La Nation Bénin...
Une
femme pourtant instruite et émancipée trouve refuge dans sa baignoire pour
échapper aux coups, à la menace, aux insultes. Mais son bourreau la retrouve et
n’aura pas froid aux yeux pour la démonter, malgré la présence de leur fils,
témoin innocent et silencieux…
La
scène s’ouvre sur des lumières tamisées, un décor sobre et deux personnages
élégants. Cela aurait pu faire une belle idylle, un moment de partage et
d’amour. Mais les premiers mots qui fusent viennent briser l’attente du
spectateur. Des bruits de vases brisés. Et c’est reparti ! Toute la teneur
de Sêtchi se dévoile dès cet instant. Violence verbale, intentions, souvenirs
et déclarations d’amour se chevauchent. Le vocabulaire est hideux. Les gestes
de l’homme le sont tout autant. Lui qui n’est qu’un petit commis, niveau
modeste sans référence, réputation aucune, se tord de chagrin devant la beauté
physique et intellectuelle de la femme qui a pourtant choisi de marcher avec
lui. Elle est belle dans la tête, dans l’esprit et son corps ne se fait que
désirer. Cadre supérieure en communication, elle baigne dans la haute classe
avec un carnet d’adresses et des congénères qui se pâment d’admiration pour son
intellect. Elle sait aussi aimer son homme et veut se soumettre à ce petit être
que son cœur a choisi.
Tout
son malheur vient de là. On la traite de folle, de provocatrice, on la
soupçonne de mœurs légères, on lui impute tous les péchés du jardin d’Eden et
comme cerise sur le gâteau, une brutalité sans pareille. Des flèches fusent de
partout, épiques, pour la déstabiliser et mettre à mal son élan, son égo et son
amour propre. Pour en rajouter à sa douleur, le macho se livre à un
réquisitoire contre tous les discours féministes. « En réponse à mon
amour, il s’amuse à me martyriser… vingt ans que j’essaie de tout justifier et
pardonner », se complaint-elle. En face, la rage surgit à nouveau.
« Le couple parfait n’existe pas et le bonheur n’est pas une constance. La
colère est un état affectif et passager. Les blessures se cousent avec les
aiguilles du temps », lui tend son vis-à-vis. Ce spectacle est le cri
strident d’une femme, de toutes les femmes victimes de violences contre leurs
hommes, les hommes violents, mais aussi contre un système, une société qui est
contrainte au silence et leur vole leur être, leur estime de soi et leur amour
propre. Si « Sêtchi » crie contre le patriarcat, il se rebelle aussi
contre toutes les autres conventions qui maintiennent la femme dans un état de
sous-être. Pas seulement la femme, mais aussi les enfants devant le silence
complice de la société.
Ils
sont au départ deux sur scène dans le spectacle « Sêtchi », une pièce
de théâtre qui rend hommage à la femme et dénonce les violences sexistes. Trois
autres comédiens viennent achever la pièce. Elle est mise en scène par la
Suisse Silvia Barreiros, auteure, comédienne et directrice artistique de la
compagnie Apsara. Nicolas Houénou de Dravo y apporte aussi son expertise. La
pièce est le produit final d’un projet de formation des jeunes aspirants au
théâtre et d’élèves en formation dans les écoles de théâtre.
« C’est une pièce qui montre que la violence du genre, ne se passe pas que chez les pauvres. On a tendance à croire que ce sont les pauvres qui battent leurs femmes. J'ai voulu que ce soit justement une femme intelligente qui gagne plus d'argent que son mari, qui est très aisée, qui est tombée dans la spirale de la violence de genre et qui n'arrive plus à s'en sortir », commente la metteuse en scène. « Il y a évidemment le chantage affectif face à l'enfant et puis aussi, la négation de son esprit. La violence psychologique à tel point qu'elle n'est plus elle-même. Elle n'est plus que l'ombre d'elle-même. Ce qui m'intéressait, c’est de voir qu'en fait, toute femme peut tomber dans ces pièges ». Piège sans fin, pourrait-on dire, qui laisse l’homme poursuivre la femme dans tous ses retranchements, même lorsqu’elle se trouve dans sa baignoire d’où elle puise l’énergie pour tenir devant son oppresseur. Même là-bas, son bourreau la poursuit avec la ceinture ancestrale, cette sorte d’héritage qui traverse les générations avec pour seule motivation de détruire la tranquillité des femmes. Cette mise en scène a beaucoup voyagé. Pensée depuis l’ère Covid, où « les femmes étaient enfermées avec leurs bourreaux », elle s’actualise suivant les réalités des pays qu’elle traverse. Au Bénin, elle s’est rhabillée de quelques réalités empruntées au quotidien et à la vie sociale. Cherté de la vie, construction d’infrastructures, frasques familiales… La touche locale semble bien visible à mesure que s’égrène le spectacle.
Le
sujet en lui-même n’est pas nouveau. Les planches ont vu on ne sait plus
combien de mises en scène sur la thématique des violences, mais la
particularité ici, c’est la touche des metteurs en scène. On voit sur scène des
comédiens qui donnent au-delà de l’habituel. On exige tout d’eux et ils le
rendent, même leur réserve. Cela en apporte à la beauté du spectacle. Certes,
il est dur à vivre par endroits, comme par exemple lorsque pleuvent les coups
et les injures sur une femme dont le seul péché est d’aimer un homme. Mais cela
fait partie de l’apprentissage, répond Silvia Barreiros. Elle qui a longtemps
jaugé le septième art béninois et africain semble s’être aperçu d’une
possibilité à aller au-delà de l’existant. Une aubaine qu’elle exploite avec
les comédiens de « Sêtchi ». Cette pièce aurait pu être intitulée « Sêtché »
comme pour magnifier l’amour et faire une ode à la femme, mais elle s’intitule
tel pour dire que l’amour a déserté le forum. Après ses deux précédentes
présentations à l’Ecole internationale de théâtre du Bénin, elle poursuivra son
périple vers Ouidah, Porto Novo..■