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Entretien avec le coordonnateur de la Cellule de suivi et de contrôle de la gestion des communes: « Le succès de la réforme repose sur le capital humain », confie Landry Hinnou

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Landry Hinnou, coordonnateur de la Cellule de suivi  et de contrôle de la gestion des communes Landry Hinnou, coordonnateur de la Cellule de suivi et de contrôle de la gestion des communes

Douze mois déjà que les secrétaires exécutifs des mairies ont été installés dans leurs fonctions, conformément à la réforme structurelle de la décentralisation. A l’heure du bilan, le coordonnateur de la Cellule de suivi et de contrôle de la gestion des communes est satisfait de la mise en place des différentes structures prévues par le code de l’administration territoriale. Dans cet entretien, Landry Hinnou évalue la réforme et interpelle les acteurs de la gouvernance locale pour sa réussite.

Par   Joël C. TOKPONOU, le 24 août 2023 à 09h48 Durée 3 min.
#Landry Hinnou
La Nation : Reprécisez-nous les principaux objectifs que vise la réforme structurelle du secteur de la décentralisation.

La réforme est consacrée par la loi n° 2021-14 du 20 décembre 2021 portant code de l’administration territoriale en République du Bénin. Cette réforme vise principalement à séparer les fonctions politiques de celles administratives et techniques dans les mairies, afin d’induire une nouvelle culture de gestion et de pilotage des actions locales de développement. En clair, la réforme vise à améliorer la gouvernance communale afin de créer une dynamique de valorisation des potentialités locales. 
Rappelons qu’en 2021, quand le gouvernement entamait le processus de réforme, soit après environ deux décennies d’expérimentation de la décentralisation dans notre pays, les résultats escomptés étaient loin d’être atteints malgré les efforts consentis par les gouvernements successifs. Plusieurs facteurs structurels expliquaient cette contre-performance et tout le monde s’accordait pour dire que nos communes étaient minées par plusieurs maux dont les plus graves avaient pour noms : un management tributaire des pesanteurs politiques, un personnel inadapté et peu qualifié, un système local de gestion des marchés publics inefficace et corrompu, des infrastructures sociocommunautaires qui n’étaient pas cohérentes avec les enjeux de développement durable à la base, une gestion budgétaire peu satisfaisante, une fiscalité locale peu adaptée aux enjeux de la décentralisation, pour ne citer que ces maux. La réforme structurelle du secteur de la décentralisation qui vient en réponse à ce état de choses, vise plus particulièrement à assurer l’efficacité du pilotage et de la gestion de l’administration communale ; à réduire les interférences politiques dans la gestion administrative et des ressources communales ; à mettre en place un dispositif opérationnel de relai des services publics entre les niveaux central, communal et infra-communal ; à améliorer les mécanismes de financement des investissements communaux et à donner plus de visibilité aux actions publiques de développement dans les communes.

Le diagnostic des maux étant fait, le gouvernement est passé à la réforme. Douze mois après l’installation des secrétaires exécutifs, quel bilan peut-on faire du fonctionnement de chacune des nouvelles instances créées ?

Depuis l’installation des secrétaires exécutifs à la fin du mois d’avril 2022, plusieurs étapes ont été franchies. En juillet de la même année, les responsables des principales fonctions administratives et techniques des mairies ont pris service. Aujourd’hui, la nouvelle architecture que définit le code de l’administration territoriale est en place dans toutes les communes : les trois organes politiques que sont le conseil communal, le conseil de supervision et le maire, fonctionnent et collaborent. De l’autre côté, l’organe administratif et technique qu’incarne le secrétaire exécutif, est également opérationnel. Les conseils communaux et les conseils de supervision se réunissent suivant la fréquence définie par le code de l’administration territoriale. Le nouvel environnement de la gestion communale situe clairement la première catégorie d’acteurs dans un rôle politique et l’autre catégorie dans un rôle purement technique. Toutes choses qui permettent de situer les responsabilités et d’enrayer l’impunité.
L’Etat accompagne la dynamique à travers la prise en charge des rémunérations des maires, adjoints au maire, chefs d’arrondissement, présidents de commissions permanentes, chefs de quartiers et de villages, secrétaires exécutifs et celles des cadres tirés du Fichier national. C’est également l’Etat qui a acquis et mis à la disposition des maires et des secrétaires exécutifs, des véhicules de fonction. Le gouvernement du président Patrice Talon ne compte d’ailleurs pas s’arrêter en si bon chemin. D’autres mesures sont envisagées pour offrir de bonnes conditions de travail à tous les acteurs communaux afin d’exiger d’eux, des résultats à la hauteur des ambitions du gouvernement en matière de développement de nos communes.

De manière concrète, qu’est-ce qui a changé dans l’adminis-tration décentralisée ?

Sous l’ancien régime juridique, les maires étaient l’otage de leurs pairs et de leurs mandants. Avec le maire comme élu, acteur politique et en même temps exécutif communal, l’action communale était dictée par le seul souci du renouvellement du mandat. Le maire, otage et objet de chantage de ses collègues élus, devait distribuer des marchés en tordant le cou aux procédures. Le maire pouvait distraire les ressources de la commune pour satisfaire aux exigences des uns et des autres. S’agissant des contribuables, le maire n’avait pas le courage de recouvrer efficacement les recettes fiscales. Par ailleurs, l’exécution des projets de développement dans les arrondissements était fonction des intérêts politiques du maire. Quand le maire se soumet à ces pratiques, les caisses de la commune en font les frais et, en échange, le conseil communal connaît une stabilité de façade. Quand le maire ne cède pas aux chantages, les menaces de destitution constituent son lot quotidien et le conseil communal sombre dans l’instabilité. Dans un cas comme dans l’autre, le développement de la commune reste compromis par des acteurs politiques peu vertueux et des citoyens et citoyennes peu conscients de leur rôle de contrôle citoyen de l’action publique. C’est l’avenir de la commune qui est sacrifié sur l’autel des intérêts particuliers et égoïstes d’une minorité.
A l’ère de la réforme structurelle du secteur de la décentralisation, le maire est libéré des charges techniques pour se concentrer sur ses fonctions politiques. Le maire est davantage libéré du chantage des élus qui ne peuvent plus lui réclamer l’attribution de marchés publics communaux, puisqu’il n’en est plus le gestionnaire. Dorénavant, sous l’impulsion et l’éclairage du maire, le conseil communal détermine la vision de développement de la commune et adopte les différents documents de planification qui en découlent. Le conseil de supervision, présidé par le maire, assigne des objectifs au secrétaire exécutif et à son équipe à travers le plan annuel d’investissement, le plan de travail annuel et le budget de la commune. A la tête du conseil de supervision, le maire contrôle la gestion du secrétaire exécutif à travers l’examen des rapports mensuels d’activités et du rapport annuel de performance, avec la possibilité laissée au conseil de supervision de décider de la révocation du secrétaire exécutif pour faute lourde ou pour insuffisance de résultats. Voilà globalement ce qui a changé dans l’administration des mairies. Les fonctions politiques sont nettement séparées de celles administratives et techniques et c’est tant mieux pour les résultats en matière de développement de nos communes.

Les conflits de compétences entre maires et secrétaires exécutifs n’ont pas manqué, comme beaucoup le redou-taient. A Ouidah, Bohicon et autres villes, cela a été quelque peu observé. Comment avez-vous perçu ces faits et quelles solutions envisagez-vous pour y mettre fin ?

Ces conflits d’attributions liés à la mauvaise compréhension des objectifs de la réforme et à une appropriation approximative de l’esprit de la réforme étaient prévisibles. Ils sont d’ailleurs inhérents à toute réforme et c’est toute la raison d’être d’une structure comme la Cellule de suivi et de contrôle de la gestion des communes. Notre mission est de prévenir au mieux ces conflits en formant et en sensibilisant les acteurs, en mettant chaque acteur dans son couloir sans perdre de vue que le développement de la commune dépend de la synergie entre les différents organes de la commune. A travers les formations, le suivi rapproché, le coaching et les échanges que nous avons au quotidien avec les acteurs, nous arrivons à prévenir les conflits et, quand ils surviennent, nous les gérons au mieux des intérêts de la commune.

Le fait de n’avoir pas effectué l’enquête de moralité avant l’installation des secrétaires exécutifs des mairies ne constitue-t-il pas aujourd’hui un problème, vu que certains d’entre eux ont été révoqués alors qu’ils venaient à peine d’être installés ?

N’exagérons en rien. Jusqu’ici, seulement deux secrétaires exécutifs ont été révoqués en raison du caractère peu favorable de leur enquête de moralité. Cette procédure est bien connue dans la fonction publique et généralement, plusieurs résultats de concours de recrutement à la fonction publique sont proclamés sous réserve des conclusions de l’enquête de moralité. Il en est de même pour la vérification de l’authenticité des diplômes. Le Fichier national des principales fonctions administratives et techniques des mairies vient d’être constitué. Notre ambition, c’est de nous assurer que tous ceux qui sont inscrits au Fichier, qu’ils soient déjà tirés au sort et en fonction ou pas, sont véritablement aptes, du point de vue de la santé, de la moralité et de l’authenticité de leurs diplômes. Vous conviendrez néanmoins avec moi que même quand ce serait le cas, on aura besoin de faire des contrôles à un moment ou à un autre, puisque celui qui est apte aujourd’hui peut ne plus l’être des mois ou des années après. Faire l’enquête de moralité aussitôt après la prise de fonction des cadres ne pose pas fondamentalement de problème.

Les chefs d’arrondissement plaident aussi pour leur insertion dans le conseil de supervision. Comment analysez-vous leur demande ?

Sous le régime juridique du code de l’administration territoriale, le conseil de supervision, composé du maire, des adjoints au maire et des présidents de commissions permanentes, constitue une instance de personnes qui, à l’occasion de leurs fonctions, ont connaissance des enjeux et des thématiques majeures qui ont trait au développement de la commune. L’effectif réduit des membres qui composent cette instance est également le gage de la qualité des débats qui s’y mènent ainsi que des décisions qui s’y prennent. Et c’est à juste titre que certaines des prérogatives qui étaient jadis celles du conseil communal, sont aujourd’hui dévolues au conseil de supervision. Ramener les chefs d’arrondissement dans le conseil de supervision reviendrait à en faire un autre conseil communal et cette instance perdrait en efficacité. Aux termes du code de l’administration territoriale, le maire a toujours l’obligation de réunion avec les chefs d’arrondissement à une fréquence bimestrielle pour faire le point du fonctionnement des arrondissements. Cette réunion que nous appelons «réunion de municipalité» est en dehors des sessions du conseil communal. C’est la tribune indiquée aux chefs d’arrondissement pour remonter au maire les difficultés de gestion rencontrées dans les arrondissements.

L’autre défi majeur, c’est la mise en place du Fonds d’investissement des communes. Où en est réellement le processus et que doivent attendre les communes de ce fonds qui est appelé à marquer la différence avec le Fadec ?

Le Fonds d’investissement communal (Fic) a pour objet de rendre disponibles, au profit des communes, des ressources mobilisées pour leur développement et celui des structures intercommunales et de contribuer à la réduction de la pauvreté par un meilleur accès des populations locales aux services sociaux de base de bonne qualité, et à la promotion de l’économie locale. A ce titre, le Fonds d’investissement communal va mobiliser, au Bénin et ailleurs, des financements appropriés pour la réalisation des activités entrant dans le champ de son objet social. Le Fic n’a pas vocation à remettre en cause les acquis du Fadec. Bien au contraire ! Il va conserver les guichets traditionnels du Fadec tout en mettant en place d’autres mécanismes innovants comme le recours aux marchés financiers pour lever des fonds pouvant financer des investissements structurants. Les études préliminaires ont été réalisées par le gouvernement dans ce sens et les dispositions sont en cours pour que le Fic soit opérationnel pour l’année 2024. 

Quelle place donnez-vous à la formation des acteurs de l’administration locale, maires, Se et autres, pour une meilleure compréhension de la réforme et sa réussite ?

Former les acteurs com-munaux, maires, adjoints au maire, membres des conseils de supervision, secrétaires exécutifs et autres responsables administratifs et techniques, est une priorité pour la Cellule de suivi et de contrôle de la gestion des communes. 
En collaboration avec le Centre de formation pour l’administration locale (Cefal), structure spécialisée du ministère de la Décentralisation et de la Gouvernance locale, la Cellule a élaboré un plan de formation qui s’étale sur toute l’année 2023. Ce plan aborde une trentaine de thématiques et sa mise en œuvre est effective depuis le mois de janvier de cette année. Au-delà de ce plan de formation que nous mettons en œuvre avec le Cefal, la Cellule prévoit bien d’autres actions d’accompagnement et de coaching des acteurs, pour le compte de cette année 2023. Il n’y a de richesse que d’hommes. Nous en avons pleinement conscience et le succès de la réforme structurelle du secteur de la décentralisation repose sur le capital humain.