La Nation Bénin...

Entretien avec Catherine Fiankan-Bokonga, présidente de l’Acanu: Accès restreint, diversité menacée: une présidente d’Afrique subsaharienne alerte à l’Onu

International
Catherine Fiankan-Bokonga Catherine Fiankan-Bokonga

Élue en février 2025 à la présidence de l’Association des correspondants accrédités auprès des Nations Unies (Acanu) à Genève, Catherine Fiankan-Bokonga, journaliste à la fois originaire de la Rdc et de la Belgique couvre l’actualité onusienne depuis 1998. Plusieurs fois pionnière dans le paysage médiatique suisse, elle devient la première femme originaire d’Afrique subsaharienne à diriger cette association historique fondée en 1949. Entretien avec une professionnelle engagée, à l’heure où les défis de la presse internationale n’ont jamais été aussi complexes.

Par   Propos recueillis par Paul AMOUSSOU, le 07 mai 2025 à 08h33 Durée 3 min.
#Organisation des Nations unies (Onu)

Vous venez d’être élue à la tête de l’Association des Correspondants Accrédités auprès des Nations Unies (Acanu) à Genève. Quels sentiments vous animent depuis lors?

Je ressens à la fois un grand honneur d’avoir été choisie par mes pairs pour diriger cette association et un profond sens des responsabilités, surtout dans le contexte mondial actuel. Je suis également très fière d’être la première Présidente originaire d’Afrique subsaharienne à occuper cette fonction depuis la création de l’Acanu en 1949.

Quel est le rôle de l’Acanu ?

L’Acanu regroupe plus de 150 journalistes accrédités de manière permanente auprès de l’Office des Nations Unies à Genève. Ses membres représentent un large éventail de médias : agences de presse (du Canada, de Chine, de France, d’Espagne, des Etats-Unis, du Koweït, de Russie, de la Suisse, de Turquie, etc.), chaînes de télévision, radios, quotidiens, magazines ou plateformes d’information en ligne.

L’association a pour mission de défendre les intérêts professionnels de ses membres et de faciliter leur travail, notamment en organisant des conférences de presse exclusives. Depuis ma prise de fonctions, nous avons par exemple accueilli Reza Pahlavi, le fils du dernier Shah d’Iran, la Première ministre de la République Démocratique du Congo, les ministres des Affaires étrangères de la Palestine et du Rwanda, ainsi que le Dr. Sania Nishtar, directrice générale de Gavi (L’Alliance du Vaccin) et récemment, le Directeur général de l’Organisation Mondiale de la Santé, le Dr Tedros.

Quels sont les axes prioritaires de votre mandat dans un contexte géopolitique en mutation ?

Deux priorités guident mon mandat d’un an : garantir l’accès à l’information, tel que stipulé dans la Résolution 67/124 de l’Assemblée générale des Nations Unies (Questions relatives à l’information dans le système des Nations Unies) et renforcer les connaissances des jeunes correspondants, en organisant des formations ciblées, en partenariat avec les agences onusiennes. En avril, une première session a été organisée avec l’Organisation Mondiale du Commerce (Omc).

Quels défis les correspondants accrédités auprès de l’Onu rencontrent-ils?

L’accès à l’information demeure le principal défi. Depuis mars 2020, de nombreux porte-paroles préfèrent les interactions virtuelles, jugées plus faciles à contrôler. Cette évolution, bien qu’en partie compréhensible dans un contexte de désinformation croissante, reste préoccupante. Elle contraint les journalistes à redoubler d’efforts pour ne pas se contenter de reproduire des communiqués de presse soigneusement rédigés. Or, notre responsabilité est de vérifier les faits, de croiser les sources et de poser toutes les questions nécessaires, ce qui complique la réactivité et l’efficacité du travail. Il est important de rappeler que le professionnalisme des membres de l’Acanu est reconnu, notamment par le Secrétaire général de l’Onu, António Guterres.

Quelles seraient les conséquences du maintien de cette attitude ?

À Genève, l’écosystème international repose sur l’interconnexion des institutions. Si les agences continuent à restreindre l’accès aux journalistes, cela pourrait à terme remettre en question la nécessité d’une présence médiatique permanente dans la ville. Cela aurait un effet domino sur les 183 missions diplomatiques et les 476 Ong, qui pourraient choisir de suivre les activités depuis d’autres capitales, où les coûts sont moindres. 

Est-ce que les décisions de l’administration Trump en matière de réduction ou d’arrêt de financement a des conséquences sur votre travail?

Le retrait des États-Unis d’agences du système de l’Onu et d’entités (Oms et Conseil des droits de l’homme) et la suspension de financements ont des conséquences directes sur la vie genevoise. La suppression de nombreux postes, la relocalisation vers des pays plus proches de zones en crise (Ex- Kenya) engendre un climat tendu, où les fonctionnaires internationaux redoutent les prochains licenciements. La presse est de plus en plus tenue à distance. Dans ce contexte de diminution constante des ressources financières, le chef de l’Onu a lancé en mars 2025 l’Initiative  «Onu80» pour diminuer les coûts. Ainsi, l’Onu envisage de fusionner ses agences, de réduire ses opérations et de restructurer ses actions de maintien de la paix et d’intervention humanitaire. Toutes ces actions pourraient entraîner une réduction de la diversité des médias étrangers présents à Genève.

Vous êtes correspondante auprès de l’Onu à Genève depuis 1998. En quoi cette expérience influence-t-elle votre vision ?

Être basée en Suisse tout en voyageant sur le terrain m’a permis de mesurer à quel point les agences onusiennes accomplissent un travail essentiel. Le système regorge de personnes remarquables, engagées pour les droits humains. Leurs actions méritent d’être mieux connues, car elles peuvent inspirer la jeunesse et elles démontrent que l’espoir reste possible.

Quel message souhaitez-vous transmettre à la jeune génération de correspondants?

Dans un monde marqué par l’individualisme, je crois à l’importance de la solidarité et de la bienveillance entre confrères. Il faut savoir lire entre les lignes, comprendre les enjeux, s’informer en profondeur à travers les rapports et les échanges avec les experts. Il est aussi crucial de bâtir un réseau personnel solide de diplomates, fonctionnaires, Ong, chercheurs  pour rester informé. Enfin, il ne faut jamais sous-estimer le rôle du journaliste dans la construction d’un monde meilleur.