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Déploiement des marines à Los Angeles (juin 2025): Leçon pour l’Afrique démocratique

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Théodore C. Loko Théodore C. Loko

Le proverbe « À quelque chose malheur est bon » illustre l’idée qu’une situation critique peut révéler des ressources inattendues, ou produire des effets bénéfiques à long terme. À l’heure où les démocraties africaines sont soumises à de fortes tensions internes, crises électorales, centralisation excessive, faible indépendance institutionnelle, l’actualité américaine offre un cas d’école saisissant. 

Par   Théodore C. Loko, le 16 juin 2025 à 08h34 Durée 2 min.
#Tribune #Théodore C. LOKO

En juin 2025, l’administration Trump, revenant au pouvoir dans un climat social explosif, a ordonné le déploiement de troupes de Marines dans la ville de Los Angeles, officiellement pour « protéger les installations fédérales » face aux mouvements de contestation liés à la politique migratoire.

Cet acte a provoqué une série de réactions institutionnelles, judiciaires et politiques qui, au-delà des frontières des États-Unis, méritent l’attention des observateurs africains soucieux de démocratie et d’État de droit.

Ce déploiement inattendu, le plus important en temps de paix dans une ville américaine depuis les émeutes de 1992, a immédiatement suscité des oppositions vives de la part des autorités locales, du gouverneur de Californie, de juristes constitutionnalistes et même d’anciens hauts responsables militaires.

La mobilisation de quelque 700 Marines du 2 Bataillon de la 7 Division, sans coordination avec les services locaux, a été perçue par beaucoup comme une dérive autoritaire masquée sous le prétexte de sécurité.

Pourtant, c’est précisément cette tentative d'imposition du pouvoir fédéral qui a permis aux institutions démocratiques américaines d’exhiber leur robustesse. Cette résilience démocratique, face à la pression exécutive, offre plusieurs enseignements riches pour les États africains, souvent confrontés à des tentatives similaires de centralisation autoritaire.

D’abord, ce cas met en lumière l’importance capitale de l’indépendance des institutions dans une démocratie fonctionnelle.

Le refus exprimé par certains responsables civils et militaires de collaborer à l’initiative présidentielle n’est pas une insubordination, mais l’illustration de la séparation des pouvoirs et du devoir constitutionnel. Le Secrétaire à la Défense, bien qu’issu de la même majorité présidentielle, a expressément limité le rôle opérationnel des troupes, refusant toute intervention armée dans la gestion de l’ordre public. De même, la maire de Los Angeles et le gouverneur Gavin Newsom ont dénoncé une atteinte à la souveraineté californienne, soulignant que les forces locales disposaient de la compétence nécessaire pour encadrer les manifestations. Cette opposition n’aurait pas été possible sans une autonomie politique réelle des autorités locales, autonomie encore trop faible dans de nombreux pays africains où les collectivités territoriales dépendent du bon vouloir du pouvoir central.

Ensuite, il convient de souligner que le droit a joué un rôle de barrière efficace contre l’arbitraire.

Si l’administration Trump n’a pas osé invoquer l’Insurrection Act de 1807 qui aurait permis une militarisation ouverte des villes, c’est en raison du poids historique et juridique de cette loi, et du risque élevé de déclencher une crise institutionnelle majeure. Les avocats de l’État de Californie ont immédiatement saisi les juridictions compétentes, invoquant une violation de la Posse Comitatus Act, loi fondamentale interdisant l’usage de l’armée pour des fonctions civiles sans autorisation explicite. La rapidité de la réaction judiciaire, appuyée par la société civile, montre combien la solidité des mécanismes de recours est essentielle pour défendre l’État de droit en période de tension.

Par ailleurs, cette crise a permis de réaffirmer que la neutralité de l’armée dans la vie politique est un fondement non négociable d’une démocratie durable. En Afrique, l’armée est encore trop souvent utilisée comme une extension du pouvoir politique, voire comme une menace implicite contre l’opposition. Aux États-Unis, même dans un contexte de forte polarisation politique, les responsables militaires ont publiquement réaffirmé leur loyauté envers la Constitution plutôt qu’envers la figure présidentielle. Cette culture de neutralité, acquise sur le temps long, est une richesse institutionnelle que les démocraties africaines gagneraient à cultiver.

Enfin, l’épisode californien confirme l’importance des acteurs non étatiques comme les médias, les organisations de la société civile, les universités et les anciens responsables publics.

Leur prise de parole publique, leur capacité à documenter les événements et à mobiliser l’opinion ont constitué un rempart essentiel contre la banalisation de l’usage militaire.

En Afrique, la fragilité de l’espace civique compromet souvent cette capacité d’alerte. Pourtant, une démocratie vivante a besoin de citoyens actifs, de journalistes libres et d’universitaires capables de produire une parole critique, fondée et audible.

Ainsi, à travers cette crise née du déploiement inconstitutionnel de troupes fédérales, ce ne sont pas seulement les limites de l’exécutif américain qui ont été mises à l’épreuve, mais aussi la vigueur des mécanismes de résistance démocratique.

Les États africains, dont plusieurs sont confrontés à des tentations autoritaires, peuvent tirer une leçon centrale de cet épisode.

Ce n’est pas l’absence de crise qui fait la force d’une démocratie, mais la capacité des institutions à encadrer et canaliser les excès du pouvoir exécutif dans le respect du droit et de la liberté des citoyens.