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Résilience de la filière avicole au Covid-19: La bonne recette des œufs et des poules

Société
Par   Josué F. MEHOUENOU, le 14 août 2020 à 09h59
Depuis la confirmation du premier cas du Covid-19, le 16 mars dernier, le Bénin fait face à des bouleversements dans divers segments d’activité. Les aviculteurs n’y ont pas échappé. Mais à la différence d’autres acteurs, ils ont développé une résilience notoire. Jeudi 2 avril. Seulement 72 heures après la prise par le gouvernement du Bénin de la mesure d'établissement du cordon sanitaire autour de neuf communes y compris les principales qui abritent les fermes avicoles. Ceci, dans le cadre de la lutte contre la propagation de la maladie à coronavirus (Covid-19). Autour d’Ahmed Assani, 28 ans, chargé de production sur une ferme avicole à Tori-Bossito, tout semble s’écrouler. Les nerfs à fleur de peau, il était au bord des larmes. Il tient difficilement sur ses jambes et sa main gauche est tremblotante. C’est la toute première fois dans sa jeune carrière de gestionnaire d’une ferme qu’il doit faire face à une telle situation. Quelques heures plus tôt, en faisant sa ronde matinale autour des poulaillers de la ferme, il s’est rendu compte que trois d’entre eux étaient infectés. Une vingtaine de poules et de coqs traînent au sol. Cette situation, ce technicien en production animale formé au Lycée agricole Médji de Sékou (Lams) puis à l’Ecole polytechnique d’Abomey-Calavi (Epac) l’avait pourtant flairée. La décision prise par son employeur d’entasser la volaille dans les enclos n’était pas de son goût. Mais la ferme fait face à une «surpopulation inhabituelle ». Les commandes en volaille des deux dernières semaines n’ont pas bougé. Hôtels, motels, bars-restaurants avaient tous renoncé à la dernière minute à retirer leurs commandes. « C’est très difficile à gérer parce que ce sont des clients habituels et les commandes ont été planifiées depuis des mois. Nous tenons compte de tous ces détails dans la production», explique Ahmed Assani d’une voix tremblante. Il se croyait au bout de ses peines, quand tombe sur sa tête un autre coup de massue. L’un des principaux clients de Parakou vient de le joindre au téléphone. Il ne viendra pas chercher la cinquantaine de poulets et les quatre-vingts plateaux d’œufs soigneusement apprêtés et déposés dans l’angle droit du magasin de la ferme depuis la veille. Raison invoquée, l’impossibilité pour lui de se déplacer pour rejoindre Tori. « Ce jour est le pire de ma vie », lâche le jeune technicien en écrasant de sa main gauche une goutte de larme, alors qu’il tente vainement depuis deux heures de joindre son employeur pour lui faire part de la situation. Le Covid-19 ne tue pas que les hommes… «Je me rends compte que le coronavirus ne rend pas malade que par la grippe et ne tue pas que les hommes. Il tue également la volaille et toute l’activité autour », indique Ahmed, main à la hanche, observant ses collaborateurs débarrasser les hauts enclos entourés de barbelés des bêtes sans vie. D’une ferme à une autre, la réalité change à peine. Dans le village de Houègbo-Agbotagon, dans la commune de Toffo, à 450 mètres de la radio Sèdohoun, Auguste Gbaguidi, technicien agro-animal, gère la « Ferme agro-initiative». Il s’y est établi depuis 1997 et passe dans le département de l’Atlantique pour l’un des aviculteurs les plus en vue. Quelque 6500 sujets occupent les deux hectares de superficie. « Ces derniers mois, ça tourne mal », tranche sans hésiter l’aviculteur qui, malgré l’heure tardive (22 heures), s’employait encore à faire le point de ses dettes en aliments. «Nous avons un sérieux problème dû à la maladie à coronavirus. Nos produits sont bloqués et nous avons du mal à les écouler », confie le producteur. « On ne peut pas affamer la volaille. Nous investissons beaucoup dans l’aliment et les médicaments en cette période sans rien vendre en retour depuis un bon moment », se plaint-il. «Le cordon sanitaire qui empêche les clients de venir vers nous en rajoute à notre peine. Les aviculteurs souffrent », fait-il savoir. Sans ambages, ce producteur soutient que le secteur avicole est le plus touché des filières agricoles avec cette pandémie. Non seulement il évoque les conséquences pour les aviculteurs, mais également les consommateurs qui du jour au lendemain sont privés d’œufs et de viande. « Il y a une bonne partie du territoire national qui manque d’œufs parce que l’activité avicole est beaucoup plus concentrée au Sud. À partir du centre du pays, la situation est moindre. Mais au Nord, c’est pire. Il n’y a pas assez d’aviculteurs. Avec la maladie et la suspension des moyens de transport du fait du cordon sanitaire, plus rien ne circule », expose Auguste Gbaguidi. « Toutes les filières agricoles ont été touchées d’une manière ou d’une autre, mais la nôtre a été très négativement impactée», confie Arouna Ottola, président de l’Interprofession de l’aviculture qui se réjouit néanmoins de la capacité de résilience développée par les siens malgré les effets du Covid-19. Transformer les difficultés en opportunités «D’aucuns diront que la filière n’est pas rentable à cause des difficultés actuelles, mais nous devons apprendre à transformer ces difficultés en solutions et opportunités », pense Auguste Gbaguidi. Et c’est bien ce qu’ont compris les responsables de l’Interprofession des aviculteurs. Ce que certains aviculteurs ont qualifié de «surpopulation » sur leurs fermes et poulaillers aurait pu être évité si cette filière agricole disposait d’un abattoir. « Si cet abattoir existait, les commandes de poules qui nous sont restées sur les bras seraient passées là-bas, le temps qu’a duré le cordon sanitaire qui empêchait les mouvements entre certaines localités», explique le technicien en production animale Ahmed Assani. « Il faut prendre des mesures de conditionnement en ce qui concerne la viande et l’œuf qui sont des produits périssables», appuie Gustave Lantèfo, un des responsables de l’Association nationale des aviculteurs. En quête de solutions, non seulement pour les problèmes qui se sont signalés du fait du coronavirus, mais aussi pour les autres difficultés en général, les aviculteurs béninois ont réussi à décrocher la construction du premier abattoir de volaille du pays. En plus d’avoir réussi, avec l’aide d’un partenaire, à finaliser le projet, les travaux ont démarré et sont très avancés. C’est à Houèdo dans la commune d’Abomey-Calavi que l’abattoir est en construction sur un site de 32 mètres sur 16. L’infrastructure a une capacité d’abattage de 500 sujets au moins à l’heure, explique Gustave Lantèfo qui s’est vu confier la conduite des travaux par ses pairs. « C’est une grande opportunité pour la filière. D’ici quelque temps, nous allons abattre nos propres poulets. C’est une avancée pour la filière et pour la population qui consommera de la bonne et saine viande», exulte-t-il. Cet abattoir, il le projette aussi comme un cadre d’hygiène et de biosécurité qui « contribuera énormément au décollage du secteur ». Cette réalisation vient en ajouter à la performance dont les filières agricoles sont créditées depuis l’année dernière. Adjéhoda Amoussou, président de la Chambre nationale d’agriculture, soutient en effet que « la plupart des filières voient leurs rendements s’accroître» du fait de l’engagement des producteurs, mais aussi en raison de projets à fort impact comme cet abattoir. « Le secteur agricole béninois a amorcé une courbe ascendante et les acteurs se sont engagés à maintenir la dynamique malgré le Covid-19 », salue-t-il. Selon ses explications à l’occasion d’une revue de performance organisée par le ministère de l’Agriculture, la contribution du secteur au Produit intérieur brut (Pib) s’améliore de plus en plus du fait de l’organisation au sein des filières agricoles.