La Nation Bénin...
La
fin annoncée de l’African Growth and Opportunity Act (Agoa), qui devait expirer
le 30 septembre, a été évitée in extremis. L’administration du président
américain Donald Trump a finalement décidé d’en prolonger la validité d’un an,
offrant un répit bienvenu aux 35 pays africains qui bénéficient depuis 2000 de
cet accord commercial leur permettant d’exporter des milliers de produits vers
les États-Unis sans droits de douane. Cette décision, saluée à travers le
continent africain, ne dissipe toutefois pas les inquiétudes croissantes quant
à l’avenir des relations commerciales entre Washington et l’Afrique. Elle
souligne le caractère précaire d’un partenariat fondé sur le libre-échange,
mais de plus en plus mis à mal par le protectionnisme américain.
Adopté
sous l’administration Clinton, l’Agoa a constitué un tournant majeur en
remplaçant partiellement l’aide par le commerce. En vingt-cinq ans, le
programme a permis la création de centaines de milliers d’emplois en Afrique
subsaharienne, notamment pour les femmes et les jeunes, dans des secteurs à
forte intensité de main-d’œuvre tels que le textile, l’agriculture et
l’agro-industrie.
En
2023, les importations américaines au titre de l’Agoa ont représenté près de 10
milliards de dollars. Aujourd’hui, l’accord pèse encore pour 65 % des
exportations africaines vers les États-Unis, illustrant la dépendance de
certaines économies africaines à ce régime préférentiel.
Des pays comme le Kenya, le Lesotho ou l’Eswatini ont bâti des filières industrielles entières grâce à l’Agoa, notamment dans le vêtement et la transformation agroalimentaire. Dans le cas du Lesotho, le secteur de l’habillement emploie 30 000 à 40 000 travailleurs, en grande majorité des femmes.
Répit entaché par le protectionnisme
La
prolongation de l’Agoa ne règle toutefois pas les difficultés immédiates
auxquelles font face les exportateurs africains. Depuis le printemps 2025,
l’administration Trump a imposé des tarifs réciproques allant de 10 % à 30 %
sur de nombreux produits, dont certains comme le thon en conserve ou l’habillement étaient auparavant entièrement exonérés de
droits de douane grâce à l’Agoa.
Ces
mesures protectionnistes sapent l’avantage compétitif que le régime
préférentiel avait garanti pendant deux décennies. Pour les entreprises
africaines, notamment dans le textile et l’agroalimentaire, l’augmentation
soudaine des droits de douane s’est traduite par une baisse des commandes et
des pertes d’emplois.
«
La prolongation d’un an est un soulagement, mais elle ne suffit pas à rétablir
la confiance », commente un économiste de la Conférence des Nations unies sur
le commerce et le développement (Cnuced), basée à Genève (Suisse). « Les
investissements dans les secteurs à forte valeur ajoutée nécessitent une
visibilité sur plusieurs années, pas des décisions prises au dernier moment. »
Impact inégal sur le continent
Les conséquences de cette incertitude sont très variables d’un pays à l’autre. Les exportateurs de matières premières, comme le Nigeria, l’Angola ou la République démocratique du Congo, sont relativement épargnés, car leurs principales exportations combustibles, minerais bénéficient déjà de droits faibles ou d’exemptions. En revanche, les économies diversifiées et les petits pays spécialisés dans le manufacturier léger, tels que le Lesotho, le Kenya, le Cap-Vert, Madagascar ou la Tanzanie, sont les plus vulnérables. Pour certains, la fin de l’Agoa aurait pu entraîner des hausses de droits moyens jusqu’à 20 %, doublant le coût d’accès au marché américain et menaçant des dizaines de milliers d’emplois. Ces écarts soulignent la fragilité d’un modèle de développement reposant sur un accès préférentiel à un seul marché.
Enjeu pour l’industrialisation et la lutte contre la pauvreté
L’Agoa
a longtemps été considéré comme un levier de diversification des exportations
et d’industrialisation, réduisant la dépendance du continent à l’égard des
matières premières. Sa disparition, même temporairement écartée, aurait risqué
de compromettre les efforts pour développer des chaînes de valeur locales,
freiner l’emploi féminin et creuser les inégalités.
L’exemple de Madagascar, qui avait perdu son éligibilité entre 2009 et 2015 après un coup d’État, reste un avertissement: des dizaines d’usines de confection avaient fermé et des milliers d’emplois avaient été détruits avant d’être partiellement recréés à la réadmission du pays dans le dispositif.
Pressions diplomatiques et incertitudes stratégiques
La
décision de la Maison-Blanche est intervenue sous le lobbying intensif de
dirigeants africains, notamment en marge de la récente Assemblée générale des
Nations unies à New York. Elle montre que Washington souhaite maintenir un
dialogue économique avec le continent, mais l’absence de perspectives à long
terme fragilise la relation.
Les économistes soulignent aussi que le contexte géopolitique complique la donne. La concurrence accrue de la Chine et de l’Union européenne pour accéder aux marchés africains pousse les pays du continent à diversifier leurs partenaires commerciaux. L’incertitude sur l’Agoa pourrait accélérer ce basculement. « Le message envoyé par les États-Unis est ambigu : ils prolongent l’accord, mais leurs politiques tarifaires vont à l’encontre de l’esprit du partenariat », analyse un expert africain du commerce international. « Cela oblige l’Afrique à repenser sa stratégie, notamment en misant davantage sur la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) pour réduire sa dépendance. »
Sursis à transformer en opportunité
La
prolongation d’un an de l’Agoa offre aux deux parties une fenêtre de
négociation cruciale. Les responsables africains espèrent qu’elle permettra
d’engager un dialogue de fond sur un partenariat plus durable et plus
équilibré, prenant en compte les besoins d’industrialisation et de montée en
gamme du continent.
Faute
d’accord structurel à plus long terme, la menace d’un retour en arrière
commercial persistera, pesant sur l’emploi et le développement dans des
secteurs clés et érodant la crédibilité des États-Unis comme partenaire de
croissance pour l’Afrique.
Catherine Fiankan-Bokonga
Donald Trump