La Nation Bénin...
Fines cicatrices raciales sur les joues, teint noir, traits réguliers, taille et forme athlétiques, elle est charmante, Jeanne Vitofodji dite Tanyinvou, la jeune femme qui a comparu devant la Cour d’assises, vendredi 13 mars dernier, pour répondre du crime de coups mortels. Placée sous mandat de dépôt depuis le 22 octobre 2010, elle est jugée vendredi dernier, date considérée comme fatidique par nombre de superstitieux, quel va être son sort, elle qui est défendue par l’ancien Bâtonnier de l’Ordre des avocats du Bénin, Arthur Ballé ? L’audience est prise par le président de la Cour d’appel lui-même, Félix Dossa. Avec Saturnin Avognon et Michelle Carrena Adossou (assesseurs) puis les jurés Bernardin Narcisse Marcos, Kuessi Antoine Hossou, Yves Landry Akuesson, Kouton Raphaël Ahlonsou et Martin Gbèmènou (suppléant), ils devaient démêler l’écheveau pour comprendre ce qu’il s’est passé ce jour-là et rendre justice. Cyriaque Edouard Dossa étant l’avocat général, le greffier Christophe Tchéou assurait la mémoire de l’audience.
«Au quartier Dowa Gbago à Porto-Novo, dames Jeanne Vitofodji dite Tanyinvou et Bernadette Yéhoumè sont voisines, vivant chacune avec son mari. Dame Célestine Danvognanou met à contribution son amie Bernadette Yéhoumè pour mieux combattre sa coépouse Jeanne Vitofodji. De médisances en querelles vaines, une première bagarre oppose Jeanne et Bernadette le lundi 18 octobre 2010. Dans la matinée du 19 octobre, Jeanne, en allant chercher des rames de palmier dans la brousse, marque un arrêt chez le meunier du quartier à qui elle narre ses antécédents avec Bernadette. Voici qu’apparaît celle-ci pendant que Jeanne parlait d’elle, venant retirer sa farine de maïs au moulin. L'ayant surpris parlant d’elle, une nouvelle dispute éclate entre les deux dames, qui dégénère en une bagarre au cours de laquelle, Jeanne, se sentant menacée par son adversaire, sort un couteau de son panier et poignarde au-dessus du sein gauche Bernadette, qui rend l’âme par suite d’une hémorragie.
Il ressort de l’autopsie du corps réalisée par Dr Clément Padonou, médecin légiste, que les coups portés sur Bernadette par Jeanne ont laissé au niveau du cœur, une plaie à bord net de 4cm de la pointe du cœur dans le ventricule gauche, responsable d’une hémorragie cataclysmique, cause du décès. Inculpée de coups mortels, Jeanne reconnaît les faits mis à sa charge mais soutient qu’elle n’avait pas l’intention de lui donner la mort. Elle prétend n’avoir fait que se défendre contre l’attaque de la victime. Seul témoin des faits, Brigitte Agossou affirme que c’est au moment où elle allait prendre son enfant que Jeanne a fait usage du couteau en poignardant Bernadette qui, par la suite, a rendu l’âme. Selon l’expertise, l’accusée ne présentait aucun trouble mental grave au moment des faits. Le bulletin N°1 de son casier judiciaire ne porte trace d’aucune condamnation. »
Comment est-ce arrivé ?
24 ans au moment des faits, Jeanne semble quelque peu intimidée de se retrouver à la barre. Mais quand la parole lui échoit pour s’expliquer sur les faits mis à sa charge, elle parle énergiquement. Elle explique que c’est la victime qui, la première, l’a prise à partie, l’a menacée et tenue par le collet. C’est donc par instinct de préservation qu’elle s’est saisie du couteau qui se trouvait dans le panier qu’elle portait pour y entasser ses rames de palmier, aux fins de se défendre. Ayant réussi à desserrer ainsi l’étreinte de son adversaire, elle poursuivait son chemin quand la clameur publique lui fit comprendre que la suite était dramatique. Elle se réfugia alors dans une église…
Quatre témoins déposeront à la barre. Le premier, Paulin Gandji, le meunier dont la femme tient le moulin pendant que lui-même s’occupe de son commerce au bord de la grande voie, raconte avoir été appelé en catastrophe par sa femme, l’informant de la bagarre.
Une fois sur les lieux, il dit avoir vu le corps ensanglanté, étendu au sol. Son épouse, Brigitte Agossou, meunière de service ce jour-là et témoin oculaire des faits, précise que c’est le lundi 18 octobre que la victime lui déposa son maïs à moudre mais ne revint pas chercher la farine. C’est le lendemain mardi qu’elle revint et, voyant Jeanne, se mit à l’injurier. Eclata alors la dispute qui vit Bernadette gifler Jeanne, laquelle ripostera en la poignardant avec un couteau qu’elle sortit de son pantalon ; Bernadette allant ensuite se saisir d’une bassine de maïs pour en renverser le contenu sur Jeanne, avant de sortir s’affaler sur le sol… Mais Brigitte dit penser que l’intensité de cette bagarre ne nécessitait pas le recours au couteau. Des réponses à des questions dont la formulation, telle que faite par le ministère public, ne convient pas à Me Arthur Ballé qui pense qu’on a voulu faire jouer au témoin un rôle qui n’est pas le sien. Un témoin qui confirme que Jeanne était bien la première chez elle ce matin-là, se plaignant de Bernadette qui arriva et s’en prit à elle. Etienne Kouton, le mari de Jeanne, n’est vraiment pas au fait des événements. Quant à Célestine Danvognanou, sa coépouse, sa déposition permet d’apprendre que Bernadette en voulait à Jeanne et menaçait de la frapper.
Faut-il la condamner ?
Suite à ces dépositions, quel doit être le sort de Jeanne ? Pour l’avocat général, Cyriaque Edouard Dossa, la vie est sacrée et consacrée. Invoquant de nombreux faits de coups mortels sanctionnés par diverses décisions de justice, il juge criminelle l’attitude de Jeanne qui, d’après lui, aura en plus laissé à l’humiliation la dépouille de sa victime. Selon lui, seules la folie et la méchanceté sont à l’origine de tels actes. Retenant que les coups portés ont bien eu pour effet de donner la mort à Bernadette puisque l’autopsie établit un lien de causalité entre les coups reçus et la mort, même si Jeanne n’en avait pas l’intention. Aussi requiert-il qu’elle soit retenue dans les liens de la prévention et, en conséquence, condamné celle que son propre époux qualifie de «nerveuse» à l’enquête préliminaire, à une peine de dix ans de travaux forcés.
On s’en doute, au regard de la teneur des débats, ce n’est pas l’avis de l’avocat de Jeanne. Me Arthur Ballé retient que si sa cliente a bien porté des coups à la victime, le témoin principal, Brigitte Agossou, renseigne bien que c’est la défunte qui aura provoqué sa cliente.
Aussi, plaide-t-il que la sanction ne soit pas aussi lourde que l’envisage l’avocat général. A l’appui de sa plaidoirie, il engage la cour à ne pas s’attarder sur le caractère nerveux que le ministère public prête à sa cliente, car ce n’est pas ce qui est sanctionné par les textes. Mieux, c’est pour se soulager de sa peine de la veille que Jeanne serait passée voir Brigitte la meunière, démarche hautement humaine, normale et compréhensive, assure la défense. Ce qui n’est pas le cas de la victime qui, après avoir soumis la veille, Jeanne à sa colère, promettait de la corriger. C’est tout ceci qui aurait favorisé l’explosion de colère de Jeanne, car l’injure comme la gifle, sont autant de casus belli. Et, précisant bien que le couteau est pour Jeanne un outil de travail, il dit comprendre qu’elle ait pu y faire recours dans ces circonstances parce que le portait déjà. Au demeurant, enseigne Me Arthur Ballé, la personnalité ne doit pas servir à accuser mais à comprendre la personne en cause. Au total, Arthur Ballé plaide pour une application très douce de la loi, convaincu que sans cette gifle, il n’y aurait pas eu usage de couteau, lequel usage ne visait même pas à donner la mort.
Répliquant à la défense, l’avocat général invoquera une certaine sanction divine à venir pour l’accusée, pour justifier que les 10 ans de travaux forcés requis sont pratiquement insignifiants ; rapportés aussi aux conséquences générées par son acte. De quoi faire bondir Me Arthur Ballé qui appelle à tenir Dieu loin du prétoire.
Après délibération, la cour déclare Jeanne coupable de coups mortels et la condamne à la peine de cinq ans de travaux forcés et au paiement des frais de justice. Dans sept mois, elle sera de nouveau une femme libre…