La Nation Bénin...
Repensée comme valeur universelle et dignité collective,
la démocratie se libère de ses oripeaux technocratiques pour retrouver sa
vocation fondatrice : permettre aux peuples de se gouverner librement, dans le
respect de leur humanité partagée. À l’heure où les fondements de la démocratie
vacillent sous le poids de la défiance citoyenne, de l'instrumentalisation
institutionnelle et de la globalisation marchande, il devient nécessaire de
revisiter en profondeur le sens même de la démocratie.
À l’heure où les fondements de la démocratie vacillent
sous le poids de la défiance citoyenne, de l'instrumentalisation institutionnelle
et de la globalisation marchande, il devient nécessaire de revisiter en
profondeur le sens même de la démocratie. Non plus comme un simple mécanisme
électoral ou une norme institutionnelle imposée, mais comme une éthique du
vivre-ensemble enracinée dans l’expérience humaine de la liberté, de la dignité
et de la justice.
C’est dans cette optique que s’ouvre une double exigence
intellectuelle et politique : réhabiliter la démocratie comme valeur
universelle d’une part, et reconnaître les apports africains à cette valeur
d’autre part.
Ce double mouvement suppose de sortir d’un universalisme
abstrait et d’un particularisme résigné, pour faire droit à la pluralité des
trajectoires démocratiques dans l’histoire humaine.
D’abord, il devient urgent de repenser la démocratie non seulement comme régime politique, mais comme valeur éthique universelle et chemin de dignité collective.
Urgence de repenser la démocratie
L’expérience contemporaine montre que la démocratie ne
peut se réduire à une architecture institutionnelle ; elle est indissociable
d’une anthropologie de la reconnaissance mutuelle. Emmanuel Levinas, dans
Totalité et Infini, affirmait déjà que la justice commence par la
reconnaissance du visage de l’autre. De même, Paul Ricoeur insistait sur le
fait que la démocratie n’est pas simplement une procédure mais une pratique
narrative de la réciprocité, nourrie par la mémoire, la responsabilité et la
promesse. Dans cette perspective, la démocratie n’est pas un produit
d’exportation de l’Occident moderne, mais une exigence universelle inscrite
dans la quête humaine de sens et de communauté. Elle prend racine dans une
volonté de surmonter la violence par la parole, d’organiser le pouvoir non
comme domination, mais comme service.
Cette redéfinition éthique implique de voir la démocratie
comme un "chemin de dignité collective" : elle est d’abord un
processus de co-humanisation, un espace où les individus apprennent à être
sujets ensemble. Le philosophe sénégalais Souleymane Bachir Diagne rappelle
dans En quête d’Afrique(s) que la démocratie est un apprentissage de la
pluralité, et non une simple addition d’opinions. Il s’agit d’une pédagogie
civique, fondée sur la construction lente et exigeante de cultures politiques
fondées sur la confiance, la délibération et le respect. Dès lors, le véritable
enjeu démocratique est moins dans les urnes que dans les consciences, moins
dans le droit que dans l’éthique de la parole partagée. Cette conscience
politique, nourrie de mémoire et d’espérance, permet aux peuples de refuser
l’humiliation, l’exclusion ou l’indifférence, pour se penser comme coauteurs de
leur histoire.
Valoriser les apports africains
Dans cette lumière, une deuxième nécessité s’impose :
celle de valoriser les apports africains à la démocratie, non comme simples
répliques d’un modèle occidental, mais comme formes historiques et symboliques
de co-création du politique.
L’histoire africaine précoloniale témoigne en effet de riches traditions politiques, où le dialogue, la participation communautaire et la justice sociale occupaient une place centrale. Le sociologue Georges Balandier a souligné que les chefferies africaines traditionnelles, loin d’être des formes de pouvoir absolu, étaient encadrées par des contre-pouvoirs symboliques, religieux ou populaires. La palabre, dans de nombreuses sociétés, était une institution délibérative où l’on ne décidait qu’après avoir épuisé toutes les paroles, révélant une profonde confiance dans la force du langage comme outil de pacification.
L’historien Joseph Ki-Zerbo, dans À quand l’Afrique ?
insistait pour sa part sur le fait que l’Afrique ne part pas de zéro en matière
de démocratie : elle dispose de ressources endogènes, de philosophies du
consensus, de sagesse politique à redécouvrir et réinterpréter à l’aune des
défis contemporains. Il ne s’agit pas d’idéaliser un passé souvent marqué aussi
par des hiérarchies, mais de reconnaître dans ces expériences des matrices
possibles d’une démocratie enracinée, dialogique et communautaire. Le politologue
Achille Mbembe appelle à dépasser la vision coloniale qui a
"dépolitisé" l’Afrique, pour affirmer une modernité africaine capable
de penser la liberté, non pas en rupture avec les traditions, mais en
continuité critique avec elles.
Par conséquent, reconnaître ces apports, c’est non seulement restaurer la mémoire des peuples africains, mais aussi élargir notre compréhension globale de la démocratie comme patrimoine commun de l’humanité. Une démocratie mondiale, réellement inclusive, ne pourra s’inventer que dans la reconnaissance de ces pluralités constitutives, dans l’ouverture à des conceptions diverses de la liberté, de l’autorité et du bien commun.
Conclusion
Repensée comme valeur universelle et dignité collective,
la démocratie se libère de ses oripeaux technocratiques pour retrouver sa
vocation fondatrice: permettre aux peuples de se gouverner librement, dans le
respect de leur humanité partagée.
Cette vocation appelle aujourd’hui un geste intellectuel
et politique fort: reconnaître les traditions africaines comme des sources
authentiques de démocratie, capables d’enrichir le débat mondial sur les formes
du pouvoir juste et du vivre-ensemble. Il ne s’agit pas d’intégrer l’Afrique
dans un modèle prédéfini, mais de faire de l’expérience africaine une partie
intégrante du dialogue démocratique mondial.
En ce sens, le véritable avenir de la démocratie sera pluriel ou ne sera pas.
Enseignant-chercheur