La Nation Bénin...
Il arrive parfois qu’un peuple ait la chance rare de connaître, dans son histoire, deux dirigeants qui, chacun à sa manière, changent profondément son destin. Le Bénin, terre d’intelligence et de paix, a connu beaucoup de présidents, mais seuls deux noms reviennent toujours lorsqu’on évoque les grandes heures de la nation: Mathieu Kérékou et Patrice Talon. Deux hommes que tout semble opposer, mais que tout, en vérité, relie. L’un est le père de la réconciliation nationale, le sage qui a su transformer la crise en opportunité. L’autre est l’artisan de la modernisation et de la renaissance urbaine. L’un a sauvé le pays d’un naufrage politique ; l’autre l’a propulsé vers la dignité et la beauté. Tous deux, par des chemins différents, ont incarné le meilleur visage du Bénin : celui d’un peuple qui se relève toujours, fier, digne, travailleur et pacifique.
Evoquer Mathieu Kérékou, c’est évoquer près d’un demi-siècle de l’histoire du Bénin. Sa silhouette calme, sa sincérité, son sourire discret, sa foi inébranlable et son humilité légendaire ont marqué des générations entières. De son accession au pouvoir en 1972 à sa retraite définitive en 2006, il a traversé des époques tumultueuses, connu les tempêtes politiques, et laissé derrière lui un héritage de stabilité et de sagesse. Mais s’il reste dans la mémoire collective comme l’un des plus grands dirigeants africains du XXᵉ siècle, c’est surtout pour le geste historique qu’il posa en 1990, un geste qui changea à jamais le destin du Bénin. A cette époque, le pays, alors appelé République populaire du Bénin, traversait une crise économique et sociale d’une rare intensité. Les salaires n’étaient plus payés, les écoles et hôpitaux étaient paralysés, et la confiance du peuple envers le régime marxiste-léniniste s’effritait. Le climat était lourd, la tension palpable.
Et pourtant, au lieu de choisir la répression ou la fuite en avant, Mathieu Kérékou fit le choix du courage politique : il convoqua la Conférence nationale des forces vives, donnant la parole à toutes les composantes du pays: syndicats, partis politiques, églises, société civile, étudiants, intellectuels, militaires. Ce fut une première en Afrique. Cette conférence, qui s’ouvrit en février 1990 au Plm Alédjo à Cotonou, marqua la naissance de la démocratie béninoise. Devant la nation entière, Kérékou déclara qu’il acceptait les décisions du peuple souverain. Il accepta même la formation d’un gouvernement de transition et la rédaction d’une nouvelle Constitution.
Il faut imaginer la grandeur d’un tel geste : un chef d’État en exercice, maître absolu du pouvoir, qui accepte de se soumettre au verdict populaire. Là où tant d’autres s’accrochent au pouvoir, lui sut l’abandonner pour le bien de tous. Ce jour-là, Kérékou est devenu plus qu’un président : il est devenu un père pour la nation. En un seul acte, il a transformé une crise en renaissance, une colère en espoir, une dictature en démocratie. Et c’est ce courage-là, cette sagesse rare, qui a valu au Bénin le titre flatteur de “laboratoire de la démocratie en Afrique”.
Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Six ans plus tard, après une période de silence et de recul, le peuple le rappela. En 1996, Mathieu Kérékou revint au pouvoir par les urnes, dans une élection libre et transparente. Ce retour paisible, sans heurts ni rancune, prouva que la réconciliation nationale était réelle. Les Béninois, en votant pour lui, ne votaient pas pour le passé, mais pour la continuité d’un idéal de stabilité et de tolérance. Son second mandat fut marqué par une atmosphère de paix et de simplicité. Il gouverna sans arrogance, parlant peu, écoutant beaucoup. Son style contrastait avec celui de nombreux dirigeants africains : Kérékou ne cherchait ni à plaire, ni à dominer ; il cherchait à apaiser. C’est dans cette humilité que résidait sa grandeur.
Son héritage est immense : la paix sociale, la tolérance politique, la liberté d’expression, le respect des institutions et la stabilité nationale. Même ses adversaires lui reconnaissent cette vertu rare : avoir su placer l’intérêt du pays au-dessus de son propre pouvoir. En acceptant la conférence nationale, il a donné au Bénin son socle démocratique ; en revenant par les urnes, il a consolidé ce socle; en se retirant définitivement en 2006, il a montré que nul homme n’est indispensable, mais que les institutions le sont. Il ne faut donc pas se tromper : si le Bénin a pu traverser les décennies sans guerre civile ni coup d’État, c’est en grande partie grâce à l’esprit Kérékou : celui du dialogue, du pardon et du respect mutuel. C’est cet esprit-là qui a permis au pays de se tenir debout, uni, même dans les moments les plus incertains.
Puis est venu Patrice Talon, un homme au tempérament différent, mais animé d’une même passion pour le Bénin. Là où Kérékou incarnait la sagesse du père, Talon représente la détermination et la force du bâtisseur. Là où le premier a donné la paix, le second a donné l’autorité. Ensemble, ils forment les deux piliers de l’édifice béninois : la stabilité et la modernité.
Feu Gl Mathieu Kérékou et Patrice Talon