la dignité ne doit pas laisser ces noms encombrer plus longtemps ses rues. Une mention spéciale doit être fait pour les cas Ballot, Bayol, Dodds, Decoeur et Ouverville, qui ont été les artisans directs de la conquête coloniale. Ils méritent un rejet. Il y a cependant des noms étrangers que nous n’avons pas évoqués, comme :

Les religieux Messeigneurs Steinmetz et Parisot à cause de leur rôle dans l’évangélisation ; et le père Aupiais pour son rôle spécial dans le développement de notre pays (enseignement et politique).

Les Gouverneurs Fourn et Grange et Monsieur Poisson qui ont laissé une nombreuse descendance dans notre pays.

Comme quoi, nous devons faire preuve de discernement dans notre sursaut.

Après ce constat et sursaut, que faire ? Il faut définir et mettre en œuvre une méthode de valorisation de notre patrimoine historique et culturel à travers la dénomination de nos rues, places et édifices publics.

III. La définition d’une méthode de valorisation de notre patrimoine historique et culturel

Il s’agit d’abord d’une tâche qui revient aux Maires et faisant partie intégrante de leurs attribuions d’édiles. Et ils n’ont pas besoin de l’autorisation du gouvernement pour accomplir cette tâche.

C’est pourquoi nous devons féliciter le Conseil Communal de Savè d’avoir pris sa décision. Et nous devons continuer de le féliciter parce que, en mettant sur pied un Comité, il nous indique la méthode.

En effet, la méthode que nous devons utiliser pour valoriser notre patrimoine historique et culturel est basée sur des Comités à la base, dans les Communes ; et une Commission Nationale au Sommet.

1. Les Comités Communaux à la base

La Commune de Savè a mis sur pied un Comité composé:

D’élus, membres du Conseil Communal

De Chefs traditionnels, et

De détenteurs de la mémoire historique et de personnes ressources.

Chaque Commune doit se doter d’un Comité, composé comme à Savè, dont le rôle est :

D’établir la liste des personnages historiques et des personnalités célèbres, éligibles pour donner leurs noms à nos rues, places et établissements.

D’indiquer les raisons qui motivent leurs choix.

Comme vous pouvez le constater le rôle des Comités à la base est essentiel. C’est pourquoi chaque Commune doit veiller à composer son Comité avec précaution en veillant à y inclure toutes les personnes ressources de la localité.

2. Une Commission Nationale de Supervision

L’idéal serait que les Comités Communaux travaillent sous la supervision d’une Commission Nationale composée d’historiens, de géographes, de sociologues et de personnes ressources pour corriger, si nécessaire, les choix faits à la base.

Mais il n’est pas nécessaire d’attendre l’installation de la Commission Nationale pour commencer le travail. La Commune qui est prête, comme c’est le cas de Savè, démarre le travail, quitte à ce que d’éventuelles erreurs soient corrigées par la suite.

Mais quel est, concrètement, le travail à faire par les Comités?

IV. Le travail des comités

Voici concrètement le travail à faire au niveau de chaque élément du patrimoine.

1. Le traitement des rues

Il faut distinguer deux opérations à ce niveau :

a) L’appellation

Il s’agit d’effacer de nos rues les noms coloniaux (quand ils existent) et de les remplacer par les noms de nos personnages traditionnels (rois, chefs traditionnels etc.) et de nos personnalités actuelles (hommes politiques, professionnels célèbres, autres notables). Le choix doit porter sur des personnalités du passé ou du temps présent, qui ont marqué l’histoire de leur ville. Si bien que chaque ville devient un chapitre de l’histoire nationale que les citoyens feuillètent en parcourant tous les jours les rues de leur pays. C’est ainsi que l’histoire s’ancre dans la mémoire des citoyens.

Ce qui fait l’importance de l’appellation, c’est que le choix d’une personnalité en fait un modèle. Et la célébrité d’un modèle dépend, non de son origine, mais de son parcours de vie. C’est pourquoi il est recommandé de choisir une personnalité après sa mort, c’est-à-dire après un bilan de sa vie, pour être sûr d’avoir fait le bon choix.

b) L’adressage

Après l’appellation, c’est la seconde opération à effectuer dans une rue : il s’agit de mettre des numéros dans les rues pour faciliter la distribution des courriers (maisons !) et le répérage des Etablissements et des Institutions

2. Que faire des places et édifices

a) L’appellation

Les places publiques et les édifices doivent aussi bénéficier d’une appellation : elle peut être :

• Celle d’un personnage célèbre : Ex : Place Bio Guerra à Parakou

• Celle d’un évènement ou d’un symbole. Ex : Place de l’Etoile Rouge à Cotonou

b) La statuaire urbaine

Pour les places et édifices, l’appellation peut être renforcée ou accompagnée par une statue. Ainsi la place de l’Amazone est ornée par une splendide statue de l’Amazone; la place Bayol à Porto-Novo porte une statue du Roi Toffa, en train d’être rénovée.

Il en est de même pour les édifices ou établissements publics; ainsi l’ancienne Ecole Normale de Porto-Novo (devenue Ecole Normale Supérieure aujourd’hui ) était ornée à son entrée par la statue de l’Inspecteur Félicien Nadjo.

Ainsi donc, le travail concret à faire à la base au niveau des Communes, se ramène essentiellement à trois :

 L’appellation : Proposer les noms des illustres fils des localités pour désigner leurs rues.

 L’adressage : Donner des numéros aux rues pour faciliter la distribution du courrier et le repérage des établissements.

 La statuaire : Orner nos places et établissements par les statues de leurs dignes fils.

V. La commission nationale de supervision

Comme suggéré plus haut, l’idéal serait que les Comités Communaux travaillent à la base sous la supervision d’une Commission Nationale.

Mais il n’est pas nécessaire d’installer une Commission Nationale avant le démarrage du travail à la base dans les Communes. Nous devons éviter de bloquer les initiatives à la base par l’instauration d’une méthode bureaucratique. Nous devons ainsi encourager Savè dans son initiative et éviter de briser son envol, son élan.

La Commission Nationale que nous proposons doit comprendre des Historiens, des Géographes des Sociologues, des représentants qualifiés des Communes, des personnes ressources. Ce sera une Commission Interministérielle composée des ministères :

De l’Intérieur, de la Décentralisation et de la Gouvernance locale qui assurent la tutelle des Maires

De l’Enseignement supérieure et de l’Enseignement secondaire qui désigneront les historiens, géographes et sociologues.

Du Cadre de vie et du Développement durable qui semble indiqué pour présider cette Commission qui, par les opérations d’adressage et de statuaire, contribuera à embellir les cadres de vie dans les Communes.

Le ministère des Finances enfin pour estimer les coûts.

Ainsi, bien que le baptême des rues, des places et des infrastructures, les opérations d’adressage et de statuaire, fassent partie des attributions normales des Maires, il est souhaitable de prévoir une Commission Nationale de Supervision pour :

Corriger les erreurs qui se commettront à la base au niveau des Communes

Introduire un minimum de discipline et de rigueur dans cette tâche d’intérêt national.

Conclusion

Donner les noms de nos personnages célèbres (personnages historiques et personnalités modernes) à nos rues, aux statues qui ornent nos places et édifices, c’est les donner en modèles à nos concitoyens. C’est une manière d’écrire l’histoire nationale à travers une politique mémorielle. C’est en cela qu’il s’agit d’une affaire d’Etat, même si ce sont nos Maires qui en demeurent les premiers artisans à la base.