La Nation Bénin...
Chaque
21 août, la communauté internationale est appelée à honorer et soutenir les
victimes et survivants d’actes terroristes. C’est aussi l’occasion de mettre en
lumière l'importance de promouvoir et de protéger le plein exercice de leurs
libertés et droits fondamentaux. Décrétée par l'Assemblée générale des Nations
Unies le 19 décembre 2017, la Journée internationale du souvenir en hommage aux
victimes du terrorisme vient questionner les Etats sur le traitement réservé
aux concernés. Le Bénin mesure l’ampleur du défi et a pris des dispositions en
faveur des victimes. Lesquelles sont perfectibles.
La
Journée du souvenir en hommage aux personnes victimes du terrorisme serait-elle
une journée de plus à ranger au casier « formalisme » ; une
initiative pour soulager les consciences et faire bonne impression ; ou un
moment effectivement dédié à la réflexion pour traiter durablement les effets
du terrorisme sur ses victimes directes et indirectes ?
L'adoption
de la résolution 72/165 par l'Assemblée générale des Nations Unies, sur
recommandation du Conseil des droits de l'homme, marque une étape importante
dans la lutte contre le terrorisme. Elle réaffirme l'importance de renforcer la
coopération internationale pour prévenir et combattre le terrorisme sous toutes
ses formes. En effet, le terrorisme ne connaît pas de frontières, et les
réponses apportées doivent être tout aussi globales. « Lorsque nous respectons
les droits fondamentaux des victimes et que nous leur apportons appui et
information, nous réduisons le dommage durable causé par les terroristes aux
individus, aux communautés et aux sociétés », soutient António Guterres,
secrétaire général de l'Onu.
La Journée internationale du souvenir est non seulement un moment de réflexion, mais aussi un appel à l'action. Les États membres de l'Onu sont encouragés à redoubler d'efforts pour garantir un soutien et une protection effective aux victimes du terrorisme. Toutes choses qui impliquent la mise en place de mécanismes de soutien plus robustes, une meilleure coordination entre les différents acteurs internationaux, et une sensibilisation accrue du public aux défis auxquels ces victimes sont confrontées. En renforçant ses efforts, la communauté internationale pourrait réduire l'impact durable du terrorisme et contribuer à un monde où les droits et la dignité des victimes sont pleinement respectés.
Depuis quelques années, le terrorisme est devenu un enjeu majeur pour l'Afrique de l'Ouest au regard de la recrudescence des attaques terroristes notamment au Nigéria, au Burkina Faso et au Mali. Le rapport du Global Terrorism Index 2022 indique que l'Afrique de l'Ouest a enregistré une hausse de 50 % des attaques terroristes entre 2019 et 2022. Au Bénin, bien que la situation soit relativement stable, des incidents récents dans la région de la Pendjari et dans certaines communes du Nord ont mis en lumière la vulnérabilité du pays face à cette menace. Il est important de noter que le Bénin ne parle pas encore de terrorisme, mais plutôt des attaques perpétrées par des Individus armés non identifiés (Iani). D’aucuns parlent d’actes d’extrémisme violent tendant au terrorisme (Evt).
A
ce propos, le Général Etienne Adossou indique que l’Evt est une menace grave
face à laquelle il suggère une mobilisation nationale générale avec une gestion
basée sur une panoplie de moyens politiques, économiques, financiers,
sociologiques, psycho-médicaux, religieux, diplomatiques, militaires,
policiers, judiciaires, éducationnels, communicationnels, etc.
Il précise qu’au cœur de cette stratégie de réponse qu’il voudrait holistique, les professionnels des médias ont un rôle décisif à jouer. Par ailleurs, il affirme que le terrorisme est avant tout, une guerre psychologique. Pour étayer son propos, il paraphrase Gérard Chaliand, géostratège et écrivain qui pense que «le but du terrorisme n’est pas de tuer un maximum de gens. Il est d’en impressionner un maximum. Mieux vaut en tuer un et être vu par mille ; que d’en tuer mille et de n’être vu que par un ». L’essence même du terrorisme est donc de semer la terreur. Faire des victimes des êtres psychologiquement déséquilibrés, fragilisés et complètement terrorisés. Le terrorisme étant une guerre de l’information, de la propagande et de la publicité, l’expert interpelle ici le quatrième pouvoir que sont les médias pour savoir quoi publier afin de ne pas faire la promotion des mouvements terroristes. Il martèle que la question du terrorisme n’est pas l’apanage des Forces de défense et de sécurité mais également l’affaire de tous puisqu’il relève des enjeux géopolitiques, culturels, religieux, éthiques, ethniques, économiques et sécuritaires. «Les politiciens, les religieux, les journalistes, les policiers, les militaires et même le civil lambda doivent travailler ensemble pour faire reculer les causes du terrorisme ».
Le Bénin a adopté une loi (N°2022-28 du 7 décembre 2002) et un décret (N°2023-681 du 20 décembre 2023) dont les dispositions sont en faveur des personnes victimes en missions commandées, ou leurs ayants-droit pour leur prise en charge et protection. Ces textes s’appliquent aux personnels militaires des forces armées béninoises, aux personnels des forces de sécurité publique et aux civils blessés ou disparus, impliqués ou associés par les forces de défense et de sécurité aux opérations de maintien de l’ordre, de sauvetage ou de défense de l’intégrité territoriale. La prise en charge et la protection se limitent aux volets santé physique et indemnisation financière, occultant ainsi la santé psychologique. De plus, une grande majorité des victimes que sont les civils non impliqués dans des missions sont laissées pour compte. Dans ce contexte, des actions en faveur des civils victimes sont attendues. Il s’agit notamment d’un dispositif pour prendre en charge les conséquences des attaques, à titre individuel ou collectif, sur les plans matériel et psychologique. Pour le Général Etienne Adossou, il importe également de prendre en charge les blessés physiques et d’accompagner psychologiquement les traumatisés et les familles des victimes.
« Il y a beaucoup de victimes dans nos sociétés qui sont non identifiées. Des personnes égorgées incognito, tuées, enlevées, portées disparues sans que personne n’en parle», confie Docteur Abdel Aziz Mossi, socio-anthropologue, enseignant-chercheur, spécialiste des conflits, radicalisation, prévention de l’extrémisme violent.
Il
trouve louable l’initiative d’une journée du souvenir en hommage aux victimes
du terrorisme et estime que cette commémoration, loin de se limiter aux
victimes militaires, devrait s’étendre au plan national aux victimes civiles
également. Leurs familles (enfants, époux, épouses) devraient recevoir un
accompagnement conséquent et digne, sans discrimination. Pour le
socio-anthropologue, il est important de sensibiliser les populations à se
sentir concernées par la prévention et la lutte contre le terrorisme et à jouer
leur partition selon leurs différentes positions (sensibilisation, information,
dialogue en vue de la cohésion sociale). Toutes choses qui permettraient de
réduire les frustrations et donc d’éviter l’engagement dans le terrorisme. «
Nous avons besoin d’actions collectives participatives et de politiques
publiques inclusives pour poser au bénéfice des victimes, un certain nombre
d’actions » déclare-t-il.
Anicet
David Gnahoui, sociologue-médiateur, directeur des Stratégies de l’Organisation
internationale des jeunes promoteurs de la paix (Oijpp) et Consultant
indépendant, se consacre à la mobilisation des jeunes et des femmes pour la
promotion de la paix et la cohésion sociale. Selon lui, pour soutenir efficacement
les victimes du terrorisme au Bénin, il est essentiel de mettre en place des
programmes de soutien psychologique adaptés. En conformité avec la loi n°
2018-19, ces programmes doivent aider les victimes à surmonter les traumatismes
qu’elles ont subis. De plus, il suggère d’établir des mécanismes
d’indemnisation pour compenser les pertes matérielles et immatérielles des
victimes, conformément aux dispositions légales existantes. Cela permettra non
seulement de reconnaître la souffrance des victimes, mais aussi de favoriser
leur réintégration dans la société. Des pays comme le Rwanda, après le
génocide, ont mis en place des fonds d'indemnisation qui ont contribué à
reconstruire des vies.
A l’en croire, la collaboration avec des organisations non gouvernementales semble essentielle pour développer des programmes de soutien aux victimes. Des Ong comme la Croix-Rouge et Amnesty International jouent un rôle clé dans l’assistance aux victimes de conflits en Afrique, et leur expertise pourrait être mobilisée au Bénin. « Je crois qu’en agissant ensemble, nous pouvons créer un environnement propice à la guérison et à la réintégration des victimes, tout en respectant les droits humains et en promouvant la paix. En fin de compte, la résilience de notre société dépend de notre capacité à soutenir ceux qui ont souffert, tout en bâtissant un avenir plus sûr pour tous », soutient Anicet David Gnahoui. Puis il encourage : « Je tiens à rendre hommage à toutes les personnes, civiles ou militaires, qui ont été victimes du terrorisme dans le monde, en Afrique et plus particulièrement ceux de la sous-région et du Bénin. Leur courage et leur résilience doivent nous inspirer à agir ».
Docteur Bouko Chabi Dramane, enseignant-chercheur de Géopolitique et Sécurité Internationale, estime que la couche juvénile béninoise (70 % de la population ouest-africaine) encline au chômage, fragilisée au plan socio-économique, constitue la première victime des terroristes. Selon lui, l’exposition fréquente ou permanente à la précarité fait des jeunes, des proies faciles pour d’éventuels recrutements dans le rang des terroristes. Il a salué l’opération Mirador en riposte aux actes terroristes dans le nord du Bénin ainsi que l’Agence béninoise de gestion intégrée des espaces frontaliers (Abegief) qui intervient sur le plan de la prévention. Il indique que l’accompagnement doit être en premier lieu psychologique. L’Etat fait des efforts dans ce sens, mais l’enseignant estime qu’ils ne sont pas suffisants et préconise alors la mise sur pied d’une commission (composée de psychologues, sociologues, leaders communautaires ou religieux…) de prise en charge efficace des victimes directes et indirectes, à court, moyen et long termes.
Pour prévenir ce phénomène et réduire son impact, docteur Bouko Chabi Dramane fait sept recommandations au gouvernement béninois à savoir, le renforcement d’une éducation inclusive et de qualité pour enraciner des valeurs et des principes de vie dans l’esprit des enfants, adolescents et jeunes; l’investissement dans une culture des droits humains et le respect de la diversité pour éviter l’intolérance et les marginalités extrémistes pouvant conduire à la radicalisation, à la violence ou au terrorisme ; le développement d’une culture de la prévention des conflits (Occuper la jeunesse); la collaboration franche et sincère avec les pays voisins notamment avec les pays du Sahel ; le rôle impératif des familles pour éduquer, conseiller, contrôler, alerter, prévenir et/ou solutionner ; l’investissement dans l’emploi des jeunes ; la consolidation du processus de paix et de sécurité■