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Charmant Rovinis Ouidodjiché au sujet de son essai sur la cyberarnaque

Société
Par   Christian HOUNONGBE, le 12 juil. 2022 à 14h36
  « C’est un ouvrage qui contribuera à la lutte corsée contre le phénomène » L’ouvrage intitulé : « Jeunesse ouest-africaine et cyberarnaque : un dévoiement incoercible ? » est la contribution du juge Charmant Rovinis Ouidodjiché à la lutte contre la cybercriminalité au Bénin et dans la sous-région ouest-africaine en vue de sensibiliser et conscientiser la jeunesse prise à l’appât du gain facile. Parti de constats et statistiques alarmants, le magistrat expose dans son premier essai la genèse, le mode opératoire et les conséquences de ce phénomène qui prend de l'ampleur en dépit des efforts de lutte consentis. La Nation : Vous avez publié votre premier essai sur la cyberarnaque au Bénin et dans la sous-région ouest-africaine. Qu’est-ce qui vous a motivé à sortir cet ouvrage ? Charmant Rovinis Ouidodjiché : Certains faits, réalités sociales et statistiques nous ont amené à réfléchir sur cette problématique souvent peu évoquée et à la circonscrire dans le cadre ouest-africain. D’abord, nous nous sommes rendu compte que le phénomène est grandissant. Ce n’est pas parce qu’il n’y a plus de crimes rituels et de disparition d’enfants comme on le notait par le passé qu’il faut penser que la cybercriminalité, et donc la cyberarnaque a régressé. Les cyberarnaqueurs ou «Gayman » sont toujours en activité et de jeunes gens sont de plus en plus enrôlés. Ensuite, nous avons exploité les fruits de nos recherches sur les infractions économiques et financières dans le cadre de notre formation à l’ex-Ecole nationale d’Administration et de Magistrature (Enam), notamment certaines données statistiques recueillies auprès d’institutions et offices en charge de la lutte contre la cybercriminalité dans notre pays mais aussi à l’échelle internationale (IC3, Interpol, etc.). Ces statistiques alarmantes qui nous ont conduit à faire le lien avec les réalités sociales et constats faits. Enfin, nous avons tenu compte du fait que les pays de l’Afrique de l’Ouest comme le Nigeria, la Côte d’Ivoire, le Bénin, le Togo et autres sont fréquemment cités comme étant des ‘’nids de cyberarnaqueurs’’pour affiner notre analyse. Quelles sont la structuration de cet ouvrage et les thématiques abordées ? C’est un ouvrage de 102 pages édité par la maison d’édition française Jet d’Encre. Il est subdivisé en plusieurs titres à savoir : la genèse de la cyberarnaque dans la sous-région, les causes de la persistance du phénomène, son ampleur et les procédés, les bénéfices générés par la cyberarnaque et leur blanchiment, l’impact économique et social et enfin les pistes de solutions. La substance de l’entretien que nous avons eu avec le directeur de l’Office central de répression de la cybercriminalité achève l’œuvre. Il faut dire qu’il ne s’agit pas d’un essai destiné seulement aux professionnels du droit. C’est un ouvrage destiné au plus grand nombre de Béninois et de populations ouest-africaines et ayant vocation à leur permettre de comprendre véritablement le phénomène, de le percevoir autrement au travers de ses manifestations, des risques encourus par les cyberdélinquants, des obligations leur incombant dans le cadre de la lutte et des moyens et stratégies à mettre en œuvre pour l’endiguer. Selon vous, quelles sont les causes du phénomène ? Plusieurs raisons expliquent ce phénomène. Des statistiques indiquent que, dans la plupart des pays de l’Afrique de l’ouest, ce sont de jeunes chômeurs qui ont majoritairement recours à cette pratique. A côté du chômage, il y a le sous-emploi. Les universités déversent des milliers de diplômés sur le marché chaque année, mais il n’y a pas autant d’emplois qui se créent. Ces jeunes s’occupent donc autrement, négativement malheureusement. Le paradoxe est que parfois des personnes qui ont un emploi y ont également recours. Celles-là estiment que leurs salaires ne sont pas consistants et qu’il faut les arrondir en spoliant leurs semblables. Hormis cela, il y a que certaines personnes aident, encouragent les cyberarnaqueurs et profitent des bénéfices que procure la cyberarnaque. La dénonciation de ces délinquants n’est donc plus systématique, et on note de plus en plus une sorte de tolérance et de laxisme. D’autres personnes justifient également le phénomène par des considérations historiques en faisant le parallèle avec l’esclavage et la colonisation par lesquels l’Afrique a été considérablement pillée. Il s’agit donc pour ces gens d’une aubaine pour rendre aux Occidentaux la monnaie de leur pièce. Tout bien considéré, le déclin de l’éducation, la perte ou l’ignorance des valeurs et principes de vie devant la quête de l’argent facile, l’immatérialité du cyberespace, l’adaptation constante des cyberarnaqueurs aux mécanismes de lutte sont autant de facteurs qui favorisent le fléau. Que pensez-vous de la lutte que mène le gouvernement contre ce phénomène au Bénin ? C’est un travail louable qui se fait actuellement au Bénin avec les différentes structures, institutions et juridiction installées dans le cadre de cette lutte à savoir l’Office central de répression de la cybercriminalité (Ocrc) en étroite collaboration avec l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi), la Cellule nationale de traitement des informations financières (Centif) et la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (Criet) et bien d’autres. Mais tous ces jeunes cyberarnaqueurs savent qu’il y a des structures qui luttent contre le phénomène ; ils ne capitulent pas pour autant. La lutte devra donc être corsée et devenir une affaire de tous. Chacun jouera sa partition pour que le cyberespace soit davantage sécurisé. En quoi ce livre peut accompagner le combat du gouvernement contre ce phénomène ? Cet essai se veut un outil de sensibilisation et de conscientisation en vue d’une éradication durable du fléau. Je crois fermement qu’il apportera sa touche au renforcement de la lutte et à l’endiguement de cet égarement de la jeunesse. C’est un ouvrage qui contribuera à une lutte corsée contre le phénomène au Bénin. Face à l’ampleur du fléau, quels sont vos conseils pour enrayer ce phénomène au Bénin ? L’éducation des parents est la chose la plus importante. Il faut éduquer les enfants afin qu’ils sachent que seul le travail dur, sincère, sérieux et soutenu procure la satisfaction matérielle et libère l’homme. Il faut ensuite sensibiliser davantage les uns et les autres, car tout le monde peut être victime de cyberarnaque. La dénonciation systématique des cyberarnaqueurs par les populations, leur incarcération, leur dépossession des ressources générées par l’infraction et le suivi en vue de leur réinsertion sociale sont autant de pistes à explorer si on tient à juguler ce mal. Que dire pour conclure ? Il faut que ce dévoiement qui paraît incoercible ne le soit pas. Il faut qu’on arrive à arrêter la saignée. Nous avons la ferme conviction que des efforts supplémentaires seront faits afin que ces jeunes ouest-africains rebroussent chemin pour devenir de vrais créateurs de richesses pour leurs pays. C’est un sentiment d’espoir qui m’anime donc quant à l’éradication de ce phénomène au Bénin et dans la sous-région?