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Portrait : Claude Djankaki, un conservateur des terroirs

Société
Par   Fulbert Adjimehossou, le 22 févr. 2022 à 12h17
Expert en décentralisation, Claude Djankaki se donne désormais comme mission d’emmener la nouvelle génération aux sources de la vie. Claude Djankaki. Une recherche sur Facebook renvoie à des occurrences infinies. En trombe, de longues files de recettes de grand-mère s’affichent en premier. C’est ce qui occupe l’expert en décentralisation, ces derniers temps. Pour les uns, il n’y a rien de scientifique à ce que prêche le sexagénaire qui totalise près de 36 000 abonnés, à la date du 10 février 2022. Pour les autres, la grande masse, ils n’ont d’yeux désormais que pour les recettes qu’il diffuse. Ces derniers, d’ici et d’ailleurs, publient à longueur de journée des témoignages, remerciements et « SOS ». «Je suis admiratif de votre don de soi et générosité, doyen », commente Armel Tagnon. En réalité, Claude Djankaki est un homme pour qui la cosmologie africaine a des vertus extraordinaires pour chasser toutes les ondes négatives et ouvrir les meilleures portes. «Comme l’avait dit Albert Einstein, l’expérience cosmique est la plus puissante et la plus noble ouvrière de la recherche scientifique », postait-il, dans la soirée du 5 janvier 2022. Modeste, l’homme n’a pas forcément conscience de ce qu'il incarne désormais. On se préoccupe de moins en moins de son savoir en finances publiques et en décentralisation. Les plantes et la spiritualité constituent désormais son champ d’expression. « En Afrique, nous avons des alternatives crédibles pour nous guérir, mais nous aimons tout diaboliser en nous faisant du mal. Le problème du mal développement de l’Afrique, c’est surtout quand la spiritualité des autres fait obstacle à la nôtre », avoue-t-il. Mais quoiqu’il devienne une espèce très sollicitée, l’apôtre du retour aux sources, a un passé édifiant que beaucoup ignorent. Djankaki, « en vrai » Qui est-il ? Un charlatan ? Un marabout ? Un prêtre du Fâ? Le 4 février 2022, Claude Djankaki nous accueille à Coussi dans la commune de Toffo, à 80 km de Cotonou. Sa demeure est un secret de Polichinelle. « Rassurez-vous, les yeux fermés, n’importe qui ici peut vous amener chez lui», déclarait quelques minutes plus tôt notre conducteur. Sur place, rien de fétichiste ; pas de cabinet de consultation non plus. Il nous fait entrer dans une demeure calme et moderne, au 1er étage. Le cadre ne trahit en rien sa passion pour les plantes et les savoirs ancestraux. Ce jour-là, il avait un œil dans un programme télé et l’autre dans son téléphone. Sans protocole et sans détour, les échanges démarrent, mais les appels persistent. Curieusement, il ne se voit pas en super pompier, par son écoute et ses conseils. C’est pour lui, dit-il, juste un devoir, une mission qu’il accomplit, avec zèle pour sauver des vies. « Les premiers hommes d’Afrique noire qui sont nos ancêtres avaient tout fait pour nous depuis des millénaires. Ils ont inventé le Fâ, un logiciel qui enregistre notre vie et son fonctionnement. Ce logiciel a toujours prouvé son efficacité», défend-il. Un chemin périlleux L’administrateur des finances à la retraite, expert en finances publiques et en décentralisation vient de loin. Ainé de sa famille, le jeune de Coussi était un jusqu’au-boutiste. Sans grands moyens, Claude devrait se débrouiller pour progresser dans les études. « A l’époque, on allait travailler dans les palmeraies de la Société nationale pour le développement rural du Dahomey (Sonader) », confie-t-il. Entré à l’Université du Dahomey en 1973, ce natif de 1952 avait hâte de travailler. Il débute sa carrière en qualité de contrôleur des finances, après ses études (1973-1975) au département des sciences juridiques et économiques de l’université. Le regard tourné vers l’avenir, Claude Djankaki se révèle et monte vite en responsabilité, devenant chef de division des dépenses communes du personnel capital décès et de la rente (1978-1981). C’est de là qu’il obtient une bourse pour se rendre dans l’Hexagone, pour des études. Diplômé de l’Ecole supérieure de gestion à Paris, spécialiste diplômé de 3e cycle d’administration territoriale décentralisée et développement local à l’Université de Reims, le chercheur a soutenu ses travaux sur « La réforme de l’administration locale au Bénin : décentralisation ou déconcentration », en 1986. Il s’est inscrit en thèse d’Etat au cours de la même année à l’Université de Paris X Nanterre, sous la direction du Professeur Jean-Claude Néméry, alors directeur du Centre de recherches sur la décentralisation territoriale (Crdt). Une nouvelle aventure l’attend. De retour de France, il retourne au ministère des Finances. « Tout est grâce et béatitude» Dans la vie, comme dans la loi de Lavoisier, rien ne se perd, tout se transforme. A l’Université, Claude Cossi Djankaki était souvent sollicité par le sous-préfet de Sakété d’alors, Edouard Zodéhougan. Ne pouvant être aux cours, l’autorité l’a donc sollicité par l’entremise d’un cousin. «Il n’avait personne pour lui prendre les cours, c’est là que Vincent Azonsi m’a demandé de les lui prendre. J’ai accepté. En notre temps, on ne rendait pas service pour quelque chose », raconte-t-il. Et un jour, alors qu’il se rendait au ministère de l'Intérieur pour un dossier, il croisa Edouard Zodéhougan, un responsable du ministère, qui décida de lui retourner l’ascenseur. «On nous avait bloqués en face de l’ascenseur parce que le ministre devrait passer. Il m’a aperçu dans ce monde-là et m’a remonté à son bureau pour des échanges », précise-t-il. A l’époque, le directeur de l’Administration territoriale de ce ministère venait d’être nommé à la Cour Suprême. Le poste est alors revenu à celui qui, en plus d’avoir le sens du service, a le profil indiqué. Les étapes se succèdent. Claude Djankaki devient directeur des Etudes et de la Planification au ministère de l'Intérieur. A l’avènement du renouveau démocratique, il fut nommé chef de Cabinet au ministère de la Fonction publique et de la Réforme administrative avant de rejoindre le même poste au ministère de l’Intérieur, de la Sécurité et de l’Administration territoriale. C’est aussi l’un des tout premiers directeurs de la Société de gestion des marchés autonomes (Sogema). Il a également servi en qualité de Secrétaire général adjoint de la coopération inter-parlementaire, président du comité de l’élaboration du budget de l’Assemblée nationale. Entre-temps, il a été désigné comme expert béninois devant travailler avec les experts français sur la décentralisation. L’aventure dans cette spécialité prendra tout son sens, en 2002, avec l’avènement des communes au Bénin. «J’étais pratiquement monsieur décentralisation». Tout ce qui a été fait, jusqu’à la loi-cadre sur la décentralisation n’a pas été sans lui. C’est un homme de culture, très conservateur des traces de son passé. Auteur de nombreux articles dans des revues scientifiques, il a aussi laissé de nombreuses réflexions pour la postérité, à travers des ouvrages. C’est le cas de «La destitution des maires au Bénin: une pratique à géométrie variable». On retrouve dans sa bibliographie de vieux ouvrages dont il est l’auteur comme « Le Bénin décentralisé». Pas de succès en politique Claude Cossi Djankaki a une bonne connaissance des terroirs et de comment susciter le développement à la base. L’expert ne manque d’ailleurs pas de titiller parfois les décideurs sur leurs choix. Son entregent lui a valu d’être consulté sur des points clés de réformes territoriales. Cependant, il n’a pas eu cette chance de tenir le gouvernail et de pratiquer ses approches. Etant l’un des premiers cadres de sa région, au plan politique, ce délégué à la conférence nationale des forces vives de la nation de février 1990 portait le parti la Renaissance du Bénin (Rb) dans son cœur. À l’époque, la formation politique de feue Rosine Soglo, alors première dame, parvenait à rafler dans la circonscription électorale 4 députés sur 5. Claude Cossi Djankaki aurait donc pu être parlementaire. «Je ne voulais pas. Je me suis toujours dit que je suis un cadre, qu’il faut le demeurer et conseiller les politiques », explique-t-il. Après le départ des Soglo du pouvoir, il dit être devenu gênant pour le régime de Mathieu Kérékou. Il fut nommé assistant de l’actuel secrétaire général du gouvernement, Edouard Ouin-Ouro qui à l’époque administrait la préfecture de Natitingou (1996-1998). «On m’envoie comme son assistant alors que je suis son doyen dans le métier. Rosine Soglo a dit niet. J’ai alors rejoint l’administration de l’Assemblée nationale », fait-il savoir. En décembre 2002, il fait un pas de plus en politique. Elu conseiller communal sur la liste Rb, l’expert voulait devenir maire d’Abomey-Calavi, le premier de l’ère de la décentralisation. « Au niveau de ma formation politique, les choses ont tourné autrement. Sur 25 conseillers, la Rb a 12 conseillers. Il lui manquait un pour avoir la majorité. On a dit qu’il faut que ça soit un fils du terroir. Les autres conseillers qui devraient nous soutenir ont rejoint Liamidi de Dravo. Entre-temps, on m’avait proposé de quitter la Rb pour la mouvance en vue d’occuper le poste de maire. Ce que j’ai refusé», se souvient-il. Avec son sourire et sa sérénité, il n’est pas resté sans tirer leçon de cette expérience. Son ouvrage « La décentralisation au Bénin, l’impasse : le cas de la commune d’Abomey-Calavi» la décrypte si bien. Des expériences et souvenirs, il en a plein de sa proximité avec le monde politique. Toute sa vie est service. Ce qui lui a permis de faire des rencontres formidables. Une destinée Chef de l’une des grandes collectivités familiales de Toffo, gardien de la tradition, Claude Cossi Djankaki n’a fait que suivre sa destinée. Il est d'abord "le petit-fils du grand prêtre Azondato Lodjogoumin Djankaki. Né sous le signe de Tohossou, sa vie y est liée. Sa foi en la médecine traditionnelle a du sens, quand on remonte à son enfance. Il a souvent des anecdotes à confier. « À l’âge de deux ans, j’ai eu un accident. J’étais brûlé sur tout le corps. Aujourd’hui, je porte encore les cicatrices sur tout le ventre. Il parait qu’un plus âgé que moi m’a poussé sur la braise. On ne savait pas que j’allais survivre. Si ma grand-mère n’avait pas hérité de mon grand-père un certain nombre de recettes que je me suis amusé à apprendre, c’est que je ne serais plus en vie. Quand j’étais aussi jeune enfant, on s’amusait sous les cocotiers quand un grand coco est tombé sur la tête de mon frère Cocou Barthelemy aujourd’hui enseignant à la retraite. Heureusement, grand-mère était encore là. Elle l’a récupéré dans sa chambre. Quelque temps après l’enfant s’est réveillé et a commencé à s’amuser », témoigne-t-il. Claude Cossi Djankaki tient avant tout à des principes de la vie. « Mes recettes sont infaillibles parce que je rendais service à tout le monde, sans contrepartie. En retour, les gens viennent me donner des secrets de vie en plus de ceux hérités de mes grands-parents», martèle-t-il. A ceux à qui il donne les recettes, il ne manque pas de souligner une chose. «Il faut faire très attention. Tout ce que nous disons, nous suit. C’est pour cela que j’ai envie de dire à cette jeunesse-là d’être positive. Il y a des recettes qui marchent pour certains, retardent d’autres. On m’a toujours dit que la feuille est une créature divine, comme nous. Ne saute pas sur ça comme si tu as droit de vie sur elle. Il faut éviter d’uriner en désordre sur certaines plantes. Si vous faites un stage auprès d’un vieux qui vous dévoile les choses, vous n’allez plus jamais le faire. Nos problèmes d’infertilité peuvent provenir de là », avertit Claude Djankaki. Généreux, il prône le don de soi au service des autres, de sa communauté. Aujourd’hui, il demeure un phénomène, au-delà des réseaux sociaux. C’est une vie qu’on ne peut découvrir en une heure et demie d’échanges. Même sur le chemin du retour, à bord de son véhicule, on comprend pourquoi la complémentarité entre la médecine traditionnelle et celles moderne est nécessaire: « Le Fâ est en avance sur le scanner de la dernière génération. Ce que vous devez savoir, l’invisible cache les diagnostics ». On apprend aussi que la vie fait de nous le produit de nos actes, bons ou mauvais.