La Nation Bénin...
Valoriser notre patrimoine historique et culturel à
travers le traitement de nos rues, places et édifices publics. Tel a été
toujours le vœu de l’ancien ministre, Jean Roger Ahoyo, qui voit à travers la
désignation de nos rues aux noms de nos personnages célèbres (personnages
historiques et personnalités modernes) une manière de les reconnaître comme des
modèles pour leurs concitoyens.
Je viens de lire dans le quotidien Le Matinal n°7095 du
27 Mai 2025, et à la page 11, la décision du Conseil Communal de Savè, réuni en
session extraordinaire les Jeudi et Vendredi 23 Mai, de créer ‘’ un Comité
chargé d’élaborer un projet de dénomination des rues, places et infrastructures
publiques en hommage aux figures locales disparues’’.
Il s’agit là d’un projet de ‘’toponymie commémorative’’
pour valoriser le patrimoine historique et culturel de la Commune de Savè.
Je ne sais si le Maire Dénis Oba Chabi a lu mon article,
daté du 22 juillet 2020 et publié à l’époque par plusieurs de nos quotidiens ;
mais dans cet article de presse, j’ai écrit que ‘’ Ce sont en effet nos Maires
qui seront à l’œuvre pour baptiser nos rues et nos édifices publics. Cela fait
partie de leurs attributions d’édiles’’.
Mais je félicite le Maire de Savè pour cette décision de
son Conseil Communal qui me permet de revenir sur les deux articles de presse
que j’ai consacrés à ce problème capital de valorisation de notre patrimoine
historique et culturel à travers la dénonciation de nos rues, places et
infrastructures publiques.
Cela me donne l’opportunité de rappeler le contenu de ces
deux articles de presse en date des 22 juillet 2020 et 28 juillet 2021, publiés
à l’époque dans nos quotidiens. De quoi s’agit-il ? Et comment s’y prendre ?
Il s’agit de valoriser notre patrimoine historique et
culturel à travers le traitement de nos rues, places et édifices publics.
Mais commençons par le commencement.
I. Un constat amer
Soixante-cinq ans après l’indépendance, nous faisons
l’amer et triste constat que les rues de nos villes et quelques édifices
portent encore des appellations coloniales.
Ainsi, lorsqu’on prend le ‘’plan d’Adressage et l’index
des rues de la ville de Cotonou ‘’ (document fait par la Mairie de Cotonou avec
l’aide de l’Ambassade de France en 2016), on est étonné de continuer à lire à
Cotonou les appellations suivantes dans les rues :
Lettre A
• Rue Albert d’Albela
• Rue Albert Sarraut
• Rue du Gouverneur Antonetti
Lettre B
• Avenue du Gouverneur Général Ballot
• Rue du Gouverneur Bayol, le même qui a suscité la
guerre de conquête de la France contre le Roi Béhanzin
• Rue Bernardin Durhand
Lettre C
• Rue du Brigadier Cadot
• Avenue du Général Clozel
• Rue Collona de Lecca
• Rue Amiral Cuverville
Lettre D
• Rue du Commandant Decoeur
• Boulevard du Général Dodds, celui-là même qui a dirigé
la guerre de conquête coloniale contre le Dahomey.
Comment, en effet, ne pas être gêné quand on lit les noms
de Bayol et de Dodds dans nos rues, quand on sait leur rôle dans la guerre
d’agression et de conquête coloniale de la France contre notre pays !
Bref et en résumé, ces rues à appellation coloniale se
rencontrent surtout :
A Cotonou, à Ganhi et dans l’espace entre Ganhi et le Lycée Coulibaly,
Et à Porto-Novo, autour de l’ancien Palais des Gouverneurs (Actuelle
Assemblée Nationale), dans l’ancien quartier européen de la ville.
II. Sursaut
Après ce constat, un sursaut s’impose : Nous devons
effacer de nos rues ces appellations coloniales. Un peuple qui a de la mémoire
et de la dignité ne doit pas laisser ces noms encombrer plus longtemps ses
rues. Une mention spéciale doit être fait pour les cas Ballot, Bayol, Dodds,
Decoeur et Ouverville, qui ont été les artisans directs de la conquête
coloniale. Ils méritent un rejet. Il y a cependant des noms étrangers que nous
n’avons pas évoqués, comme :
Les religieux Messeigneurs Steinmetz et Parisot à cause de leur rôle dans
l’évangélisation ; et le père Aupiais pour son rôle spécial dans le
développement de notre pays (enseignement et politique).
Les Gouverneurs Fourn et Grange et Monsieur Poisson qui ont laissé une
nombreuse descendance dans notre pays.
Comme quoi, nous devons faire preuve de discernement dans
notre sursaut.
Après ce constat et sursaut, que faire ? Il faut définir et mettre en œuvre une méthode de valorisation de notre patrimoine historique et culturel à travers la dénomination de nos rues, places et édifices publics.
III. La définition d’une méthode de valorisation de notre
patrimoine historique et culturel
Il s’agit d’abord d’une tâche qui revient aux Maires et
faisant partie intégrante de leurs attribuions d’édiles. Et ils n’ont pas
besoin de l’autorisation du gouvernement pour accomplir cette tâche.
C’est pourquoi nous devons féliciter le Conseil Communal
de Savè d’avoir pris sa décision. Et nous devons continuer de le féliciter
parce que, en mettant sur pied un Comité, il nous indique la méthode.
En effet, la méthode que nous devons utiliser pour valoriser notre patrimoine historique et culturel est basée sur des Comités à la base, dans les Communes ; et une Commission Nationale au Sommet.
1. Les Comités Communaux à la base
La Commune de Savè a mis sur pied un Comité composé:
D’élus, membres du Conseil Communal
De Chefs traditionnels, et
De détenteurs de la mémoire historique et de personnes ressources.
Chaque Commune doit se doter d’un Comité, composé comme à
Savè, dont le rôle est :
D’établir la liste des personnages historiques et des personnalités
célèbres, éligibles pour donner leurs noms à nos rues, places et
établissements.
D’indiquer les raisons qui motivent leurs choix.
Comme vous pouvez le constater le rôle des Comités à la base est essentiel. C’est pourquoi chaque Commune doit veiller à composer son Comité avec précaution en veillant à y inclure toutes les personnes ressources de la localité.
2. Une Commission Nationale de Supervision
L’idéal serait que les Comités Communaux travaillent sous
la supervision d’une Commission Nationale composée d’historiens, de géographes,
de sociologues et de personnes ressources pour corriger, si nécessaire, les
choix faits à la base.
Mais il n’est pas nécessaire d’attendre l’installation de
la Commission Nationale pour commencer le travail. La Commune qui est prête,
comme c’est le cas de Savè, démarre le travail, quitte à ce que d’éventuelles
erreurs soient corrigées par la suite.
Mais quel est, concrètement, le travail à faire par les Comités?
IV. Le travail des comités
Voici concrètement le travail à faire au niveau de chaque élément du patrimoine.
1. Le traitement des rues
Il faut distinguer deux opérations à ce niveau :
a) L’appellation
Il s’agit d’effacer de nos rues les noms coloniaux (quand
ils existent) et de les remplacer par les noms de nos personnages traditionnels
(rois, chefs traditionnels etc.) et de nos personnalités actuelles (hommes
politiques, professionnels célèbres, autres notables). Le choix doit porter sur
des personnalités du passé ou du temps présent, qui ont marqué l’histoire de
leur ville. Si bien que chaque ville devient un chapitre de l’histoire
nationale que les citoyens feuillètent en parcourant tous les jours les rues de
leur pays. C’est ainsi que l’histoire s’ancre dans la mémoire des citoyens.
Ce qui fait l’importance de l’appellation, c’est que le
choix d’une personnalité en fait un modèle. Et la célébrité d’un modèle dépend,
non de son origine, mais de son parcours de vie. C’est pourquoi il est
recommandé de choisir une personnalité après sa mort, c’est-à-dire après un
bilan de sa vie, pour être sûr d’avoir fait le bon choix.
b) L’adressage
Après l’appellation, c’est la seconde opération à effectuer dans une rue : il s’agit de mettre des numéros dans les rues pour faciliter la distribution des courriers (maisons !) et le répérage des Etablissements et des Institutions
2. Que faire des places et édifices
a) L’appellation
Les places publiques et les édifices doivent aussi
bénéficier d’une appellation : elle peut être :
• Celle d’un personnage célèbre : Ex : Place Bio Guerra à
Parakou
• Celle d’un évènement ou d’un symbole. Ex : Place de
l’Etoile Rouge à Cotonou
b) La statuaire urbaine
Pour les places et édifices, l’appellation peut être
renforcée ou accompagnée par une statue. Ainsi la place de l’Amazone est ornée
par une splendide statue de l’Amazone; la place Bayol à Porto-Novo porte une
statue du Roi Toffa, en train d’être rénovée.
Il en est de même pour les édifices ou établissements
publics; ainsi l’ancienne Ecole Normale de Porto-Novo (devenue Ecole Normale
Supérieure aujourd’hui ) était ornée à son entrée par la statue de l’Inspecteur
Félicien Nadjo.
Ainsi donc, le travail concret à faire à la base au
niveau des Communes, se ramène essentiellement à trois :
L’appellation :
Proposer les noms des illustres fils des localités pour désigner leurs rues.
L’adressage :
Donner des numéros aux rues pour faciliter la distribution du courrier et le
repérage des établissements.
La statuaire : Orner nos places et établissements par les statues de leurs dignes fils.
V. La commission nationale de supervision
Comme suggéré plus haut, l’idéal serait que les Comités
Communaux travaillent à la base sous la supervision d’une Commission Nationale.
Mais il n’est pas nécessaire d’installer une Commission
Nationale avant le démarrage du travail à la base dans les Communes. Nous
devons éviter de bloquer les initiatives à la base par l’instauration d’une
méthode bureaucratique. Nous devons ainsi encourager Savè dans son initiative
et éviter de briser son envol, son élan.
La Commission Nationale que nous proposons doit
comprendre des Historiens, des Géographes des Sociologues, des représentants
qualifiés des Communes, des personnes ressources. Ce sera une Commission
Interministérielle composée des ministères :
De l’Intérieur, de la Décentralisation et de la Gouvernance locale qui
assurent la tutelle des Maires
De l’Enseignement supérieure et de l’Enseignement secondaire qui
désigneront les historiens, géographes et sociologues.
Du Cadre de vie et du Développement durable qui semble indiqué pour
présider cette Commission qui, par les opérations d’adressage et de statuaire,
contribuera à embellir les cadres de vie dans les Communes.
Le ministère des Finances enfin pour estimer les coûts.
Ainsi, bien que le baptême des rues, des places et des
infrastructures, les opérations d’adressage et de statuaire, fassent partie des
attributions normales des Maires, il est souhaitable de prévoir une Commission
Nationale de Supervision pour :
Corriger les erreurs qui se commettront à la base au niveau des Communes
Introduire un minimum de discipline et de rigueur dans cette tâche d’intérêt national.
Conclusion
Donner les noms de nos personnages célèbres (personnages historiques et personnalités modernes) à nos rues, aux statues qui ornent nos places et édifices, c’est les donner en modèles à nos concitoyens. C’est une manière d’écrire l’histoire nationale à travers une politique mémorielle. C’est en cela qu’il s’agit d’une affaire d’Etat, même si ce sont nos Maires qui en demeurent les premiers artisans à la base.