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Nouveau dans le paysage institutionnel béninois: Le Sénat, une chambre d’arbitrage et de sagesse

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Faisant couler de l’encre et de la salive depuis la révision constitutionnelle du 15 novembre dernier, l’instituant, qu’est-ce en réalité le Sénat ? Et de quelles avancées est-il porteur ?

Par   Paul AMOUSSOU, le 23 nov. 2025 à 23h28 Durée 3 min.
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La révision constitutionnelle intervenue au Bénin instaure une nouvelle institution majeure, le Sénat, dont la création vise à renforcer la stabilité politique et la gouvernance démocratique du pays, en jouant un rôle de régulation et d’arbitrage de la vie politique nationale.

De par ses dévolutions, en l’article 113-1, le Sénat a pour missions principales de réguler la vie politique afin de sauvegarder et renforcer des principes fondamentaux, notamment l’unité nationale, le développement de la Nation, la défense du territoire, la sécurité publique, la démocratie et la paix. Il est appelé à veiller également aux mœurs politiques, assurant le renforcement et la continuité de l’État ainsi que la stabilité politique, mission essentielle pour prévenir les crises institutionnelles qui peuvent résulter de tensions entre acteurs politiques.

Protecteur de l’essentiel commun

Par ailleurs, le Sénat est chargé de veiller au respect de la « trêve politique » désormais consacrée en norme, garantissant ainsi une période de calme et de non-agression dans le débat public. À ce titre, le Sénat dispose du pouvoir de suspendre ou de retirer les droits politiques ou civiques aux acteurs politiques dont les actes ou propos portent atteinte à l’unité nationale, au développement, à la défense du territoire, à la sécurité, à la démocratie, aux droits humains ou à la paix. Ce qui souligne la volonté de protéger la cohésion sociale et la réputation du pays contre les discours dangereux. Par exemple, il pourrait prendre le cas échéant des mesures à l’endroit d’un acteur politique qui diffuserait délibérément de fausses informations, comme affirmer que « le Bénin abrite des bases militaires étrangères» dans le but de salir l’image nationale, ou encore interdire ceux qui incitent à la violence entre régions ou appellent à une invasion étrangère. En cela, c’est un euphémisme de dire que le Sénat est désormais le gardien du temple, protecteur de l’essentiel commun et grand promoteur du patriotisme.

Pouvoir législatif ?

Sur le plan législatif, le rôle du Sénat est déterminant puisqu’il doit donner un avis de non-objection avant la promulgation des lois constitutionnelles, électorales, ou celles régissant la vie des partis politiques. Cette disposition constitue une garantie supplémentaire contre l’adoption de textes susceptibles de déstabiliser le pays ou de provoquer une crise politique. Sans avoir le pouvoir de prendre des lois lui-même, car ses membres ne sont pas élus, le Sénat agit ainsi comme un filtre, empêchant les lois jugées crisogènes ou menaçantes pour la stabilité nationale d’aboutir. Il peut intervenir pour faire des arbitrages d’opportunité et de pertinence sur saisine du chef de l’État, ce qui lui confère une légitimité et une autorité particulières dans le processus décisionnel.

Ce pouvoir de régulation met en lumière la fonction du Sénat comme chambre d’arbitrage et de sagesse, complémentaire à l’Assemblée nationale, où siègeraient des personnalités expérimentées et non partisanes, qui se prononceraient en représentants de la nation avant tout, à l’instar de figures historiques telles que Nicéphore Soglo, Théodore Holo ou Robert Dossou.

Cette exigence d’impartialité est d’ailleurs formalisée par l’obligation de réserve politique (article 113-4 alinéa 2) imposée aux sénateurs, qui ne peuvent être ni acteurs ni partisans à proprement parler, afin que leurs décisions soient guidées par l’objectivité et non par la pression des intérêts particuliers ou des partis.

Sages

Dans toutes les régions du Bénin, les anciens occupent une place centrale et sacrée au sein de la société, considérés comme des sages en raison de leur longue expérience de vie, de leur connaissance des traditions et de leur capacité à transmettre la mémoire collective. Leur rôle va bien au-delà de la simple transmission : ils sont les garants de la cohésion sociale, les médiateurs lors des conflits familiaux ou communautaires, et les référents incontournables en cas de difficultés majeures, qu’il s’agisse de problèmes de succession, de querelles de voisinage ou de décisions importantes pour la communauté.

Leur autorité repose sur le respect profond que leur vouent les plus jeunes, mais aussi sur leur capacité à incarner la continuité entre les générations et à maintenir l’harmonie dans la vie sociale. Cette valeur, profondément ancrée dans les traditions béninoises, s’exprime à travers des rites, des cérémonies et des pratiques quotidiennes qui mettent en avant la sagesse des anciens, qu’il s’agisse des rituels d’initiation chez les Somba, des cérémonies Guèlèdé organisées par les femmes yoruba, ou encore des pratiques spirituelles liées au culte des ancêtres, comme l’Egoun, qui permet de faire revenir les esprits des défunts parmi les vivants pour les consulter et les honorer.

Pourtant, malgré cette reconnaissance culturelle et sociale, il faut souligner que, dans le domaine politique, cette richesse n’a pas été pleinement exploitée jusqu’à présent. Alors que la Conférence nationale de 1990 avait envisagé de s’inspirer de ce modèle pour créer un Sénat, une institution qui aurait pu incarner la sagesse et l’expérience des anciens au service de la nation, cette idée n’a pas été concrétisée. Depuis lors, la pratique politique béninoise a souvent laissé de côté les personnes ressources que constituent les anciens présidents de la République, les anciens présidents de l’Assemblée nationale, les anciens présidents de la Cour constitutionnelle et d’autres personnalités éminentes dans divers domaines, privant ainsi le pays du bénéfice de leurs expériences et de leurs conseils. Il arrive même que ces expériences soient sollicitées par d’autres pays, tandis que le Bénin ne tire pas pleinement parti de ce capital humain.

Désormais, grâce à la réforme qui instaure le Sénat, il devient possible de capitaliser sur cette richesse, en donnant aux anciens une place institutionnelle qui leur permet de contribuer activement à la vie politique et à la stabilité du pays. L’importance du Sénat ne se limite pas à la simple reconnaissance des anciens : il apparaît comme un véritable gardien du temple, chargé de veiller à ce que les acteurs politiques mettent toujours en avant l’intérêt supérieur de la nation, plutôt que leurs intérêts personnels ou partisans. Ce rôle est particulièrement crucial dans un contexte où certains acteurs politiques, en raison de leur opposition au pouvoir en place, n’hésitent pas à comploter contre le pays, mettant en péril les intérêts nationaux dans le seul but de nuire à ceux qui sont au pouvoir. Le Sénat, par la somme d’expériences de ses membres, est appelé à veiller à ce que l’éthique politique soit respectée, à l’instar des autres corps professionnels où l’éthique est une règle fondamentale. Ainsi, en s’inspirant des traditions béninoises qui valorisent la sagesse des anciens, le Sénat peut devenir un pilier essentiel de la stabilité et de la cohésion politique, en garantissant que l’intérêt supérieur de la nation prime sur les divisions partisanes et les ambitions personnelles.