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‘’Sêtchi’’ au théâtre: La baignoire, le refuge contre la violence

Culture
L'une des scènes de ce spectacle apprécié du public L'une des scènes de ce spectacle apprécié du public

Une femme pourtant instruite et émancipée trouve refuge dans sa baignoire pour échapper aux coups, à la menace, aux insultes. Mais son bourreau la retrouve et n’aura pas froid aux yeux pour la démonter, malgré la présence de leur fils, témoin innocent et silencieux… 

Par   Josué F. MEHOUENOU, le 18 nov. 2024 à 13h54 Durée 2 min.
#Arts et culture

La scène s’ouvre sur des lumières tamisées, un décor sobre et deux personnages élégants. Cela aurait pu faire une belle idylle, un moment de partage et d’amour. Mais les premiers mots qui fusent viennent briser l’attente du spectateur. Des bruits de vases brisés. Et c’est reparti ! Toute la teneur de Sêtchi se dévoile dès cet instant. Violence verbale, intentions, souvenirs et déclarations d’amour se chevauchent. Le vocabulaire est hideux. Les gestes de l’homme le sont tout autant. Lui qui n’est qu’un petit commis, niveau modeste sans référence, réputation aucune, se tord de chagrin devant la beauté physique et intellectuelle de la femme qui a pourtant choisi de marcher avec lui. Elle est belle dans la tête, dans l’esprit et son corps ne se fait que désirer. Cadre supérieure en communication, elle baigne dans la haute classe avec un carnet d’adresses et des congénères qui se pâment d’admiration pour son intellect. Elle sait aussi aimer son homme et veut se soumettre à ce petit être que son cœur a choisi.

Tout son malheur vient de là. On la traite de folle, de provocatrice, on la soupçonne de mœurs légères, on lui impute tous les péchés du jardin d’Eden et comme cerise sur le gâteau, une brutalité sans pareille. Des flèches fusent de partout, épiques, pour la déstabiliser et mettre à mal son élan, son égo et son amour propre. Pour en rajouter à sa douleur, le macho se livre à un réquisitoire contre tous les discours féministes. « En réponse à mon amour, il s’amuse à me martyriser… vingt ans que j’essaie de tout justifier et pardonner », se complaint-elle. En face, la rage surgit à nouveau. « Le couple parfait n’existe pas et le bonheur n’est pas une constance. La colère est un état affectif et passager. Les blessures se cousent avec les aiguilles du temps », lui tend son vis-à-vis. Ce spectacle est le cri strident d’une femme, de toutes les femmes victimes de violences contre leurs hommes, les hommes violents, mais aussi contre un système, une société qui est contrainte au silence et leur vole leur être, leur estime de soi et leur amour propre. Si « Sêtchi » crie contre le patriarcat, il se rebelle aussi contre toutes les autres conventions qui maintiennent la femme dans un état de sous-être. Pas seulement la femme, mais aussi les enfants devant le silence complice de la société. 

Ils sont au départ deux sur scène dans le spectacle « Sêtchi », une pièce de théâtre qui rend hommage à la femme et dénonce les violences sexistes. Trois autres comédiens viennent achever la pièce. Elle est mise en scène par la Suisse Silvia Barreiros, auteure, comédienne et directrice artistique de la compagnie Apsara. Nicolas Houénou de Dravo y apporte aussi son expertise. La pièce est le produit final d’un projet de formation des jeunes aspirants au théâtre et d’élèves en formation dans les écoles de théâtre. 

La violence n’est pas l’apanage des pauvres

« C’est une pièce qui montre que la violence du genre, ne se passe pas que chez les pauvres. On a tendance à croire que ce sont les pauvres qui battent leurs femmes. J'ai voulu que ce soit justement une femme intelligente qui gagne plus d'argent que son mari, qui est très aisée, qui est tombée dans la spirale de la violence de genre et qui n'arrive plus à s'en sortir », commente la metteuse en scène. « Il y a évidemment le chantage affectif face à l'enfant et puis aussi, la négation de son esprit. La violence psychologique à tel point qu'elle n'est plus elle-même. Elle n'est plus que l'ombre d'elle-même. Ce qui m'intéressait, c’est de voir qu'en fait, toute femme peut tomber dans ces pièges ». Piège sans fin, pourrait-on dire, qui laisse l’homme poursuivre la femme dans tous ses retranchements, même lorsqu’elle se trouve dans sa baignoire d’où elle puise l’énergie pour tenir devant son oppresseur. Même là-bas, son bourreau la poursuit avec la ceinture ancestrale, cette sorte d’héritage qui traverse les générations avec pour seule motivation de détruire la tranquillité des femmes. Cette mise en scène a beaucoup voyagé. Pensée depuis l’ère Covid, où « les femmes étaient enfermées avec leurs bourreaux », elle s’actualise suivant les réalités des pays qu’elle traverse. Au Bénin, elle s’est rhabillée de quelques réalités empruntées au quotidien et à la vie sociale. Cherté de la vie, construction d’infrastructures, frasques familiales… La touche locale semble bien visible à mesure que s’égrène le spectacle.

Le sujet en lui-même n’est pas nouveau. Les planches ont vu on ne sait plus combien de mises en scène sur la thématique des violences, mais la particularité ici, c’est la touche des metteurs en scène. On voit sur scène des comédiens qui donnent au-delà de l’habituel. On exige tout d’eux et ils le rendent, même leur réserve. Cela en apporte à la beauté du spectacle. Certes, il est dur à vivre par endroits, comme par exemple lorsque pleuvent les coups et les injures sur une femme dont le seul péché est d’aimer un homme. Mais cela fait partie de l’apprentissage, répond Silvia Barreiros. Elle qui a longtemps jaugé le septième art béninois et africain semble s’être aperçu d’une possibilité à aller au-delà de l’existant. Une aubaine qu’elle exploite avec les comédiens de « Sêtchi ». Cette pièce aurait pu être intitulée « Sêtché » comme pour magnifier l’amour et faire une ode à la femme, mais elle s’intitule tel pour dire que l’amour a déserté le forum. Après ses deux précédentes présentations à l’Ecole internationale de théâtre du Bénin, elle poursuivra son périple vers Ouidah, Porto Novo..■