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L’histoire entre l’Église d’Angleterre et l’Église catholique romaine est l’une des plus marquantes de la chrétienté occidentale, faite à la fois de ruptures douloureuses, de méfiance durable et de gestes de réconciliation.
L’histoire entre l’Église d’Angleterre et l’Église catholique romaine s’enracine dans un événement fondateur du XVI? siècle, lorsque le roi Henri VIII, en désaccord avec le pape Clément VII sur la question de l’annulation de son mariage avec Catherine d’Aragon, décide en 1534 de rompre les liens avec Rome. Ce geste, d’apparence politique et personnelle, allait profondément transformer le paysage religieux et social de l’Angleterre, donnant naissance à l’Église d’Angleterre, dont le souverain devint le chef suprême à la place du pape. La promulgation de l’Acte de suprématie marqua ainsi l’émancipation du pouvoir anglais face à l’autorité pontificale et institua une nouvelle forme de chrétienté, enracinée dans la culture et la souveraineté britanniques.
Cette rupture, d’abord circonscrite à un conflit institutionnel, eut des conséquences considérables. Elle engendra des siècles de méfiance, de persécutions et de clivages entre catholiques et anglicans.
Des siècles de méfiance, de persécutions et de clivages entre Catholiques et Anglicans
Dans l’Angleterre des Tudor et des Stuart, être catholique devint un signe de dissidence politique; on suspectait la loyauté des fidèles de Rome envers leur roi. Les guerres de religion, les révoltes, les exécutions et les exclusions civiques marquèrent la mémoire collective, consolidant une identité nationale souvent définie par contraste avec le catholicisme.
Les catholiques furent longtemps privés de droits civiques pleins : il fallut attendre le XIX? siècle, avec le Roman Catholic Relief Act de 1829, pour qu’ils puissent de nouveau siéger au Parlement et exercer certaines fonctions publiques. L’Angleterre, autrefois fille aînée du christianisme latin, s’était durablement éloignée de Rome.
Cependant, la séparation ne supprima pas la dimension chrétienne commune aux deux traditions. La liturgie anglicane, élaborée notamment dans le Book of Common Prayer, conserva des éléments de la spiritualité catholique, et de nombreux théologiens anglicans continuèrent à puiser dans les Pères de l’Église et la tradition ancienne.
Au fil des siècles, malgré les divergences doctrinales sur le rôle du pape, la nature des sacrements ou le célibat des prêtres, des voix se firent entendre pour prôner la réconciliation.
Ce n’est véritablement qu’au XX? siècle, dans un climat d’ouverture né du concile Vatican II et du renouveau œcuménique mondial, que les relations entre les deux Églises commencèrent à se réchauffer. Le dialogue anglican-catholique prit alors un tour institutionnel : des commissions bilatérales furent créées, des textes doctrinaux discutés, et des rencontres fraternelles organisées entre archevêques de Cantorbéry et papes successifs. L’objectif n’était pas de revenir à une union formelle, mais de redécouvrir les fondements communs de la foi chrétienne.
Ces efforts n’effacèrent pas pour autant les divergences persistantes. La question de l’autorité du pape, perçue différemment des deux côtés, demeure un point de tension, de même que celle de l’ordination des femmes ou du mariage des prêtres. Pourtant, à mesure que le monde se sécularisait et que les défis moraux et sociaux s’accumulaient, les deux Églises comprirent la nécessité de collaborer sur des sujets concrets : la paix, la justice, l’écologie, la dignité humaine. Cette coopération dans l’action précéda souvent l’unité doctrinale. Elle s’appuya sur une conviction partagée : l’Évangile a encore une voix à faire entendre dans les sociétés modernes, à condition que les chrétiens ne se déchirent plus en héritiers de querelles anciennes. Ainsi, d’un conflit séculaire est née, lentement mais sûrement, une fraternité prudente.
Une fraternité prudente
C’est dans ce contexte de lente réconciliation qu’il faut comprendre la portée de la visite du roi Charles III au Vatican le 23 octobre 2025. Jamais, depuis la Réforme, un souverain britannique n’avait prié publiquement aux côtés d’un pape. L’événement, d’une charge symbolique immense, s’est déroulé dans un climat de respect et d’ouverture, mêlant la solennité des gestes anciens à la simplicité fraternelle d’une rencontre spirituelle.
Accompagné de la reine Camilla, le roi a été reçu en audience par le pape Léon XIV avant de participer à une célébration œcuménique dans la chapelle Sixtine, lieu emblématique de la foi et de l’art catholique. Ensemble, ils ont prié pour la paix, la création et la fraternité entre les peuples. À leurs côtés, des chœurs anglicans et catholiques ont chanté des hymnes issus des deux traditions, donnant à cette liturgie une portée universelle.
Le geste dépasse la diplomatie protocolaire. Il exprime une volonté de dialogue profond entre deux héritages qui, bien qu’issus de la même source évangélique, avaient longtemps cheminé dans des directions opposées. Charles III, en tant que Supreme Governor de l’Église d’Angleterre, porte en lui la mémoire d’un royaume façonné par la séparation d’avec Rome ; mais il incarne aussi une monarchie moderne, consciente que la foi ne peut être confinée à une seule confession. Le pape Léon XIV, de son côté, s’inscrit dans la ligne des pontifes du dialogue, de Jean XXIII à François, persuadés que l’unité des chrétiens n’est pas une nostalgie médiévale, mais un impératif évangélique: « Pour qu’ils soient un ». Ainsi, la rencontre du 23 octobre 2025 a eu la valeur d’un signe prophétique: non une union institutionnelle, mais une communion spirituelle dans la prière et le témoignage.
Le contenu de la visite a renforcé cette symbolique. Outre l’audience papale, le roi a été honoré d’un titre inédit, celui de « Royal Confrater » à la basilique Saint-Paul-hors-les-Murs, l’un des quatre grands sanctuaires de Rome. Ce titre, purement honorifique, ne modifie en rien la structure hiérarchique des Églises ; il exprime plutôt la reconnaissance d’une fraternité royale et chrétienne. Dans son discours, le roi a rappelé que les valeurs du Royaume-Uni, fondées sur la liberté de conscience et le service du bien commun, trouvent leur source dans l’Évangile.
La patience de Dieu dans l'histoire
Le pape, répondant avec émotion, a salué « la patience de Dieu dans l’histoire » : cinq siècles après la rupture, les fils séparés du même baptême se retrouvent pour prier ensemble. La reine Camilla, quant à elle, a rencontré des religieuses engagées dans des œuvres d’éducation et de santé, soulignant la place essentielle de la compassion et du soin dans la mission chrétienne.
Cette visite s’inscrit dans un moment particulier pour l’Europe et le monde. Les crises sociales, écologiques et spirituelles appellent à une réponse commune des croyants. Le roi Charles, fidèle à son engagement en faveur de la sauvegarde de la planète, a trouvé en Léon XIV un interlocuteur sensible à la même cause : la création comme don de Dieu à protéger.
Ensemble, ils ont évoqué la possibilité d’initiatives conjointes entre institutions catholiques et anglicanes pour promouvoir une écologie intégrale, inspirée de la doctrine sociale de l’Église et des valeurs éthiques partagées. Ce terrain d’entente illustre combien l’unité peut se construire à partir de la responsabilité commune envers la maison commune, avant même que les débats théologiques trouvent leur résolution.
Au-delà du symbole religieux, cette rencontre a aussi une dimension diplomatique. Dans un monde fragmenté, le Saint-Siège demeure un acteur d’influence morale et diplomatique majeur, et le Royaume-Uni post-Brexit cherche à renforcer sa présence sur la scène internationale en s’appuyant sur des partenariats spirituels et humanitaires. Le dialogue entre Londres et le Vatican ne se limite donc pas à la foi ; il s’étend à la paix, à la migration, aux droits humains. Le roi, en se rendant à Rome, a voulu affirmer que la monarchie britannique reste porteuse de valeurs universelles, capables de transcender les frontières confessionnelles. La papauté, quant à elle, y voit un signe d’espérance : si la plus ancienne monarchie protestante et le centre du catholicisme peuvent se parler fraternellement, alors d’autres divisions chrétiennes peuvent, elles aussi, s’atténuer.
La signification spirituelle de cet événement n’échappe pas non plus au regard des fidèles.
Pour beaucoup, voir le successeur d’Henri VIII s’incliner devant le successeur de saint Pierre est un geste chargé de mémoire et d’humilité. Il rappelle que les blessures de l’histoire peuvent se cicatriser par la prière et la reconnaissance mutuelle. Les chrétiens des deux confessions, longtemps séparés par des préjugés et des polémiques, découvrent qu’ils partagent une même Parole, un même baptême, une même espérance. La prière commune dans la chapelle Sixtine, lieu où tant de papes ont été élus, devient ainsi une métaphore du souffle de l’Esprit qui dépasse les institutions et rassemble les cœurs.
Certes, cette visite ne supprime pas les différences doctrinales: l’autorité du pape, la compréhension des sacrements, l’ordination des femmes ou le mariage des prêtres restent des sujets de divergence. Mais elle ouvre un espace nouveau : celui du témoignage partagé.
Dans un monde sécularisé où la foi tend à se marginaliser, le fait que des responsables spirituels et politiques de traditions distinctes se rencontrent pour prier et agir ensemble témoigne d’une volonté de servir le bien commun avant toute revendication identitaire.
L’œcuménisme, dans cette perspective, n’est pas la recherche d’une uniformité, mais la reconnaissance d’une fraternité dans la diversité.
Les observateurs ont noté que ce rapprochement s’inscrivait aussi dans une stratégie plus large du roi Charles III, qui souhaite faire de son règne un symbole d’unité et de dialogue.
Conscient du pluralisme religieux de son royaume, il entend incarner une foi ouverte, respectueuse et universelle. Sa rencontre avec le pape Léon XIV illustre cette volonté de dépassement. Pour le pape, cette rencontre confirme la pertinence de l’ouverture conciliaire : l’Église catholique, loin de s’enfermer dans un triomphalisme passé, s’affirme comme un lieu de rencontre et de fraternité. Tous deux, dans des rôles différents, rappellent que la foi chrétienne ne se mesure pas à la séparation mais à la communion, non à la domination mais au service.
Ainsi, le 23 octobre 2025 restera une date marquante dans l’histoire religieuse contemporaine. Cinq siècles après la fracture d’Henri VIII, le geste du roi Charles III au Vatican représente un tournant symbolique : non la fin d’une division, mais le début d’une ère nouvelle où la mémoire du passé se conjugue avec la promesse de l’avenir. Le chemin de la réconciliation n’est pas encore achevé, mais il progresse, lentement, porté par la conviction que la vérité et la charité ne s’opposent pas. Le pape et le roi, chacun selon sa mission, ont montré qu’au-delà des doctrines, l’essentiel demeure : servir Dieu en servant la paix. Et dans ce monde fragmenté, ce simple acte de prière commune vaut déjà comme un message universel : la foi, lorsqu’elle se fait humble et fraternelle, peut encore rassembler ce que l’histoire avait séparé?
*Enseignant-chercheur
Théodore C. Loko