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La démocratie comme auto-institution de la société: Ambassadeur Théodore C. LOKO (à la retraite) Docteur en Droit public, Enseignant-chercheur

Société
Ambassadeur Théodore C. LOKO (à la retraite) Docteur en Droit public, Enseignant-chercheur Ambassadeur Théodore C. LOKO (à la retraite) Docteur en Droit public, Enseignant-chercheur

La formule « Démocratie comme auto institution de la société » est de Cornélius Castoriadis. Elle désigne le processus de construction par elle-même d’une société authentiquement démocratique.


Par   LA REDACTION, le 16 août 2023 à 09h19 Durée 3 min.
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Historiquement, l’exigence d'autonomie chez cet auteur se manifeste d'abord par un refus: refus de la société existante, la société « capitaliste » qui non seulement prive la plupart des individus d'une autonomie réelle, mais encore se révèle profondément « inhumaine » (le terme revient fréquemment). L'exigence d'autonomie prend donc la forme d'une exigence révolutionnaire, celle de transformer la société existante, et elle s'investit au début, tout naturellement, dans le mouvement qui se trouve alors porteur d'un projet révolutionnaire  à savoir le mouvement ouvrier en lutte pour l'instauration du socialisme. De nos jours, il semble que l’histoire se répète. 
Trois exemples pour illustrer cet état de choses : Le sens des choses (l’abécédaire de la démocratie), les expériences africaines et les itinéraires au service du bien commun. 

L’abécédaire de la démocratie

La démocratie peut être comprise de deux façons : elle est à la fois un ensemble d’institutions, de procédures, mais aussi, dans un sens plus sociétal, une communauté d’individus reconnus comme égaux. Il existe une différence entre les sociétés anciennes, qui étaient des sociétés de corps (le tiers état, le clergé, la noblesse), et les sociétés modernes d’individus. 
Dans l’ancien régime, le groupe, c’est-à-dire une structure collective très hiérarchisée, dont l’organisation se fonde sur un référent extérieur tel que la tradition ou une religion, est valorisé. L’individu ne peut aspirer qu’à trouver sa place, parfois très subordonnée, dans cette hiérarchie.
 À l’inverse, dans une société des individus existe une demande de respect, de considération. Les places peuvent être discutées et mobiles. On peut donc considérer qu’une première histoire de la culture démocratique suit cette épopée sociologique ou anthropologique de la naissance de l’individu.
L’histoire de la démocratie d’un point de vue plus institutionnel et procédural s’inscrit dans le souci de mettre en forme une souveraineté collective; elle est par ailleurs celle de la construction d’une société d’individus. Si cette dernière est fondée sur la valorisation de la singularité de chacun, sur le respect, l’écoute de la parole de l’autre, elle ne peut s’appuyer sur le référent extérieur des sociétés anciennes. La société doit s’organiser elle-même: ainsi naît la notion de souveraineté collective. La deuxième histoire de la démocratie est donc celle des conditions dans lesquelles cette souveraineté collective peut se mettre en forme. 

Les expériences africaines

« La démocratie est le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple. » L’actualité de cette assertion de l’ancien président américain Abraham Lincoln (1809-1865) n’est plus à démontrer, tant elle transparaît dans la plupart des discours politiques en Afrique.
Malgré cela, nombreux sont les pays africains qui ont été épinglés et mis au ban de la communauté internationale pour déficit démocratique né d’interminables crises politiques. En effet, la communauté internationale qui était originellement permissive sur la gestion politique des États a fait désormais de la légitimité démocratique une condition de reconnaissance des gouvernements. De nombreuses crises d’ordre politique, social, économique et institutionnel ont abouti à des révolutions ou soulèvements populaires, à des rébellions et, pire encore, à des coups d’État militaires. Les séries de coups d’État, formes décriées d’accessions antidémocratiques au pouvoir, mais malheureusement prisées des pays africains majoritairement francophones, ont jalonné l’histoire de ces pays depuis leur accession à la souveraineté internationale.
Le président américain Barack Obama, au Ghana en 2010, lors d’une visite officielle, disait: « L’Afrique, au lieu d’avoir des hommes forts, doit avoir des institutions fortes. » Cela étant, par rapport au conflit d’intérêts, la nécessité de choisir des personnes de bonne volonté pour animer ces institutions est également primordiale. Il faudra mettre fin au manque d’indépendance de certaines institutions et aux contraintes de nature économique, financière, sociale, suscitant la désaffection des citoyens. Par ailleurs, l’histoire récente exige l’établissement d’une gestion participative en faisant la promotion de la démocratie locale par la décentralisation effective, en passant par l’organisation d’élections libres, fiables et transparentes avec l’organisation, au niveau des partis politiques, des élections primaires. Il y a surtout lieu de travailler à l’instauration d’une culture de l’alternance, un principe sacro-saint de la démocratie, de prévoir un statut de l’opposition et d’oser aller vers une bipolarisation de la vie politique qui aura pour avantage d’éliminer les nombreux partis politiques à caractère tribaliste, sans assise nationale, voire sans idéologie politique claire et dirigés par des individus guidés par des intérêts inavoués.

Les itinéraires au service du bien commun

La démocratie est structurellement inachevée, dit Pierre Rosanvallon. Il ne suffit pas de créer des conseils de quartiers pour réenchanter la démocratie. Celle-ci suppose la prise en compte de l’opinion de tous ; c’est pourquoi elle repose sur un équilibre fragile et ne peut progresser qu’en se complexifiant. 
Dans la démocratie, Pierre Rosanvallon voit d'abord l'enchevêtrement historique d'un désenchantement et d'une indétermination. Celle-ci s'enracine dans un système complexe d'équivoques et de tensions qui structurent dès l'origine la modernité politique.
Dans la contre-démocratie, Pierre Rosanvallon s'efforce de donner des clefs d'analyse pour comprendre les récentes transformations de la démocratie. Au-delà de la fragilisation de la politique institutionnalisée que traduit la désaffection électorale, il observe l'émergence d'une activité qu'il nomme «contre-démocratique». Elle se traduit par une expansion du contrôle, de la surveillance, de la pression exercée par des citoyens finalement plus actifs qu'on ne le pensait. Pierre Rosanvallon définit ce phénomène nouveau dans les sociétés démocratique comme "l'ensemble des pratiques de surveillance, d'empêchement et de jugement au travers desquelles la société exerce des pouvoirs de correction et de pression". Elle illustre l'érosion du rapport de confiance entre gouvernants et gouvernés, symptomatique d'une crise politique profonde.
Cette «contre démocratie» implique ainsi d'abord une volonté de contrôler les représentants et de les contraindre à respecter leurs engagements (surveillance). Elle induit ensuite que les citoyens peuvent obliger les gouvernants à renoncer à certains projets (pouvoirs de sanction et d'empêchement); la souveraineté populaire se manifestant alors par le rejet ou le refus. Enfin, on assiste à la montée en puissance du peuple-juge et de la judiciarisation du politique (jugement).
Ainsi, le risque d'une «démocratie impolitique» est réel puisque le «citoyen surveillant» tendrait à éclipser le «citoyen électeur». Cette démocratie est essentiellement critique et risque de paralyser l'action politique des gouvernants en privilégiant le registre du rejet plutôt que celui de l'action. Ainsi, l'expression «contre-démocratie» peut être mal comprise. L'auteur souligne pourtant que «cette contre-démocratie n'est pas le contraire de la démocratie; c'est plutôt la forme de démocratie qui contrarie l'autre, la démocratie des pouvoirs indirects disséminés dans le corps social, la démocratie de la défiance organisée face à la démocratie de la légitimité électorale». La «contre-démocratie» qu'il présente n'est donc pas systématiquement une opposition au régime ; elle est plutôt un ensemble de formes et pratiques de pouvoir, qui en grande partie sortent du champ institutionnel, et dont se saisit la société civile pour contraindre le politique à servir le bien commun■