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Travail des enfants: Des progrès notables, mais une mission loin d’être accomplie

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Philippe Vanhuynegem Philippe Vanhuynegem

Alors que le monde célèbre la Journée mondiale contre le travail des enfants le 12 juin, un nouveau rapport intitulé « Travail des enfants : estimations mondiales 2025, tendances et chemin à suivre », publié à cette occasion, rappelle que si des avancées importantes ont été réalisées, la route reste encore longue pour mettre fin à cette atteinte aux droits fondamentaux de l’enfant. La Nation a interviewé Philippe Vanhuynegem, Chef du service des principes et droits fondamentaux au travail à l’Organisation Internationale du Travail (Oit).

Par   Catherine Fiankan-Bokonga, Correspondante accréditée auprès de l’Office des Nations Unies à Genève (Suisse), le 12 juin 2025 à 08h56 Durée 3 min.
#Organisation internationale du travail (Oit) #Journée mondiale contre le travail

Tous les cinq ans, l’Oit effectue un point de la situation en matière de travail des enfants. Que retenir en 2025 ?

Selon les dernières données de l’Organisation Internationale du Travail (Oit), environ 138 millions d’enfants sont encore engagés dans le travail des enfants à travers le monde. Ce chiffre marque une amélioration significative par rapport aux 160 millions recensés en 2020 et aux 245 millions en 2000. Cette réduction de plus de 22 millions d’enfants au cours des quatre dernières années constitue une inversion bienvenue de la tendance inquiétante observée entre 2016 et 2020.

Malgré la tendance positive, il est évident que vous n’arriverez pas à éliminer totalement le travail des enfants cette année, comme cela avait été souhaité en 2015 ?

Effectivement, malgré ce progrès, la communauté internationale est loin d’avoir atteint l’objectif fixé d’éliminer le travail des enfants. C’est la mauvaise nouvelle ! Pour atteindre l’objectif fixé lors de l’élaboration des Objectifs du développement durable (Odd) en 2015, il faudrait être 11 fois plus rapide. Ainsi, le résultat recherché pourrait être obtenu en 2030.

Est-ce qu’au fil des ans, la proportion d’enfants au travail a changé ?

Malgré la croissance de la population plus de 230 millions d’enfants sont nés, ces dernières 24 années la proportion est en baisse. Ces deux dernières années en était à 1 enfant sur 10, actuellement un enfant sur 13 est au travail. On a donc à la fois une diminution du nombre absolu mais aussi du nombre proportionnel dans toutes les régions sauf en Afrique où on assiste à une stagnation qui correspond aux chiffres de 2012.

On constate donc des différences par rapport aux régions du monde !

L’Asie et le Pacifique se démarquent avec la plus forte baisse de la prévalence du travail des enfants : de 5,6 % à 3,1 %, soit une chute de 49 à 28 millions d’enfants depuis 2020. En Amérique latine et dans les Caraïbes, la diminution est plus modeste, avec une réduction de 8 % de la prévalence et de 11 % du nombre total d’enfants concernés. En revanche, l’Afrique subsaharienne continue de porter le fardeau le plus lourd, concentrant près des deux tiers des enfants victimes de cette forme d’exploitation – soit environ 87 millions. Bien que la prévalence y ait légèrement reculé de 23,9 % à 21,5 %, le nombre total d’enfants concernés est resté stable, freiné par une croissance démographique soutenue.

Quelle approche faut-il adopter pour accélérer le processus de diminution ?

La question du travail des enfants doit être systématiquement intégrée à la planification des politiques économiques et sociales : des cadres macroéconomiques jusqu’aux réformes du marché du travail, en passant par les stratégies sectorielles. Pour que les progrès soient durables, il faut mobiliser des ressources suffisantes, appliquer des politiques cohérentes et maintenir une volonté politique inébranlable. Toutes les conditions sont réunies pour réussir – il est temps d’agir !

Quel est le domaine le plus touché par le travail des enfants ?

L’agriculture demeure le principal secteur utilisateur de main-d’œuvre infantile, concentrant 61 % des cas, bien que cette proportion diminue à mesure que les enfants grandissent. Viennent ensuite les services (27 %) - incluant le travail domestique et la vente informelle - et l’industrie (13 %), avec des activités comme l’extraction minière et la fabrication.

La répartition par genre révèle également des disparités : les garçons sont plus fréquemment engagés dans des formes visibles de travail à mesure qu’ils avancent en âge, tandis que les filles, si l’on inclut les tâches domestiques non rémunérées, sont touchées dans une proportion légèrement supérieure. Parmi les 138 millions d’enfants concernés, 54 millions sont astreints à des travaux dangereux, mettant en péril leur santé, leur sécurité et leur développement.

Vous demeurez pourtant très optimiste

Les avancées récentes démontrent qu’il est possible de réduire efficacement le travail des enfants. Néanmoins, une intensification des efforts est indispensable pour transformer les progrès actuels en un mouvement durable et global. La protection de l’enfance est un indicateur fondamental du niveau de développement d’une société.

Avez-vous été affectés par les coupures budgétaires américaines ?

Pour être précis, 41 % des projets liés au travail des enfants et au travail forcé étaient financés par des fonds américains. C’est-à-dire que 40 % de notre budget de coopération technique a été coupé, mais nous avons encore 60 % financé par la Commission Européenne, les Pays-Bas, l’Allemagne, le Royaume Uni. La volonté de poursuivre l’action s’exprime aussi au niveau de l’Alliance 8.7, partenariat mondial multipartite lancé pour accélérer l’action visant à éradiquer le travail des enfants, le travail forcé, la traite des êtres humains et l’esclavage moderne, conformément à la cible 8.7 des Objectifs de développement durable (Odd) adoptés par les Nations Unies en 2015.

Quelle est la prochaine grande réunion prévue ?

C’est la 6ᵉ Conférence mondiale sur l’élimination du travail des enfants. Elle aura lieu au cours du deuxième trimestre de 2026, pour la première fois dans un pays arabe, le Maroc. La décision a été adoptée à l’unanimité par le Conseil d’administration de l’Organisation internationale du travail (Oit) en mars 2025. Cette conférence rassemblera des chefs d’État, des représentants d’organisations internationales, de la société civile, des employeurs et des syndicats pour évaluer les progrès accomplis depuis la conférence de Durban en 2022, et tracer une nouvelle feuille de route vers l’élimination complète du travail des enfants au-delà de 2030.

Catherine Fiankan-Bokonga