La Nation Bénin...

Logements sociaux au Bénin :Le grand virage

Société
Par   Fulbert Adjimehossou, le 30 juin 2022 à 06h49
Au rythme des chantiers, Abomey-Calavi se demande si elle va demeurer «?la cité dortoir?» ou une ville qui en héberge plusieurs d’autres. Ce sera les deux assurément, avec la métamorphose que subit Ouèdo. Fulbert ADJIMEHOSSOU Il y a deux décennies, Ouèdo, au voisinage du collège «?La Verdure?», n’était que végétation. D’aucuns diront un «?trou à rats?» sous le charme de citadins qui amassaient à tour de bras les parcelles. A l’époque, l’on accède à cette zone par une voie sinueuse et poussiéreuse bordée de plantations de l’ex Société nationale de développement rural (Sonader), qui font la haie d’accueil. « Il y avait de très grandes palmeraies et de cocoteraies. Les parcelles ont été restituées aux ayants droit. C’était une zone d’insécurité. N’y allait pas qui voulait. C’était une zone dangereuse. Je fais partie de la deuxième promotion du collège La Verdure qui a été créé en 1997», témoigne Maurice Attèkpami, né à Ouèdo. Aujourd’hui, sur 235 hectares, ce même milieu a fait sa mue, avec des bitumes qui dressent «?le tapis de bienvenue?» et des bétons qui s’agencent pour donner corps à une ville futuriste et inclusive. « Les choses ont changé mystérieusement. La Verdure est très urbanisée maintenant. De sorte que les parcelles à proximité coûtent les yeux de la tête », ajoute Maurice Attèkpami. Certains riverains comme Dieudonné Dovonou profitent souvent du silence profond qui s’installe en début de soirée pour photographier du regard cette mue qui s’opère en face de leur demeure. «?Je réside ici depuis trois ans, mais j’ai acquis ma parcelle depuis 2012. C’est donc une zone que je connais bien. C’était la brousse. Des gens cultivaient des céréales juste en face?», dit-il en pointant du doigt l’autre côté de la frontière du site des logements sociaux, ceinturés par de grandes voies. Le cinquantenaire n’en revient pas lui aussi de voir ces changements s’opérer depuis deux ans que les travaux de construction ont démarré, après la viabilisation du site. «?En un temps record, les données ont changé. Quelque chose de grandiose se prépare ici pour l’avenir. Et nous qui sommes au voisinage, espérons enfin bénéficier de cet éclat. Nous avons besoin d’électricité et d’eau?», laisse-t-il entendre. La maquette du programme laisse apparaître au premier plan un vert luxuriant du paysage, au milieu de logements rangés, les uns après les autres, en harmonie avec le milieu. Ce reflet prend forme sur le site après des bâtis qui poussent du sol, comme ces logements de type F4, composés de trois chambres et un salon, avec des salles de bain déjà perceptibles. A pieds, il faut des heures pour faire le tour dans la direction des villages voisins comme Ahouato, Sakomey ou Allansankomey. Et quand la nuit vous surprend, les bruits de chantiers laissent place à la fois, à un calme profond et apaisant et à des élans récréatifs isolés. Oswald Tchokpohoué, un des ouvriers du site connaît bien cette atmosphère. «?En journée, on n’a pas le temps à autre chose. C’est huit heures de travail. Mais quand ça nous arrive de passer la nuit ici, on assiste à une ambiance particulière. C’est animé, même si ce n’est pas comme à Cotonou ou à calavi. L’éclairage tout au long de la voie, la buvette située à quelques pas d’ici ou encore le restaurant de grillade ouvert de l’autre côté donnent des sensations. Certains de nos collègues originaires des villages voisins disent qu’ici, c’était des sentiers qui reliaient les villages. Aujourd’hui, comme vous le voyez, c’est une double voie bitumée?», témoigne-t-il. La révolution   Pendant longtemps, les villes ont puisé leurs racines dans le passé et se sont développées selon leur histoire. Certaines se sont vues, par la suite, imposer une planification rigoureuse. Cotonou et Abomey-Calavi quant à elles résultent plutôt d’un étalement urbain incontrôlé, comme une nappe urbaine restructurée avec des lotissements sans fin. Il y a des virages à prendre, et très vite. Et la cité de Ouèdo pourrait impulser une nouvelle dynamique et faire école. Elle pousse sur des pages blanches suivant une vision adossée au Programme d’actions du Gouvernement. «?C’est le joyau des projets phares du Pag?», souffle José Tonato, ministre du Cadre de vie et du Développement durable, lors de son détour sur le site le 4 mai 2022. Un mois plus tard, c’est-à-dire début juin, sur la télévision nationale, dans le cadre de l’émission «?Le gouvernement en action?», José Tonato réaffirme cette conviction. «?C’est le programme emblématique du cadre de vie. C’est la première fois depuis 60 ans qu’on emblave, de façon globale, l’habitat dans son sens d’apport du foncier, du financement, des infrastructures et de l’unité de logement réalisée selon les normes internationales?», insiste José Tonato. Mais qu’a-t-elle de si différent, avec les logements du passé, voire ceux d’un passé pas si lointain. La réponse découle des observations que font les résidents des logis situés juste en face, en terre de barre. Grégoire Houndagni, enseignant à la retraite, revenu du Gabon depuis deux ans est l’un des occupants. «?Nous sommes de l’ancienne génération des logements sociaux. Nous occupons aujourd’hui les premiers échantillons avec tout ce qu’il y a à l’intérieur comme imperfections, en matière de’ matériaux utilisés?», s’ouvre-t-il, dans sa cour, assis dans son petit fauteuil blanc. Puis, l’enseignant à la retraire enchaine avec les constats. «?Il y a des acquéreurs qui n’ont jamais mis pied ici. Compte tenu du matériau, je crois qu’il doit avoir un traitement spécial. Si vous jetez un coup d’œil sur la clôture, vous allez voir que ça se détériore déjà. Alors qu’ils n’ont pas encore occupé. Le matériel de base doit bénéficier d’un traitement spécial, surtout, la terre utilisée. C’est à la merci des termites. C’est à cause de ça, que beaucoup ont commencé par crépir pour conserver le design?», fait-il remarquer. Et ce n’est pas tout. «?Ce qui nous dérange, c’est le problème d’eau et de coupures. Le délestage ne nous arrange pas. Nous ne bénéficions pas encore de l’eau de la Soneb?», souligne-t-il. Grégoire Houndagni voit la différence, avec les logements en construction, dans l’approche. «?Pour les prochains logements, je dirai qu’il n’y a pas de comparaison. Ils ont d’abord procédé à de grands travaux de sous-bassement et d’assainissement. Tout est fait, on a vu. Dès que les premiers logements seront livrés, je crois qu’il n’y aura pas de problème. Ouèdo est en train de se métamorphoser déjà. En ce sens que quand on regarde de l’autre côté, c’est un vaste chantier où tout est prévu. C’est même une mini ville?», dit-il avec conviction avant de dévoiler ses craintes : «?Là, c’est du béton. Ça ne fera pas de cadeau en termes de consommation d’énergie. Ensuite, les maisons sont collées. Au moins, ici nous avons de l’espace et une cour. Il y a une sorte d’indépendance. Le contraste Des projets de logements, les Béninois en ont connu beaucoup par le passé. Plusieurs centaines de logements ne sont pas habités, ou colonisés par la brousse. Une bonne partie n’est tout simplement pas au bon endroit ou n’est pas en harmonie avec les besoins. Direction Sèmè-Podji, aux voisinages du site de pèlerinage de l’Église du Christianisme Céleste. Ici, 40 logements sociaux sont en ruine : chambres éventrées, équipements électriques et de plomberie dérobés. Les mauvaises herbes ont le contrôle du site. À l’intérieur, l’odeur du délabrement et de la colonisation de l’espace par des oiseaux est perceptible. Dans ce milieu dépourvu d’électricité, les forces de sécurité assurent la sécurité des lieux pour éviter que les voisins n’emportent tout. Ce samedi matin de mai 2022, un des militaires fait sa cuisine dans la cour. Pour le temps passé déjà dans l’une des pièces de trois chambres, un salon avec cuisine, il fait ses constats. « Ils ont trop serré la cour et ont laissé trop d’espace en arrière. Si vous faites rentrer votre voiture, vous n’avez plus d’espace », souffle-t-il. De loin, des voisins habitants des constructions précaires apprécient ces constructions abandonnées. “Ça fait mal de voir des habitats dans cet état alors que des populations en ont besoin. Même si on me permet, je peux rester là et faire des entretiens pour éviter que les chambres ne tombent complètement en ruine”, confie Joseph Akouteh, un riverain qui habite une construction en tôles. Il y a lieu de tirer leçons de ses ratés. « Ces logements ne sont pas construits dans la même dynamique que ceux en cours à Abomey-Calavi. Aujourd’hui, nous avons un programme de logements sociaux raffiné qui tient compte des besoins. Jonas Gbènamèto, maire de Sèmè-Podji, rêve d’avoir lui aussi des logements sociaux avec une architecture soignée dans sa ville. « Nous sommes une ville transversale. Tout le monde veut habiter Sèmè-Podji parce que Porto-Novo est en train de reprendre ses labels, Cotonou subit un isolement du fait des inondations. Sèmè-Podji est le prolongement d’un certain nombre de conurbations urbaines. Il y a de quoi penser et affirmer que construire des logements à Sèmè-Podji serait une opportunité », défend Jonas Gbènamèto. La dynamique Zéro éléphant blanc   Mais, il ne suffit plus de vouloir des logements sociaux dans sa ville pour l’avoir. Des 20?000 logements sociaux prévus pour la première phase, près de 11?000 sont annoncés à Ouèdo. 250 logements sont lancés à Parakou au nord du Bénin, et près de 200 à Porto-Novo, la ville capitale. Les exigences font que le gouvernement a décidé d’y aller progressivement pour éviter d’aligner les éléphants blancs. «Le Pag a prévu 3000 logements à Porto-Novo. Mais il faut les faire quelque part. Il faut trouver le terrain. On ne désespère pas, les recherches continuent. Nous avons reçu des propositions qui n’ont pas été validées. Nous sommes aujourd’hui dans une dynamique zéro éléphant blanc. Quand on donne le top, c’est vraiment sûr. On va jusqu’au bout », insiste José Tonato. À l’en croire, la méthode consiste à tester la phase pilote et à maitriser les coûts en surfant sur l’attractivité en milieu urbain avant de poser ses valises dans les villes secondaires. «L’attractivité va se démontrer ici avant qu’on aille à l’intérieur où le besoin est plus faible. Qu’on le veuille ou non, on a beau faire des logements économiques et sociaux, il faut pouvoir les vendre. Nous sommes allés chercher de l’argent à la Banque ouest-africaine de développement (Boad), à la Banque islamique de développement (Bid) y compris la Banque arabe pour le développement économique en Afrique (Badea). Elles vérifient si nous sommes capables de rembourser » fait savoir le ministre du Cadre de vie. Au secteur privé, le gouvernement montre le chemin et le standard qu’il faut. La phase commerciale du programme de construction de logements sociaux et économiques va bientôt démarrer. Le 20 avril, le gouvernement a dévoilé les critères d’attribution. S’agissant des logements sociaux, l’État a pris en charge les coûts liés à la viabilisation intégrale des lieux ainsi que l’acquisition des domaines. L’option retenue pour la commercialisation est la location-accession sur une durée maximale de 25 ans avec un taux d’intérêt de 3,5 %. En ce qui concerne les logements économiques, la durée de la location-accession est de 17 ans avec un taux d’intérêt de 6,5 %. Les prix varient en fonction du niveau de confort, de la surface bâtie et du caractère individuel ou collectif du bâtiment. José Tonato rassure : “La flexibilité de ce programme permet aux différents Béninois selon leurs moyens d’y accéder. C’est accessible aux revenus faibles parce que dans les 20?000 logements qui sont en cours de construction, nous avons à peu près 20 % qui sont des logements sociaux et donc qui coûtent la même chose que le logement économique, mais l’Etat choisit de subventionner une partie pour permettre aux plus pauvres d’y accéder. C’est la première fois en Afrique et peut-être dans les pays en développement qu’on rentrera dans un programme de logements sans apport initial ». Pour le moment, Ouèdo fait sa mue et montre que logement social ne rime pas avec des maisons sans charme. Ce sont des bijoux qui ne sont pas destinés qu’aux ménages riches ou modestes. Néanmoins, il faudra penser un jour à réhabiliter les constructions abandonnées pour recréer une offre de qualité dans ces centres urbains.