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L’école en territoire terrorisé: Bâtir l’avenir là où la peur règne

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Dr Kamel Arêo Garba Dr Kamel Arêo Garba

Depuis plusieurs années, le Sahel, le nord du Nigéria, certaines régions du Mozambique, du Cameroun, du Burkina Faso, du Mali et du Niger et plus récemment du Bénin sont devenus les symboles tragiques d’un phénomène brutal : la disparition progressive de l’école sous la pression du terrorisme. 

Par   Dr Kamel Arêo Garba, le 22 juil. 2025 à 07h25 Durée 3 min.
#éducation nationale

Là où l’on instruisait hier des enfants, on brûle aujourd’hui des cahiers. Là où l’on récitait l’alphabet, on fuit désormais sous les balles, des enlèvements, de la menace, de la peur et du meurtre quotidien.

Selon plusieurs données recoupées, des dizaines de milliers d’écoles sont aujourd’hui fermées en Afrique de l’Ouest et du Centre du fait de l’insécurité, affectant des millions d’enfants privés de leur droit fondamental à l’éducation. Mais au-delà de ces chiffres effarants, c’est un avenir que l’on met en péril : celui d’une génération abandonnée aux ténèbres de l’ignorance, de la violence et du désespoir.

Le déni silencieux d’un droit

Ce drame éducatif se déroule souvent dans l’indifférence relative des opinions publiques nationales, tant il s’inscrit dans une forme de normalité du chaos. Or, quand une école ferme à cause du terrorisme, c’est plus qu’un bâtiment qu’on perd : c’est un rempart de la République qui cède.

Le terrorisme, en s’attaquant à l’école, ne vise pas seulement un service public. Il combat une idée : celle d’un avenir éclairé, structuré, libéré de l’obscurantisme. C’est pourquoi l’école est devenue une cible stratégique. Elle incarne ce que ces groupes armés rejettent : la mixité, le savoir, la citoyenneté, l’émancipation des filles, la transmission d’une culture nationale.

Faut-il réinventer l’école sous les balles?

Face à cette menace persistante, l’État ne peut se contenter d’attendre le retour de la paix pour reconstruire. Il faut imaginer dès maintenant une école résiliente, mobile, adaptée aux contextes d’insécurité prolongée. Cela suppose d’innover :

Délocaliser l’école vers des zones refuges, tout en assurant la continuité pédagogique pour les déplacés ;

Déployer des enseignants volontaires formés à l’intervention en zones de crise, accompagnés psychologiquement ;

Utiliser les technologies (radios éducatives, tablettes préchargées, applications hors-ligne) pour continuer à enseigner même en l'absence d'infrastructures stables ;

Proposer des curriculums d'urgence centrés sur l’essentiel : lire, écrire, compter, comprendre, se protéger.

Mais surtout, il faut repolitiser l’éducation : la défendre non pas comme un service parmi d’autres, mais comme un acte de souveraineté, un front de résistance, un pilier de reconstruction.

L’oubli programmé des filles

Les filles sont les premières victimes silencieuses de la disparition de l’école dans les zones terrorisées. Déjà vulnérables dans les contextes normaux, elles sont encore plus exposées à la déscolarisation, au mariage précoce, à l’exploitation ou à la radicalisation lorsque les écoles ferment. Défendre l’école dans ces zones, c’est aussi défendre le droit des filles à exister dans la sphère publique, à parler, à apprendre, à aspirer à autre chose que la survie.

Ce que l’Afrique doit refuser

Nous devons collectivement refuser l’idée que certaines régions du continent soient définitivement condamnées à l’ignorance pour cause d’insécurité. Car renoncer à éduquer, c’est céder une victoire durable aux groupes extrémistes. L’école, même sous sa forme minimale, doit rester présente. Même fragile, elle constitue un point d’ancrage pour l’État, un symbole de continuité, une promesse de retour à la normalité.

Certes, il est naïf de penser que l’école suffira à éradiquer le terrorisme. Mais il serait tout aussi dangereux de croire que la victoire contre l’insécurité peut être durable sans investir massivement dans l’éducation, dans l’espoir, dans la dignité.

L’école comme réponse de long terme

L’Afrique ne vaincra pas le terrorisme seulement avec des armes, des drones ou des opérations militaires. Elle le vaincra en reconstruisant du sens, du lien social, de l’espoir. Et cela passe par l’école, même en territoire hostile. Il nous faut donc une diplomatie de l’éducation, un plaidoyer constant pour les enseignants menacés, un budget d’urgence pour maintenir les apprentissages là où l’on a peur d’apprendre.

Ce combat est difficile. Mais il est juste. Et il est vital. Car dans chaque cahier fermé par la violence, c’est une page de notre avenir commun qui se déchire.

sociologue et planificateur de l’éducation, enseignant-chercheur à l’Université d’Abomey-Calavi (Bénin) et consultant.