La Nation Bénin...
Le premier dossier inscrit au rôle de la Cour d’assises de la Cour d’appel de Cotonou, a été examiné, hier lundi 9 mars. Dans le box des accusés, Roger Lokossouvè, poursuivi pour coups mortels. Il a été défendu par le bâtonnier, Me Cyrille Djikui. La Cour était présidée par Félix Dossa.
Les faits tels que résumés et relatés par le président Félix Dossa remontent au 26 juillet 2006. Ainsi, en raison des différends ayant opposé le nommé Roger Lokossouvè et son épouse Sonon Kpokpovi, celle-ci le quitte.
Roger Lokossouvè commence à soupçonner le nommé Didier Adondékpo de profiter de cette séparation pour entretenir des relations adultérines avec elle, et ce avec l’aide de son cousin Dénakpo Lokossouvè, qu’il aurait surpris en compagnie de son épouse. S’ensuit alors une dispute.
Présent sur les lieux, Didier Adondékpo est intervenu pour mettre fin à la bagarre.
Retour sur les lieux
Roger Lokossouvè serait retourné s’armer de coupe-coupe puis serait revenu pour assener un coup à Didier Adondékpo qu’il considère comme son rival. Le coup ainsi porté ampute l’index de la main gauche de la victime qui succombe des suites du choc hémorragique à l’hôpital de zone de Ouidah. Interpellé et inculpé de coups mortels, Roger Lokossouvè reconnait les faits à toutes les étapes de la procédure mais prétend avoir agi en légitime défense contre Didier Adondékpo qui aurait été le premier à vouloir lui porter un coup de coupe-coupe.
L’examen médical effectué par le chirurgien chef alors en service à l’hôpital de zone de Ouidah atteste que Didier Adondékpo est décédé des suites du choc hémorragique. Le bulletin n°1 du casier judiciaire de l’accusé ne porte trace d’aucune condamnation. Roger Lokossouvè n’était pas non plus en état de démence au moment des faits.
Les faits ainsi résumés, le président a demandé à l’accusé d’expliquer les circonstances dans lesquelles le drame est survenu. Et Roger Lokossouvè d’expliquer qu’il s’est querellé avec la victime et que c’est lorsque chacun d’eux se débattait que le coupe coupe lui aurait coupé le doigt. «Je voulais l’effrayer mais je n’avais pas l’intention de le tuer», a expliqué l’accusé.
Mais avant les réquisitions du ministère public, le bâtonnier, Me Cyrille Djikui a fustigé la manière dont les débats et surtout le dossier a été conduit pour être enrôlé. « Si le ministère public a fait venir le témoin mal entendant, il doit fournir les moyens pour l’écouter. Ils ont leur langage ; la surdité n’est pas un obstacle à l’audition ; je suis prêt à coopérer mais qu’on ne prenne pas les avocats pour des figurants dans le procès », s’est insurgé le bâtonnier, insistant pour qu’on l’entende, car il constitue une pièce maîtresse du dossier. Il fallait, a-t-il insisté, conduire les débats ainsi qu’il a été procédé au cours des actes d’instruction.
Après la lecture du rapport d’expertise et la présentation du certificat médical, le ministère public a présenté ses réquisitions.
Sur la base du rappel des faits, Gilles Sodonon a expliqué que Roger Lokossouvè a coutume d’infliger des châtiments corporels à sa femme au motif qu’elle est infidèle. C’est la jalousie débordante qui l’a conduit à porter des coups et blessures volontaires à la victime, des coups qui ont occasionné la mort des suites d’un choc traumatique, car la victime a été vidée de son sang. Il a ajouté que Didier Adondékpo n’était porteur d’aucune arme. Dès lors, a retenu le ministère public, la légitime défense ne saurait prospérer, car il s’agit là d’un simple moyen de défense.
Dix ans de réclusion criminelle
Pour Gilles Sodonon, l’accusé dépeint comme un être violent, habitué à des actes de sauvagerie extrême s’est rendu coupable de coups mortels commis hors toute légitime défense, toute excuse légale. Il tombe sous le coup de l’article 309 alinéa 4. Il a donc requis de le condamner à 10 ans de réclusion criminelle.
«Le devoir est plus fort que le sentiment qui m’anime ; j’aurais dû ne pas plaider ; nous avons dénoncé l’impréparation qui entoure les dossiers d’assises ; je me battrai pour aller contre la mascarade, la parodie de justice», a déploré la défense représentée par le bâtonnier. Où est l’arme ?, s’est encore interrogé Me Cyrille Djikui exigeant qu’on fasse les diligences pour écouter la femme, un témoin mal entendant. Poursuivant, il a déploré que le dossier ait été instruit à charge pendant qu’il a été refusé à son client de faire usage des pièces qui pourraient le tirer d’affaire. «Les faits n’obéissent pas à la qualification qu’on vous propose», relève-t-il. Car, les coups portés et les blessures faites ne sont pas de nature à donner la mort. Selon la défense, il n’y a pas eu de garrot ; et la victime ne serait pas morte si les diligences avaient été accomplies ; le certificat médical n’indique pas clairement ce qui a occasionné la mort. «C’est une instruction bâclée, au forceps. Ceux qui doivent témoigner à décharge ont été écartés», a-t-il fait remarquer. Analysant les faits, Me Cyrille Djikui en déduit qu’il s’agit plutôt de coups et blessures volontaires ayant entraîné une incapacité, une mutilation. Il s’agit alors, selon lui, d’un délit ayant entrainé une infirmité. «Je vous prie de le condamner au temps déjà passé en prison soit 8 ans 8 mois», a retenu la défense.
Douleur et déception
Des observations confirmées par sa jeune consœur Me Clarisse Hounzali, qui a déclaré avoir été marquée par la douleur et la déception qui caractérisent le dossier. Pour elle, le dossier n’est pas en état ; il ne comporte pas tous les éléments. Elle a relevé que l’ignorance et la négligence qui ont entouré l’amputation ne sauraient expliquer les circonstances réelles de la survenance de la mort. Il manque au dossier médical des éléments pour entrer en condamnation. Raison pour laquelle elle a demandé de faire droit aux demandes de la défense. Donc d’appliquer plutôt l’article 309 alinéa 3.
La réplique du ministère public réitère qu’il s’agit plutôt de coups mortels et d’appliquer les 10 ans de réclusion requis.
La contre-réplique du bâtonnier ne s’est pas fait attendre. Me Cyrille Djikui a précisé que devant ses étudiants, il s’évertuerait à faire la nuance entre les coups et blessures volontaires et les coups mortels. Ce n’est pas ici un dossier de coups mortels, car on n’est pas sûr de ce qui a entrainé la mort. «Le ministère public peut-il avancer avec certitude ce qui a entrainé la mort ?», s’interroge-t-il.
La cour se retire et après délibérations a reconnu l'accusé coupable de coups mortels, et l’a condamné à 8 ans de travaux forcés.
Il retourne donc chez lui