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Tribune: Il s'appelait Barthélemy Adoukonou Agonglo

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Feu Mgr Barthélemy Adoukonou Feu Mgr Barthélemy Adoukonou

Le lundi 27 octobre 2025, la Conférence épiscopale du Bénin annonça la disparition dans la nuit du dimanche 26 au lundi 27 octobre 2025 de Mgr Barthélemy Adoukonou. L’Eglise catholique béninoise, souligne la Conférence, pleure le départ d’un grand théologien, un pédagogue et homme de foi qui a consacré toute son existence au service de Dieu, de l'Église et de la culture. La Conférence épiscopale poursuit en affirmant que cet ancien Secrétaire du Conseil Pontifical pour la Culture a œuvré avec intelligence et passion pour le dialogue entre la foi et la raison, entre l'Évangile et les cultures africaines. Au niveau national et international, la nouvelle se répandit comme une traînée de poudre. Nous nous proposons dans cet article d’apporter une modeste réflexion sur quelques aspects de ce que fut la vie de cette grande figure du clergé catholique africain et de l’intelligentsia du continent noir. Cette réflexion s’articule en trois points. 

Par   Albéric Léandre Vignilé AGOLI-AGBO, le 12 nov. 2025 à 12h18 Durée 3 min.
#foi et gouvernance #Barthélemy Adoukonou

Barthélemy Adoukonou  est né à Abomey, le 24 août 1942, dans ce que l’on appelait alors la colonie du Dahomey. Il est ordonné vingt-quatre (24) ans plus tard, précisément  le 19 décembre 1966 prêtre. A Rome. De 1971 à 1977, il fit des études en théologie et en sociologie à Paris (France) et à Ratisbonne (Allemagne). Au terme de celles-ci, il obtint un doctorat sous la direction de Joseph Ratzinger, futur pape Benoît XVI.  De 1984 à 1988, il a préparé son doctorat d'État ès Lettres et Sciences Humaines, option sociologie à l’Université Paris-Descartes à Paris.

Le prêtre pionnier et chantre de l’inculturation

Que retenir du ministère pastoral du Père Adoukonou. Barthélémy Adoukonou fut avant tout, le pionnier et chantre de l’inculturation au Bénin et en Afrique de l’ouest. Et plusieurs raisons permettent de comprendre cet engagement pour l’inculturation. En effet, le combat d’Adoukonou pour un christianisme authentiquement africain s’enracine dans son adhésion aux convictions du savant sénégalais Alioune Diop,  qu’une véritable religion ne peut que s’ancrer dans les pratiques sociales et culturelles. Au dire de Mgr Adoukonou (2017), Diop a grandement contribué à la naissance et à l’élaboration au Bénin du mouvement africain d’inculturation dénommé en langue Fon du Bénin Mêwihwendo, c’est-à-dire la « culture de l’Homme Noir ». Mêwihwendo se traduit aussi par le « Sillon (de l’homme) Noir ». Ce mouvement travailla à l’introduction dans la liturgie, des langues nationales, des rythmes musicaux d’origine vodun comme le ”agbochebu”. Il initia une adaptation du rite funéraire en milieu Fon, dans l’Église catholique.

      En fait, c’est deux mois après le colloque de Cotonou (16 au 22 août  1970) organisé par la Société Africaine de Culture (Sac) dont Alioune Diop était l’une des chevilles ouvrières, sur le thème : Les religions traditionnelles africaines comme source de valeurs de civilisation, que « Sillon Noir» vit le jour, précisément le 19 octobre 1970.  Dans les conclusions de ce colloque, il est clairement martelé que ce sont les théologies occidentales, dans leur dimension impérialiste qui ont développé  l’exclusivisme et la satanisation des Religions traditionnelles africaines (Rta). Pour les communicateurs du colloque, les religions africaines sont monothéistes, et recherchent avant tout l’harmonie, l’équilibre foncièrement humaniste. Ces religions sont particulièrement tolérantes et inclusives selon les communicateurs. L’imaginaire religieux africain est fondé sur l’humanisation des lois naturelles. Le colloque recommanda  de proscrire les termes usités souvent pour les religions africaines. Il s’agit notamment de fétichisme, animisme,  totémisme, paganisme et ancestrisme. Ces concepts ne reflétant aucune réalité africaine. De telles conclusions s’inscrivaient dans la thèse du pasteur et théologien John S. Mbiti African Religions and Philosophy (1969) qui énonce que les Religions traditionnelles africaines ne sont pas démoniaques ni anti-chrétiennes. Les cultures africaines sont en phase avec les valeurs bibliques. Bien plus, les travaux de Jacob Mèdélawé Agossou publiés en 1987 et en 1977 confortèrent cette thèse pour ce qui concerne les religions traditionnelles du Bénin. Les valeurs culturelles et spirituelles portées par les religions traditionnelles béninoises attribuées au Dieu unique  ne sont pas contraires au  message chrétien.  Au demeurant, deux ans avant le colloque de Cotonou, lors de son voyage à Kampala, capitale de l’Ouganda en 1968, le pape Paul VI déclarait aux évêques africains : « vous pouvez et vous devez avoir un christianisme africain ».

Cela dit,  pour comprendre plus profondément l’engagement de Mgr Barthélemy Adoukonou pour l’inculturation, il est essentiel de prendre en compte ses origines familiales et sa terre natale. Prince aladaxonu, de la lignée Agonglo,  attaché à Abomey, sa contrée d’origine,  où il passa son enfance et une bonne partie de sa vie, Barthélemy Adoukonou était particulièrement passionné pour l’histoire des aladaxonu comme il me l’a confié à plusieurs reprises. Comme la plupart des Danxomènu, il était très attaché aux cérémonies, aux coutumes et aux us. Ces traditions marquent les populations, constituent des moments forts pour les unir, les relier à leurs ancêtres et exalter la puissance de leurs anciens monarques. Grâce au système et aux structures de conservation et de transmission de l’histoire du royaume et de sa culture qui étaient relativement plus solides durant son enfance, son adolescence et sa jeunesse, le Père Adoukonou a appris à lire le monde à travers cette tradition. Il a été marqué et même configuré par cette culture africaine. Il était passionné pour elle. Nos Ancêtres, me disait-il, ont construit une grande et belle civilisation.

  Barthélemy Adoukonou défendit donc l'idée selon laquelle la théologie africaine doit émaner de son anthropologie et le christianisme doit s'appuyer sur des références enracinées dans les cultures du terroir. L’inculturation consiste concrètement à imprimer l’Evangile dans les supports culturels africains locaux, afin de déconstruire la perception de l’Evangile vu comme étranger. « Il ne faut pas réduire l’universel à l’Occident», disait-il dans un entretien avec La Croix. Comme le théologien camerounais Hegba P. M.  Hegba (1995, p. 126) l'écrit judicieusement, il a compris que  « Toute théologie, en effet, est située dans un espace, une époque, une culture, une ethnie, une tradition, une langue, une idéologie. Elle est nécessairement estampillée, marquée, tout comme le théologien qui la met en forme». La théologie occidentale ne saurait par conséquent s’arroger, comme elle le faisait, le statut de théologie éternelle ou theologia perennis. Au reste, pour Adoukonou, il y a des convergences profondes entre le monde de la Bible et le monde africain. Nous parlons par images, par symboles, disait-il. Le langage de la Bible est un langage symbolique ; de même comme en Afrique, il y a un sens de la parenté, de la solidarité et de la totalité. Au surplus, Adoukonou était persuadé que l’Afrique, le berceau de l’humanité, n’était pas une terre à convertir, mais un terreau spirituel riche où la Parole de Dieu devait se révéler en profondeur aux Hommes. Lorsqu’il fut nommé Secrétaire du Conseil pontifical pour la culture le 3 décembre 2009, premier Africain à ce poste, il déclara: « Avec ma nomination, un pas en avant a été fait dans la reconnaissance de la théologie africaine comme expression de la foi qui se fait culture » (L’Osservatore Romano le 26 février 2010).  En octobre 2011, Adoukonou a été nommé évêque par le pape Benoit XVI.  Il occupa le poste de Secrétaire du Conseil pontifical pour la culture jusqu’en août  2017.

 Comme le prêtre, théologien, sociologue et anthropologue camerounais Jean Marc Ela, Barthélémy Adoukonou a compris que la version occidentale du christianisme ne permet pas l’incarnation de l’Evangile en Afrique. Il a compris également comme ce dernier, qu’il fallait délatiniser l’Eglise. Autrement dit, s’affranchir du joug des traditions et des institutions du christianisme occidental, qui parfois infantilise et déresponsabilise.

Barthélemy Adoukonou  ne fut pas uniquement pionnier et chantre de l’inculturation, c’était aussi un intellectuel immense et d’exception.

L’intellectuel immense et d’exception

Barthélemy Adoukonou était un professeur, formateur et conseiller écouté. Il s’est investi corps et âme dans la formation de plusieurs générations de prêtres, de religieux, d’intellectuels et de laïcs, tant au Bénin qu’à l’étranger. Il les a inspirés. Il a notamment enseigné la théologie, la sociologie, l’anthropologie et la méthodologie de recherche en sciences humaines et sociales. Il a été successivement professeur au petit séminaire Sainte-Jeanne d'Arc de Ouidah (1967-1968) et au collège P. Aupiais de Cotonou (1968- 1970). Il a enseigné également à l'Université d'Abomey-Calavi, à l'Université Catholique de l'Afrique de l'Ouest,  au Grand séminaire Saint-Gall de Ouidah et à l’Institut Pontifical Jean Paul II.

Il a occupé des responsabilités au niveau académique. Ainsi,  de 1977 à 1984, il a été recteur du petit séminaire Saint-Paul de Djimé, à Abomey. De 1988 à 1999, il a été recteur du séminaire propédeutique du Bénin, à Missérété (Porto Novo). Il a été membre de la Commission Théologique Internationale de 1986 à 1997. Il a publié plusieurs travaux, dont La mort dans la vie africaine, Jalons pour une théologie africaine et Grammaire et sémantique de la violence : le cas du Vodun béninois (Thèse d’État) Barthélémy Adoukonou  était profondément  conscient que nos pensées, en partie, de même que nos mentalités et même parfois nos sentiments étaient largement  des fabrications d’un système culturel, social, politique, économique, qui les a conditionnés. Et aussi longtemps que nous nous laisserons nourrir par cette épistémologie colonisée, ces savoirs piégés par une vision déformante, méprisante et raciste européenne, l’entreprise d’inculturation rencontrera beaucoup d’obstacles.  Barthélémy Adoukonou dévoila ce qu’il appelait l’hybris culturel, c’est-à-dire la « démesure », l’orgueil culturel occidental qui s’érige en norme. Les mêmes problématiques s’expriment de différentes manières selon les cultures.

Avec son mouvement « Sillon Noir », le Professeur Adoukonou se consacra à l’étude anthropologique de la culture Fon (Sud-Bénin) pour sa rencontre féconde avec l’Évangile avec notamment des universitaires, de jeunes et d’anciens convertis au christianisme et sachants des cultures qu’il désignait par « intellectuels communautaires». Il a promu aussi le dialogue interreligieux, la justice et la paix. Comme le père Jean-Marc Ela, il s’est insurgé contre toute forme de pensée unique, il a refusé tout embrigadement dans un système qui ne laisse pas la liberté de s'épanouir et de se développer. Au sujet de Barthélémy Adoukonou, S Sempore (2004, p. 170) écrit à juste titre : « Le premier en Afrique de l’Ouest, Adoukonou a conçu un style de pensée et un mouvement d’inculturation impliquant activement les diverses composantes de la société et de l’Église ; le premier, il a lancé une école de recherche et d’application autour d’une vision et d’une méthodologie particulières». En plus de l’intellectuel immense et d’exception, Mgr Adoukonou fut un grand prince de la dynastie des houégbadjavi.

Le grand prince de la dynastie des houégbadjavi issu de la lignée du roi Agonglo

 Prince de la dynastie des houégbadjavi issu de la lignée du roi Agonglo, Barthélémy Adoukonou était très attaché à sa terre natale et à la famille royale d’Abomey. En effet, il prenait une part active aux célébrations des rois dans le cas notamment des différents centenaires. Pour le bicentenaire de la mort du roi Agonglo, en 1997, dont il est un des descendants, il initia la restauration du Palais du roi. Le Père Adoukonou n’était pas uniquement théologien, sociologue et anthropologue, c’était aussi un grand connaisseur de l’histoire du royaume du Danxomè.

De nos échanges sur cette histoire, trois fixations émergent. La première a trait au fait que pour Adoukonou, les monarques du Danxomè furent tous de grands leaders, évidemment, à divers degrés. Pour le prélat, contrairement au regard du colonisateur qui ne voyait à travers les souverains du Danxomè que des leaders autocratiques, des rois « sauvages et sanguinaires » au pouvoir sans limite, les monarques du Danxomè, de Houégbadja à Agoli-Agbo, y compris Adandozan, furent tous, sans exception de grands dirigeants. En fait, la vision de tous les rois d’Abomey a été de : « Faire du Danxomè, un Etat toujours plus grand et plus prospère » (J. Alladayè et C. Vodouhè, 1994, p. 4). Cette vision était la première des quarante-et-une (41) lois de Houégbadja. De plus, dans la réalité, même si les rois avaient des prérogatives très importantes, leur pouvoir était encadré. Ils étaient astreints à respecter les lois du royaume. Le pouvoir royal était aussi décentralisé. Par ailleurs, pour éviter un orgueil excessif du roi, promouvoir son humilité et faire de lui le représentant de tout le peuple, seuls les princes dont la mère n’était pas princesse du royaume pouvaient prétendre accéder au trône. Le roi avait donc une double origine : populaire et princière. A cela, il faut ajouter que le gouvernement était composé de ministres qui n’étaient pas au départ des princes de sang. Avec l’avènement du roi Guézo, cette tradition va prendre fin ou plus exactement subir une mutation majeure. En effet,  pour remercier ses frères qui l’ont soutenu pour renverser le roi Adandozan et accéder au trône, Guézo va les associer à la gestion du pouvoir d’Etat en nommant certains d’entre eux ministres. Ses successeurs vont maintenir cette nouvelle pratique.

La deuxième fixation pour Mgr Adoukonou est qu’il n’y avait pas d’alternative à la résistance pour les aladaxonu face à l’agression française et les trois derniers du Danxomè furent tous résistants. Mgr Adoukonou martèle souvent que tous les rois du Danxomè eurent pour première mission sacrée de sauvegarder l’intégrité territoriale du royaume. Et c’est dans cette perspective qu’il faut comprendre le refus de Glèlè de céder Cotonou aux Français. Son fils Béhanzin opposa le même refus. Il mena la guerre pour la patrie de ses Ancêtres.  Avec Agoli-Agbo, la résistance s’est poursuivie.  Et Jean Pliya le dit bien pour Adoukonou : « Si, pour les Français, la résistance de Béhanzin a pris fin, l'on a bien vu qu'avec Agoli-Agbo elle a continué, par fidélité à la mission reçue et par souci de sauver les bases de restauration de la tradition officielle du Royaume ».

La troisième et dernière fixation de Mgr Adoukonou porte sur les profondes relations entre les royaumes des Mahi et ceux de Kétou et Savé avec le royaume du Danxomè. Tout en soutenant les travaux de Charles de Lespinay (1994) qui montrent que les Gun, les Aïzo, les Fon, les Mahi sont issus du métissage entre les Adja et les Yoruba, installés, entre les XIIIe et XVe siècles au sud du Bénin, il soutient que les royaumes yoruba de Savè et de Kétou et royaumes mahi de Savalou sont des royaumes qui entretiennent des liens profonds et étroits avec le royaume du Danxomè. Les reines mères et de grandes personnalités du Danxomè sont originaires de ces royaumes. Des populations entières de ces royaumes se sont déplacées vers le Danxomè et le Danxomè leur doit certaines déités.

Au total, que pouvons-nous retenir du patriarche, du pasteur, du professeur et du prince d’Abomey Barthélemy Adoukonou ? Les réflexions et les actions  de cet homme intrépide, ce penseur incisif nous laisse le témoignage de ce que peuvent faire l’esprit critique et le courage de la vérité. Son enseignement, sa sagesse et son profond amour pour Dieu et l'Église ont marqué des générations de prêtres, de religieux, d'intellectuels et de laïcs. Barthélemy Adoukonou prouva par sa vie, comme lui-même le disait que l’avenir appartient aux non-conformistes disciplinés. A ceux qui comme lui sont habités par le souci de promouvoir en Afrique un christianisme biblique et authentique, entre autres, dans le milieu évangélique, le théologien et pasteur baptiste Ahoga Cossi Augustin, il laisse ce mot « Continuez le combat, persévérez car il n’y a pas d’alternative à la vérité et à l’authenticité ».

Expert en leadership de transformation, Dr en Sociologue des organisations et de la gouvernance et Chercheur en Histoire contemporaine