La Nation Bénin...
Les producteurs agricoles béninois, acteurs majeurs de
l’économie nationale, vivent différentes réalités dans la quête de financement
pour leurs activités.
Au milieu des centaines de poulets qui déambulaient et
picotaient dans leur poulailler entouré de grillages, Alphonse Houssou est
visiblement aux anges. S’abaissant presque à leur taille, il inspecte leurs
plumages ou leurs becs pour détecter la moindre anomalie. Le soleil qui dardait
ses rayons ne le déconcentre guère. Il n’avait d’yeux que pour ses volailles à
qui il consacre d’ordinaire la plus grande partie de sa journée. C’est la
routine pour cet éleveur, depuis une
quinzaine d’années. L’aviculture, c’est toute sa vie. Avant qu’il ne s’installe
à son propre compte à Zounmè-Aga dans l’arrondissement de Lissègazoun, commune
d’Allada, en 2009, il avait fait une formation au centre agroécologique de
Songhaï, un cadre de formation et de production agricole réputé, fondé en 1985
par le prêtre dominicain Godfrey Nzamujo à Porto-Novo. «C’est en réalité là que
tout a commencé. J’ai pu apprendre à allier passion et profession pour
m’épanouir», lance-t-il, presque nostalgique.
Fort des compétences acquises au centre Songhaï, Alphonse
Houssou s’est mis au service d’un particulier qu’il a servi pendant une dizaine
d’années. Cette période a été celle du renforcement de ses potentialités et
surtout d’une meilleure connaissance des réalités du secteur. Cela le conduira
à se lancer à son propre compte, non sans difficulté, mais avec la ferme
conviction de réussir. Du moins, il met toutes les chances de son côté pour
satisfaire les besoins du marché et en tirer des bénéfices.
« Les débuts ont été très difficiles ; surtout que je
n’avais aucune aide. J’ai commencé avec 200 têtes de poulets», se
souvient-t-il. Pour soutenir l’activité, l’aviculteur y a annexé la production
végétale notamment la culture d’ananas et de papaye, deux spéculations dont la
production est très répandue dans la localité. «En réalité, j’avais commencé
par la production végétale ; même si l’aviculture occupe la grande partie du
temps », souligne-t-il.
Avec l’expansion de son installation, il s’imposait à lui
de recourir aux institutions financières ou bancaires pour avoir un
financement. Un casse-tête ! Par un coup du sort, il manque de peu le
financement du Fonds national de développement agricole (Fnda) alors qu’il dit
avoir rempli presque toutes les formalités. «Alors que j’attendais la dotation
financière, on nous informe de l’incarcération du directeur général de la
structure. Patatras ! Tout est à l’eau », se désole-t-il. Les tergiversations
et tracasseries se sont poursuivies avec les Systèmes financiers décentralisés
(Sfd) avant qu’il n’obtienne la confiance de Comuba, un des Sfd les plus actifs
dans le financement du secteur agricole depuis plusieurs années. A ce niveau,
tout est allé très vite, se réjouit-il. Sinon plus vite qu’il ne le pensait.
«Grâce au prêt, j’ai pu développer mes activités en construisant des
poulaillers plus adéquats et en acquérant d’autres sujets pour l’élevage »,
détaille l’aviculteur de Zounmè-Aga, très connu dans sa localité pour ses
poulets bien en chair et ses œufs frais.
Ensemble, pour mieux réussir
A quelque 100 km d’Allada, les réalités sont presque les
mêmes. A Tozounkpa, dans l’arrondissement de Zakpota centre, c’est aussi la
période des vaches grasses pour les 13 membres des trois coopératives du
groupement Mahoukpéhou, un creuset spécialisé dans la production d’orange et
des pépinières des plants fruitiers et forestiers. Face aux défis qu’impose la
production des agrumes et autres, ils n’ont eu d’autre choix, depuis deux ans,
que d'aller ensemble à l’assaut des Sfd. «Il était très difficile pour chacun
de nous, pris individuellement, d’avoir des crédits, au regard des pièces à
fournir pour cette fin », confie Dieudonné Donkpègan, un des responsables du
groupement qui a emblavé pour cette saison, à lui seul, cinq hectares.
Cette méthode a été payante. Les trois coopératives ont pu obtenir l’une 19 millions F Cfa, l’autre 16 millions, F Cfa et la troisième 18 millions F Cfa de crédit. « Certains Sfd veulent un remboursement immédiat. Or, avec le contexte dans lequel nous exerçons, nous sommes soumis à des aléas de la nature », explique-t-il. C’est après moults tergiversations que ces agriculteurs ont pu bénéficier de ce financement; même si pour l’heure, les conditions ne sont pas les plus optimales. Mais à leurs yeux, c’était la meilleure offre et il n’était pas question de la rejeter. « Nous avons accepté un crédit dont le remboursement est échelonné sur deux ans parce que c’est une première expérience. Les prochaines fois, nous espérons que le délai de remboursement sera de trois à cinq ans pour nous permettre de mieux organiser le remboursement et profiter convenablement de l’agriculture », appuie le cinquantenaire Louis Adjavoessou, lui aussi membre du groupement. « Par le passé, il nous était impossible d’obtenir des crédits de 500 000 F Cfa. Donc, ce que nous avons eu est déjà énorme pour nous et le défi reste de faire un remboursement à bonne échéance », ajoute Robert Donkpègan, un autre membre. Mais l'autre défi encore plus important pour Louis Adjavoessou, c'est de « rester ensemble au sein du groupement pour poursuivre les activités et bénéficier de crédits plus importants ».
Le besoin de financement vise aussi à réaliser des
infrastructures structurantes. « Ce qui pourrait nous aider à nous autonomiser
par rapport à la pluie, c’est d’avoir des forages. Pour ce faire, nous aurons
encore besoin de beaucoup de crédits de la part des Sfd », estime Félicien
Lokossou, lui aussi sociétaire de Mahoukpéhou.
La dynamique collective est aussi en marche à Toucoutouna
et dans plusieurs autres communes, dans le secteur de la production du soja.
Depuis le 16 août 2022 que la Coopérative communale des productrices et
producteurs de soja (Ccps– Toucountouna) est installée, c’est l’embellie pour
ses 95 membres dont 52 femmes qui ont emblavé 453 hectares pour la campagne
agricole 2023-2024. « C’était très difficile de trouver individuellement des
crédits. Et lorsqu’on finit par en trouver, c’était dérisoire par rapport à nos
besoins », se souvient Gnintidéma Baté Benoît, secrétaire général de la coopérative.
Il relève aussi les exigences des Sfd notamment par rapport aux garanties
foncières qui «couvrent au moins 75 % des crédits demandés ». Mais avec la
volonté du gouvernement de réorganiser la filière du soja pour améliorer la
production, des coopératives ont été installées dans la plupart des communes
concernées pour mieux canaliser les investissements.
Cet attelage institutionnel n’est pas seulement utile
pour l’efficience des interventions du gouvernement. Il permet aussi aux
coopératives d’être des interlocuteurs crédibles en face des Sfd. Ils ont ainsi
pu obtenir le crédit « collecte» et le crédit « achat intrants groupé ». Dans
la pratique, le premier permet aux membres de la coopérative de ne pas brader
les produits mais d’attendre que le prix sur le marché prenne de la valeur
avant de les céder. Quant au second, il a pour but de mettre à la disposition
des producteurs différents intrants notamment les engrais, les semences, les
herbicides sélectifs du soja ainsi qu’un montant pour le labour et l’entretien.
« La conséquence immédiate, c’est que nous avons obtenu
un premier crédit de 25 millions F Cfa. Nous devrions faire le remboursement en
juin dernier mais au vu de certaines réalités, nous l’avons fait deux mois plus
tôt », confie le secrétaire général de la Ccps-Toucountouna. La confiance
établie, cette coopérative a désormais la possibilité d’obtenir des
financements jusqu’à hauteur de 200 millions, à en croire ses membres.
Cette crédibilité, la Ccps-Toucountouna la doit aussi à
son organisation interne et aux potentialités de ses dirigeants.
Titulaire d’une licence en Finances et Comptabilité, Benoît Gnintidéma Baté fait bien profiter de ses compétences dans son rôle de secrétaire général. Lui qui s’est installé depuis environ huit ans dans sa localité d’origine après l’obtention de son diplôme, ne regrette d’ailleurs pas son retour au bercail. «Grâce à mes compétences, notre coopérative fait partie des meilleures. D’ici cinq ans, le soja va s’imposer car c’est une culture facile et non contraignante», pense le jeune homme avec fierté. Il saisit l’occasion pour lancer des appels à ses pairs pour qu’ils aillent à la terre car, selon lui, elle ne dit que la vérité.
La mécanisation, un enjeu
La grande difficulté des producteurs, c’est surtout le
mode de travail. Ils sont encore nombreux à ne compter que sur leur force
physique, les instruments rudimentaires et la disponibilité des travailleurs
saisonniers pour emblaver des superficies plus importantes.
Producteur de riz, de soja et de sésame à Dassari dans la
commune de Matéri depuis 2008, Idani Gado, la quarantaine révolue, est un
interlocuteur valable pour avoir expérimenté les deux approches. « Avec la
daba, nous travaillions à tour de rôle dans les champs des amis. Cette méthode
ancienne a ses avantages car elle renforce la cohésion sociale mais elle a des
insuffisances. Nous louions aussi des tracteurs auprès de certains
propriétaires locaux ou venus du Ghana », raconte le producteur qui, à la
faveur d’un crédit, a pu acquérir un tracteur. Désormais, le rythme a changé et
les résultats ne pouvaient que suivre. « Par le passé, les propriétaires de
tracteurs devraient finir les travaux dans leurs propres champs avant de penser
à nous. Si ce sont les Ghanéens, ils priorisaient ceux qui les ont fait venir
et nous autres passions en second plan », se souvient-il.
Ces difficultés conjuguées au passé, le producteur agricole peut s’attendre à emblaver l’entièreté de ses 50 hectares disponibles. Il s’impose également en « loueur de tracteur » ; ce qui lui rapporte des revenus et contribue à lui faciliter le remboursement de ses crédits. «Si la pluie répond au rendez-vous comme nous l’espérons, nous allons rembourser correctement le crédit », promet Idani tout heureux de la nouvelle dimension de ses activités.
Goulots d’étranglement
« La réussite d’un projet agricole dépend
fondamentalement des intrants mais aussi et surtout du respect des itinéraires.
Un retard dans la mise en place des intrants peut être préjudiciable à la
culture », informe Dieudonné Donkpègan. Une chose est donc d’obtenir le
financement, mais l’autre est que ce financement soit octroyé en temps opportun
pour ne pas plonger le bénéficiaire dans le désarroi au moment de la récolte.
L’illustration parfaite, c’est que les membres du groupement Mahoukpéhou de
Zakpota centre, pour avoir obtenu des intrants de qualité et à temps, se
réjouissent des premiers fruits de leurs vergers. « Les intrants obtenus sont
nouveaux, mais ils nous ont permis d’avoir de bons rendements », témoigne Louis
Adjavoessou.
L’aviculteur Alphonse Houssou d’Allada partage cet avis. Il appelle à trouver une solution adéquate au problème majeur de la garantie foncière : « Les mairies ne nous facilitent pas la tâche. Car, il nous est assez pénible d’avoir les Attestations de détention coutumière (Adc) qui sont exigées comme garantie ». Il pointe ainsi du doigt les administrations des collectivités territoriales notamment les mairies qui ne s’empressent pas souvent de combler leurs attentes concernant cette pièce précieuse.
Rectificatifs et précisions
Les autorités locales ne se reconnaissent pas dans ces
accusations. A en croire Blaise Békakou, maire de Toucountouna, cette réalité
peinte par les agriculteurs n’est pas forcément la vérité. “Si les différentes
pièces à fournir sont remises, il n’y a aucune raison pour les retarder dans
l’obtention de leur Adc. Chaque fois qu’il y a un problème à ce niveau, nous
faisons diligence pour que l’attestation leur soit délivrée”, a-t-il fait
comprendre. Il reconnait tout de même que le gouvernement avait suspendu la
délivrance de cet acte. Mais cette période est déjà révolue, a-t-il ajouté.
“Le code foncier et domanial a juste dit que l'Adc est
délivrée par le maire après l'enquête publique contradictoire menée par la
section villageoise de gestion foncière, sans que la procédure et le délai pour
la délivrance ne soient déclinés dans le code ni dans un acte réglementaire”,
explique Xavier Zola, expert foncier. Selon lui, outre la lenteur
administrative dans les mairies pour la prise en main des dossiers, les membres
des organes locaux de gestion foncière n'ont pas intégré pour la plupart les
bonnes pratiques dans le processus. Les préoccupations relatives aux faux
frais, à la tenue effective des enquêtes publiques contradictoires, à la
motivation et à la mobilisation des acteurs ont pris le dessus et n'ont pas
permis d'assurer la conduite diligente du processus dans les communes. Ces
explications, nuance-t-il, ne sont pas exhaustives.
En dehors des papiers de terrain, « il nous faut des
financements pour installer des équipements de maîtrise d’eau. Cela a
l’avantage de nous permettre de ne plus être esclaves des aléas climatiques»,
relève pour sa part Robert Donkpègan.
S’agissant des financements, lors d’une causerie-débat
initiée par Finagro Sa dans le cadre de la mise en place de sa stratégie
d’information et de renforcement des capacités des institutions financières,
Ignace Dovi, directeur de l’Association professionnelle des systèmes financiers
décentralisés (Apsfd) a insisté sur la nécessité de sécuriser les interventions
des Sfd dans le secteur agricole. A son avis, les Sfd sont des vendeurs
d’argent et il n’est pas acceptable qu’ils mettent en péril les ressources
collectées auprès du public ou acquises chèrement.
D’une manière générale, les Sfd estiment que six facteurs sont nécessaires pour faciliter l’accès des entreprises agricoles aux ressources dont elles sont besoin. Il s’agit d’une politique massive de formation pour l’encadrement des producteurs, une loi sur le foncier qui sécurise la propriété agricole, une politique de soutien et d’organisation du secteur agricole, une politique d’orientation et de protection agricole, une politique adéquate d’approvisionnement en intrants agricoles et une politique adéquate d’accès à la finance à travers la mise en place de ressources dédiées avec des conditions adaptées en termes de taux d’intérêt, durée des prêts, différés d’amortissements, instruments de mitigation des risques agricoles.
Le financement public est décisif pour les exploitations agricoles