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Mathias Tégbé dit ‘’Gentile’’, international de football: phénoménal footballeur de charme

Société
Par   Sabin LOUMEDJINON, le 03 juin 2022 à 06h15
  Joueur offensif, passeur invétéré, Mathias Tégbé appartient à la classe des attaquants qui offrent du plaisir aux spectateurs et de la fierté à leurs coéquipiers en jouant. Courte mais riche a été la carrière qui l’immortalise. C’est comme toute autre scène banale dans la vie d’un homme. Mais Mathias Tégbé a toujours du mal à se débarrasser de la sienne si « précieuse, et si marquante » dans sa vie et dont les souvenirs lui collent aux méninges comme une sangsue. Il aime à raconter que son géniteur, bien que non alphabétisé en français, a suivi depuis les gradins une de ses rencontres de football. Les oreilles collées au poste transistor, il criait et donnait régulièrement des coups de pieds dans le dos des spectateurs assis devant lui. Il ne comprenait pourtant rien à la retransmission si ce n’est le nom de son fils que le reporter hurlait régulièrement et parfois avec frénésie. Au terme de la rencontre, le sexagénaire a attendu que son rejeton sorte des vestiaires pour le congratuler et lui « donner sa bénédiction », ajoute Mathias Tégbé, ancien international béninois, l’un des plus doués techniquement de sa génération. Le fait a marqué le joueur. Et il avoue en garder le souvenir comme le plus précieux des trophées de sa carrière. Svelte, taille moyenne et la démarche altière, Tégbé est un joueur de charme. Il est un fin technicien, dont le talent a contribué à l’écriture des plus belles pages de l’histoire du football béninois des années 80-90. « Des qualificatifs, même au superlatif pour raconter les prouesses de Mathias Tégbé dans le football béninois, n’auraient pas suffi pour rendre compte de l’immensité du talent du sportif aux allures d’un Sahélien !» s’exclame Martin Falola, un des férus supporters des Requins. Si plus d’un quart de siècle après sa retraite sportive, son nom est déjà rangé aux oubliettes, Mathias Tégbé est, sans conteste, l’un des meilleurs footballeurs de sa génération. Et il dit avoir « souffert pour atteindre le sommet ». Fils d’un pêcheur (Tégbé Lokossou) et d’une ménagère (Gbéssi Galoba), l’écolier footballeur de la Mission catholique d’Akodéha ; petit village des bords du lac Ahémé dans le Mono, a très tôt délaissé les classes pour s’accrocher à son jeu favori dans les rues des quartiers de Cotonou (Sikècondji-Hindé-Akpakpa), en tant que jeune apprenti électricien-auto. Passionné des petites rencontres de football inter-quartiers, Mathias a toujours traîné sa silhouette de gamin désœuvré dans les environs des aires de jeux. Sociétaire du club de quartier Hindé retenu parmi ceux devant prester en lever de rideau des matches des championnats nationaux et autres grandes rencontres internationales, la chance lui a souri. Et l’une de ces rencontres finit par révéler, sur le tard, Mathias Tégbé Moussoukoko. L’ex-joueur de Sikècondji à Cotonou tape dans l’œil des dirigeants du mythique club de Cotonou : les Requins de l’Atlantique. Vu son âge avancé, le natif d’Akodéha bénéficie d’abord d’une dispense d’âge, avant d’intégrer les « Awissi Wassa ». Autre vie, autre facette Au sein de la famille des Rouge et Blanc des Requins de l’Atlantique, le joueur a d’abord évolué dans les rangs des juniors. Puis la sélection nationale junior l’enrôle aussitôt. Ainsi, le très longiligne joueur fera merveille avec les Antoine Zinsalo, Blaise Codjia, Abel Mensah…. Sans tarder, le longiligne avant-centre a totalement explosé et se révèle. Attaquant retors, fin dribbleur doté d’une force de frappe impressionnante, Mathias Tégbé est également réputé être un excellent finisseur et surtout passeur décisif. Les Requins et la sélection nationale en font l’éloge. Alors que beaucoup craignaient une rivalité entre le nouvel arrivant et la vedette du club, ce fut plutôt une complémentarité hors pair entre Gentile et Dossou Gbété. Car durant toute sa carrière, le lutin d’Akodéha a été plutôt le complice avéré du leader et star Expédit Dossou Gbété, l’un des plus grands joueurs de tous les temps de ce club : «Mathias est un joueur complet. Un partenaire de tous les temps », reconnait-il. Des joueurs les plus proches l’un de l’autre aussi bien en club qu’en sélection. Expédit Dossou Gbété raconte avec sourire l’anecdote d’une rencontre livrée à Niamey au cours de laquelle les deux acolytes étaient remplaçants, malgré leur statut de leaders. Le club était en difficulté, le coach a fini par les lancer. Comme des zombis, ils ont marqué chacun un but sur des actions similaires. Signe tangible de leur complicité. « Mathias, c’est un joueur complet. C’est un bon joueur. S’il décide de jouer, alors il vous régale… », ajoute, tout sourire, son coéquipier et acolyte, Expédit Dossou-Gbété. Sur les qualités de Mathias Tégbé, l’ancien capitaine des Requins, Bernard Hounnouvi ne tarit pas d’éloges : « Outre sa bonne pointe, une pointe de vitesse, Mathias est un joueur complet. Il est doté d’une bonne frappe. Et avec sa morphologie féminine, il se faufile bien entre ses adversaires et marque de buts. Il joue lorsque l’envie lui prend de jouer ». Mathias Tégbé, ancien attaquant des Requins, fait donc partie de la génération de footballeurs de classe exceptionnelle des Requins d’antan qui ont donné du piquant aux épiques confrontations Requins-Dragons qui ont longtemps marqué l’histoire du foot du Bénin dans les années 80 et 90. La période de gloire de ce club avec des joueurs comme : Euloge Sacramento, le phénoménal gardien de but Oumorou Soumaïla, l’opportuniste Charles Ahouandjinou ou autres grands noms comme les frères Cosme et Damien Folly, et le capitaine: Bernard Hounnouvi. C’était la période faste du club de l’Atlantique. Et Mathias Tégbé, chouchou du public, faisait la pluie et le beau temps. Les aficionados l’ont adopté pour sa vision simpliste du jeu, ses frappes puissantes, son calme et surtout le charme qu’il dégage. C’était un joueur élégant tout simplement ! Et sa morphologie nourrissait la comparaison avec deux éminents docteurs dans le football africain et mondial : Théophile Abéga (Cameroun) et Socrates (Brésil). Et cela lui a valu le surnom de « Gentile » en référence au redoutable défenseur italien des années 80. Mais pour l’ancien sociétaire des Requins, l’explication est autre. Le surnom est venu lors d’une séance d’entrainement où il s’est transformé en défenseur taclant et rudoyant tout sur son passage. « Sois moins rude. Tu n’es pourtant pas Gentile ! », ont vociféré certains coéquipiers à l’endroit du faux défenseur d’occasion, faisant référence au rugueux défenseur italien Claudio Gentile ; un des plus intraitables à son poste à l’époque. C’est là l’origine de ce surnom à consonance italienne qui a fait disparaître l’identité réelle du frêle attaquant des Requins. « Se sentir aimé et adulé par le public, en ajoutait davantage à ma responsabilité. Puisque j’en avais déjà une de très lourde ; celle de remplacer au poste, mon ainé et grand joueur Johnson Fernando », confie le joueur pour qui jouer au foot est un plaisir. Des souvenirs au sein des Requins, Mathias Tégbé dit Gentile évoque les nombreuses joutes africaines infructueuses auxquelles aussi bien son club que la sélection nationale ont pris part : Bénin -Mali, Bénin- Côte d’Ivoire, Burkina Faso - Bénin, Requins- Africa Sports d’Abidjan de la Côte d’Ivoire. Requins-As Sogara du Gabon …. Le phénomène,… un capricieux ! Talent irréprochable, homme calme, blagueur à souhait et bouffon quelquefois, Mathias Tégbé a aussi les qualités de ses défauts. Il lui est souvent reproché ses sauts d’humeur et son caractère primesautier. Vedette adulée, le numéro 10 des Requins appartient à la catégorie des joueurs lunatiques sur qui il est difficile de compter. Beaucoup le prennent pour un sportif difficile, capable qu’il est de choisir ses matches. « Lors d’un tournoi à Lomé, au Togo, le jour du match contre Asko de Kara, Mathias passe du baume, s’attache des rameaux de palmier au cou et refuse de jouer sous prétexte qu’il est malade », confie son ancien capitaine Bernard Hounnouvi qui évoque les nombreux prétextes fallacieux du joueur pour éviter de jouer certains matches. Il est coutumier des faits, ajoute son alter ego, Expédit Dossou Gbété, qui précise, que parfois, « quand l’envie lui prend de ne pas jouer des rencontres, vous pouvez tout dire, il n’exécutera pas ». C’est dire que rien ni personne n’arrive à le convaincre… Encadrement technique, coéquipiers, staff médical, dirigeants se sont résignés à accepter le «phénomène» tel qu’il se présente, regrette Bernard Hounnouvi qui insiste que c’est là, le défaut du sportif. Des faits reconnus par le joueur qui refuse d’y apporter des explications. « Moi, je joue mes matches. Parfois, je joue mieux sans avoir pris part à aucune séance d’entrainement », confie-t-il, l’air intéressé. Caprice de star ou superstition ? Mystère ! Mathias Tégbé cumule plus d’une quinzaine d’années de présence dans l’élite du football au Bénin dont une dizaine en sélection nationale. Après avoir ébloui de son talent le championnat national et certains tournois internationaux, sous-régionaux ainsi que des compétitions statutaires de la Confédération africaine, « Gentile » ne nourrit aujourd’hui que des regrets : n’avoir rien gagné dans le foot. « Je n’ai gagné que renommée et popularité », se résigne-t-il, le regard perdu dans le vide. Puis, il sanglote un instant avant de fondre en larmes. « C’est le destin », lâche-t-il en guise de consolation. Avant de raccrocher définitive-ment les crampons vers la fin des années 90, Mathias s’est résigné à faire un bref détour en 2e division, avec l’Association sportive du Port autonome de Cotonou (Aspac), et en a même été le capitaine. Il a également traîné, plus tard, sa bosse à Sobemap Fc avec les Didier Adoukonou, Antoine Dékpato….. Aujourd’hui footballeur retraité, et sans emploi donc sans revenu fixe, Mathias Tégbé, sportif adulé et socialement affable et sympa, vivote. Et comme la plupart des sportifs de sa génération, l’espoir du mieux-vivre semble être un vain mot. Découragé de tout, l’ex-vedette des Ecureuils s’est retranché dans l’un des quartiers populaires de Cotonou. Il dit ne plus vouloir «perdre son temps pour aller au stade ni même regarder le foot à la télé ». Signe certain de l’indicible dépit de ce joueur pour la chose sportive. Lui qui pourtant a fait la pluie et le beau temps dans le foot béninois dans les années 80. Archives et autres souvenirs matériels de sa longue carrière de footballeur, le sportif confie ne pas en avoir et ne souhaite même plus en parler. Pour Mathias, «le football, c’est du passé ». Et le souvenir de ce passé, glorieux soit-il, loin de le réjouir, semble lui être nocif. Lui qui était un bon viveur aimant l’ambiance, les blagues, les moments de discussions biens arrosés entre copains, se retrouve maintenant dans un autre monde: celui de la discrétion. Il passe ses journées en famille ou dans des activités ludiques. « Passer sa jeunesse à égayer le peuple et se retrouver plus tard dans l’anonymat et l’indigence est le propre des sportifs africains », regrette un de ses anciens coéquipiers. « Même si Mathias n’est pas si heureux dans sa vie après le foot, il garde néanmoins la tête sur les épaules et demeure dans la vie ordinaire un monsieur calme, cultivant simplicité, honnêteté et loyauté. Nos liens vont au-delà de la simple amitié. Nous sommes plus que des frères jumeaux. Nous nous voyons tout le temps. Notre complicité va au-delà des aires de jeux », confie son ancien capitaine Expédit Dossou Gbété qui exhorte les autorités sportives à prêter une oreille attentive aux doléances des anciens internationaux.