La Nation Bénin...

Activité d’appoint pour quelques agriculteurs, l’apiculture connaît un regain d’intérêt ces dernières années, passant de la forme de cueillette à une forme améliorée. Cependant, elle reste confrontée à des obstacles tels que la faible productivité, la déforestation, les feux de brousse, l’emploi abusif des pesticides. Pendant que la demande en produits des abeilles tels que le miel, la cire et la propolis ne cesse de croître, l’offre est faible et la qualité, parfois douteuse. En l’absence d’une politique nationale de développement de la filière, les acteurs se débrouillent vaille que vaille pour faire rayonner un secteur qui requiert une grande technicité et des moyens conséquents.
Immersion dans un secteur d’activité rentable à fort potentiel de création d’emplois et de richesse mais encore peu exploité.
AYaoui, commune de Ouessè, département des Collines à 330 km de Cotonou au bord de la voie inter-Etats n°2 (axe Cotonou-Parakou), se dresse majestueuse, la miellerie «Ruche des Collines (Rdc)». L’air enjoué, Alphonse Worou dit « Ancien», le propriétaire des lieux, nous accueille dans le hall du bâtiment où des photographies et des dessins forcent l’admiration. Il s’agit d’une exposition permanente dénommée «Ruches de l’espoir: Impacts d’aujourd’hui et de demain », réalisée par les « Arts tissent» en partenariat avec le programme Bénin entreprendre solidaire avec son territoire (B’est) mené par Solidarité Entreprise Nord-Sud (Sens) et le Groupement intercommunal des Collines (Gic). Elle relate les exploits du fondateur et de ses associés dans les ruchers.
Le quinquagénaire remarquable sur plusieurs gravures s’inscrit dans une démarche innovante « Entreprendre solidaire avec son territoire » expérimentée depuis 2009 dans les Collines et qui concilie finalité sociale et viabilité économique dans le souci d’améliorer les conditions des personnes vulnérables. L’entreprise solidaire « Ruche des Collines » laisse découvrir une autre culture entrepreneuriale centrée sur l’apiculture.
Pour planter le décor, le fondateur réitère une assertion inscrite sur l’une des œuvres exposées : « Les abeilles, c’est ma vie. On se connaît mieux, elles et moi ».« L’apiculture, c’est une production naturelle à coût réduit qui aide les gens à sortir de la pauvreté», enchaîne Alphonse Worou. Conscient de cela, dès les années 2000, il s’est consacré à la formation des paysans de Ouessè, sa commune natale, et ceux de la zone de la forêt classée Tchaourou-Toui-Kilibo et d’ailleurs.
C’est pour impulser une nouvelle dynamique à la filière apicole qu’il décide d’installer la coopérative qui regroupe soixante apiculteurs, avec pour leitmotiv : « le développement économique rural de la commune de Ouèssè ». En fait, c’étaient des représentants de 60 familles de six villages de Ouèssè (Gbédé, Kèmon, Idouya, Botti, Yaoui, Agboro), soit dix par village, précise-t-il. Avec des domaines de 100 ha attribués par des têtes couronnées dans ces villages, la coopérative connaîtra son apogée. Fort de la rentabilité du secteur, l’homme fait un emprunt d’un montant de 19 millions F Cfa. Quelque 600 ruches ont été fabriquées et des accoutrements y associés ont été acquis avec ce financement, soit dix ruches pour chaque apiculteur au niveau de ce qu’il a appelé les « tontines ».
Une randonnée dans l’un de ses propres ruchers : le centre Opè-Oluwa créé en mars 2002 puis dans son champ de cajou permet de se rendre compte de toute la puissance apicole que dégage cet agriculteur distingué à plusieurs reprises: prix «Entreprendre Best of 2015 Zou-Collines-Borgou-Alibori », prix Entreprendre Ensemble obtenu en décembre 2011 à Paris où il a été célébré comme le troisième producteur mondial.
Au centre Opè-Oluwa à quelque cinq kilomètres de la miellerie à Yaoui, la plaque à l’entrée mentionne l’interdiction de la chasse au fusil, des bruits assourdissants, du pâturage des bœufs et autres fréquentations sans autorisation. L’apiculteur a également pris soin d’encadrer le rucher avec trois rangées de barbelés. Sur le site de 18ha au milieu des collines, sont disséminées 24 ruches dont 22 ruches kenyanes et deux ruches artificielles en jarre sous les plants de vène (Pterocarpus erinaceus) communément appelé Cosso en langue locale. « Il n’y a pas de ruches de moins de 100 000 abeilles ici», affirme-t-il, tout fier.
Un producteur spécialisé
Un peu plus loin, sur un champ de 11 ha dont il a hérité, s’étend sa plantation de cajou (Anacardium occidentale). Des dizaines de ruches posées sur des bouteilles recyclées ou des pierres sont présentes sur cet espace reboisé. En fait, plus de 50 ha au total sont reboisés depuis 2010 sous la direction d’Alphonse Worou qui possède une demi-dizaine de ruchers à titre personnel.
Le producteur s’est spécialisé désormais dans ce qu’il appelle « l’apiculture spécifique » qui fait référence à la plantation d’arbres dominante dans le milieu de la ruche. Il produit essentiellement du miel Cosso, du miel Cajou, du miel Neem; ce qui confère au miel des arômes et des goûts différents et certainement des vertus diverses. Des sous-produits apicoles tels que la cire utilisée dans les cosmétiques ou encore la propolis dont les vertus antimicrobiennes sont exaltées, sortent également des ruches. La cire est vendue entre 800 F Cfa et 1000 F Cfa le kilogramme avec un coût de production de moins de 150 F Cfa.
Au niveau de la coopérative, les apiculteurs, sous sa coupole, ne sont aujourd’hui que de 35 « tontines », suite à des projets qui ont pris en compte des membres. Néanmoins, Alphonse Worou reste un maître incontesté de l’apiculture dans les Collines, lui qui forme, suit les apiculteurs et leur achète du miel dans les localités de Savè, Savalou, Dassa et autres. Il a initié un consortium d’apiculteurs du département pour vendre le label « Ruche des Collines » dont fait partie le Rucher école de Savalou du sieur Raïmi Soumanou, apiculteur et formateur. Ce diplômé en sociologie s’est engagé depuis une dizaine d’années dans l’apiculture et se bat pour faire connaître le miel de Savalou dans tout le Bénin et au-delà, investissant dans la formation mais aussi dans l’équipement des associations d’apiculteurs pour accroître la production communale de miel de qualité.
La qualité est assurée mais le consortium « Ruche des Collines » est loin de tenir le pari de la quantité et ainsi de répondre à toutes les sollicitations. « Tenez, un opérateur des Pays-Bas vient de demander un conteneur de 45 pieds de miel ! Un opérateur nigérian veut qu’on lui livre 1500 kg de miel par semaine. Je ne peux pas trouver et ça me fait mal », regrette Alphonse Worou.
En fait, la demande annuelle nationale de miel est d’environ 150 000 tonnes, celle du Nigeria voisin est estimée à environ 385 000 tonnes l’an et l’Union européenne a un besoin du miel béninois estimé à 200 000 tonnes l’an, à en croire Sarki Yantannou, président de la Plateforme nationale des acteurs de la filière apicole (Pnafa-Bénin).Toutes choses qui témoignent de ce que la production locale reste largement en deçà de la demande sur les marchés national et international.
Autres localités, autres réalités
Dans la commune de Tchaourou, la plus vaste du Bénin avec 7256 km2, des milliers d’arbres, d’arbustes et d’herbes qui s’étendent à perte de vue sont des sources de pollen gaspillées. En Afrique en général et au Bénin en particulier, les plantes sont majoritairement mellifères, surtout l’anacardier, le baobab, l’acacia, le palmier, le rônier, les agrumes, l’eucalyptus, le teck, le manguier et autres plantes saisonnières.
L’importance de la filière dans la lutte contre la pauvreté est peu ou mal connue; beaucoup d’agriculteurs ignorent les techniques apicoles et ou manquent de moyens financiers pour s’adonner à l’apiculture. C’est ce qu’a compris le Grand Est Solidarités et Coopérations pour le Développement (Gescod) qui sort du cadre général de l’agriculture qu’il appuie pour s’intéresser spécifiquement à l’apiculture au niveau de la forêt sacrée de Kpessou Samari. En plus de Kpessou Samari, deux autres villages à savoir Agbassa et Sinahou sont concernés par le projet qui prend en compte autant de femmes que d’hommes. Ils sont initiés à la fabrication de ruches en ciment capables de résister aux feux de brousse, aux termites et évitent de couper les bois, et à la technique de production avant l’installation de ces petites usines de fabrication de miel dans leurs champs.
Ces paysans n’ont pas eu la même chance que ceux de la coopérative apicole Suru-Léré de Papané dans la même commune. Ici, une miellerie est construite à grands frais, des équipements dont des tricycles, pour le transport des produits de la ruche, sont offerts dans le cadre du Projet de développement de l’accès à l’énergie (Daem) et du Projet de fourniture de services d’énergie (Pfse). Le projet Daem exécuté par la direction de l’Energie dans les départements des Collines et du Borgou a permis de former et d’équiper plus de 400 apiculteurs, de distribuer plus de 8 000 ruches et de construire et d’équiper 24 mielleries.
Chacun des 20 apiculteurs de la coopérative Suru-Léré a reçu 20 ruches de 17000 F Cfa. Plus de 80 millions F Cfa ont été injectés dans ce village qui a bénéficié par la même occasion d’une pompe à motricité humaine. Pour la petite récolte du mois de novembre, les apiculteurs étaient à deux bidons de 25 litres et 7 seaux 20 litres, soit à peu près de 200 litres de miel ; mais la récolte n’est pas encore finie, informe Iyoko Soulé, un des coopérateurs. En réalité, la grande partie de la production est assurée par une femme : Hortense Awé. « Grâce à cette activité, j’aide mon mari à assurer les besoins de la famille et surtout la scolarité des enfants», confie cette revendeuse qui s’essaie à l’apiculture.
La coopérative a pu former elle-même cinq autres apiculteurs, ce qui fait au total 25 apiculteurs dont neuf femmes. Cette légère avancée cache le manque d’entrain pour l’apiculture qui peine à prendre comme cela se doit, fait savoir le formateur Sarki Yantannou. Par exemple, fait-il remarquer, la miellerie érigée pour être gardée propre et garantir la propreté du miel n’est pas exploitée. Les membres de la coopérative évoluent dans la zone forestière Tchaourou-Toui-Kilibo et y exerçaient une forte pression, à la recherche du bois-énergie. Le projet visait donc à améliorer leur productivité du cajou, du miel et autres pour détourner les villageois de la coupe anarchique des bois. Ils devraient même utiliser la pomme de cajou pour faire de l’éthanol et utiliser l’éthanol pour faire le feu. Hélas !
Le meilleur producteur de la coopérative, c’était un lépreux: Victor A., un sexagénaire qui croupit aujourd’hui sous le poids de l’âge. Les autres membres n’accordent pas toute l’attention nécessaire à cette activité. Effet de groupe ou paresse ? Toujours est-il que les membres de la coopérative évoquent comme arguments les vols de miel et le vandalisme des ruches. En 2016, quatre Peuls transhumants ont été arrêtés, conduits au tribunal de Parakou puis relâchés par la suite, rappelle Iyoko Soulé, membre de la coopérative.
Alors que la production du miel traîne encore faute de suivi régulier et d’entretien de ruches, les membres de la coopérative sollicitent plutôt des formations pour la fabrication de savons de beauté, de pommades à base des produits de la ruche. Curieusement, les quatre ciréficateurs solaires sont délaissés ; le dispositif de deux d’entre eux est carrément hors d’usage. Avec moins de 5000 F Cfa, ils auraient pu être réparés, reconnaissent-ils.
Ailleurs, c’est pire : plus de 600 millions ont été investis et la plupart des ruches sont cassées pour un problème de dosage de ciment et un manque de volonté des acteurs, déplore M. Yantannou?
Une innovation pour suppléer les ruches existantes
La ruche dite « kenyane » est la vedette des ruches dans la plupart des ruchers des Collines, du Borgou et de l’Alibori. Faite sous forme de cave en ciment surmontée de traverses de bois, des lattes qui permettent de piéger et d’apprivoiser les essaims d’abeilles, et chapeautée par une toiture en tôle, elle paraît plus adaptée au climat du Bénin et aux abeilles africaines en général. Mais le modèle de la ruche kenyane est de plus en plus décrié, parce qu’elle peut être attaquée facilement par les parasites. « La ruche kenyane utilisée ici ne se ferme pas bien et laisse passer des parasites comme le varroa destructeur et la fausse teigne qui déciment les colonies d'abeilles », signale Mathieu Igari Korogoné, apiculteur à Dokossouan, arrondissement de Toura, commune de Banikoara. Il préconise qu’on change ce matériel de production ou à défaut, l’améliorer. « La forme plaît bien à nos abeilles mais il faut revoir le système de fermeture (le couvercle) pour éviter que les parasites s’attaquent à elles », insiste-t-il.
En général, le coût d’une ruche kenyane tourne autour de 20 000 F Cfa (Il varie de 17 000 à 35 000 F Cfa). Ce qui constitue un frein à tous ceux qui désirent se lancer dans l’activité apicole sans l’appui d’un projet étatique ou d’une Ong.
Heureusement, Alphonse Worou vient de trouver une solution palliative à ce problème : il s’agit des ruches en jarre comme dans certains milieux au bon vieux temps mais améliorées. « C’est facile pour quelqu’un qui n’a pas l’argent d’installer les ruches en jarre. Avec 2000 F Cfa, il a déjà une ruche ». « C’est ce que nos parents faisaient que j’ai modernisé en y ajoutant la technologie que j’ai apprise lors de ma formation ici et en France », explique-t-il. Maîtrisant le système de production des abeilles, il a marqué des indicateurs en blanc et fait trois trous sur la face latérale de la jarre en séparant les loges de la reine, de la ponte et des besoins des abeilles. « A la dernière récolte, j’ai trouvé plus de 60 litres de miel dans cette seule ruche qui peut faire des années si cela ne casse pas », assure l’apiculteur montrant fièrement son innovation. Créatif, il fait aussi des ruches avec la bouse de vache ou à base de termitière mélangée à de la paille pour leur conférer un caractère résistant?